The Days : critique du Chernobyl raté de Netflix

Lino Cassinat | 5 juin 2023 - MAJ : 05/06/2023 19:40
Lino Cassinat | 5 juin 2023 - MAJ : 05/06/2023 19:40

Catastrophe nucléaire la plus grave que l'humanité ait connue, l'incident de Chernobyl a été brillamment raconté en 2019 par HBO dans Chernobyl, une mini-série implacable devenue sur-le-champ un classique incontesté. Quatre ans plus tard, c'est Netflix qui s'attaque avec The Days à l'accident tristement célèbre de Fukushima, qui a bien failli rayer de la carte un tiers du territoire japonais en 2011. Un évènement toutefois adapté sans panache ni brio par Netflix, pourtant épaulé entre autres par l'excellent cinéaste Hideo Nakata (The Ring 1 et 2, Dark Water) à la réalisation. Et aussi l'inconnu au bataillon Masaki Nishiura.

Chernobof

Difficile de passer après la mini-série de Craig Mazin, tant Chernobyl a mis la barre haute à la fois en termes d'écriture que d'imagerie. Encore aujourd'hui dans les cinq séries les mieux notées de tous les temps, son ombre ne pouvait que planer sur l'inévitable série qui allait raconter l'accident de Fukushima.

Survenu en 2011, il s'agit du seul autre évènement nucléaire avec Chernobyl à avoir été répertorié niveau 7, soit le plus élevé sur l'échelle internationale de classification des catastrophes nucléaires. Autant dire que, dans les deux cas, le monde entier a serré les fesses à s'en fracturer le périnée.

 

The Days : photoAh bah ça non, on n'a pas regardé Chernobyl avant hein...

 

Mais si similarités il y a, à la fois dans les angoisses et dans les enjeux soulevés par ces deux monstrueux incidents, on ne peut que regretter que Netflix ait choisi de coller à ce point au modèle établi par HBO. C'est flagrant dès le premier épisode de The Days, dont la structure est exactement la même que celle du premier épisode de Chernobyl (flashforward avec voix off sombre, retour sur l'heure de l'incident, etc.). Par la suite, c'est aussi la même iconographie qui sera usée jusqu'à la corde, la même photographie (en version moche toutefois). Même la musique est semblable.

Certes, il n'y a rien de mal à reprendre une recette qui fonctionne, mais justement : Netflix copie sans comprendre et plaque une formule bêtement sans tenir compte des spécificités de son sujet. Rapidement d'ailleurs, le cours des évènements va se retourner contre la mise en scène de The Days. Car là où Chernobyl est une chute dans un puits sans fond de noirceur, un slalom sans fin entre les mensonges et les jeux de pouvoir du régime soviétique pour aboutir à la vérité sur l'origine de l'accident, The Days ne peut qu'avancer en ligne droite.

 

The Days : photoEt hop, trois personnages d'un coup qui ne servent à rien

 

Une catastrophe naturelle (en l'occurrence, un tsunami) a provoqué une catastrophe nucléaire. Difficile de faire plus direct et plus limpide. Pas ou peu de vérités qui dérangent : à l'inverse de Chernobyl, The Days est un chemin vers la lumière, à mesure que l'on avance de solution en solution. Nécessairement, l'atmosphère de mystère étouffant, la montée dans la peur a du mal à prendre, car il n'y a tout simplement factuellement pas d'énigme à résoudre ni de resserrement d'étau dans les péripéties.

 

The Days : photoFallait se prendre un peu plus la tête monsieur

 

POISON FUKU

Du moins jusqu'aux deux derniers épisodes où la situation, qui ne faisait que s'améliorer, empire soudainement. L'effroi repart et l'on est pris à la gorge à nouveau, mais c'est un peu trop tard. On pourra objecter que si c'est comme cela que les faits se sont déroulés dans la réalité, on ne peut pas reprocher à The Days de lui être fidèle. On répondra au contraire que c'est bien le problème : The Days ne tranche pas entre reconstitution ou fiction et se retrouve le cul entre deux chaises, à la fois trop dramatique (ces ralentis...) et trop factuelle. Ce qui lui donne parfois des airs de docu Arte friqué.

Ce questionnement non résolu se voit jusque dans les personnages principaux : le Premier ministre du Japon est fictif au point que son nom est changé, mais le directeur de Fukushima est le vrai Masao Yoshida. C'est un exemple, mais qui illustre le manque de choix de l'équipe créatrice et explique d'où vient le sentiment que sans être fondamentalement mauvaise, The Days est globalement un machin un peu informe, qui fonctionne moins grâce à sa puissance dramatique, assez faible, que grâce à la force inhérente à son sujet extraordinaire. The Days est plus informative qu'émotive, ce qui peut suffire d'un certain point de vue intellectuel, mais la rend très largement déficiente d'un point de vue artistique.

 

The Days : photoLa photographie est une grosse déception

 

La mise en scène est d'ailleurs à ce titre d'une pauvreté alarmante. Concrètement, on passe la majeure partie de notre temps dans une salle de contrôle à écouter des personnages sans âme décrire ce qu'il se déroule dehors, hors champ. Show don't tell, tout ça. Alors oui, c'est sûrement comme cela que ça se passe pour de vrai, mais c'est très maigre pour susciter quoi que ce soit dans le cadre d'une fiction dramatique. Paradoxalement, ce souci suprême de réalisme (jusqu'à un carton final qui nous jure sur la tête de notre mère que tout ce qu'on vient de voir est vrai) est tout de même assez douteux, moins à cause de ce que la série montre qu'à cause de ce qu'elle ne montre pas.

En particulier, les failles humaines et la mise en cause de Tepco, la société manager de Fukushima largement épargnée par The Days. Pointée du doigt dès le début de l'incident à cause de ses mensonges au public sur la gravité de la situation camouflant son incompétence dans la gestion de crise, Tepco finira condamnée pour ne pas avoir mis en place des mesures de sécurité suffisantes pour prévenir cet accident jugé évitable par les autorités japonaises. Mais nulle trace de tout cela ici, c'est même tout juste si Tepco n'est pas prise en pitié par Netflix. Étonnant, quand on sait que la leçon de Chernobyl était : c'est précisément à cause de ce genre de laxisme vis-à-vis de la réalité qu'on aboutit à Fukushima.

 

The Days : Affiche officielle

Résumé

Pas déplaisante, The Days n'est pourtant pas à la hauteur de son sujet, qui n'a peut-être pas été trahi dans les faits, mais dont l'esprit a été abandonné.

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commentaires
baxter
15/06/2023 à 14:37

très trés bonne série, très réaliste avec une certaine lenteur angoissante mais appréciable. Je ne comprends pas autant de critiques.

Tophyze
10/06/2023 à 16:22

Perso, je n'aurais même pas donné plus d'une demi étoile à cette serie de me...

Karev
06/06/2023 à 17:50

@Lino, pas de soucis ! Pas encore vu la série mais hélas rien de surprenant, Nakata torche que des trucs fades depuis 15 ans, il réalise parfois jusqu'à 3 films par an, un rythme digne d'un Takashi Miike mais de façon totalement anecdotique, y compris en revenant sur "sa" franchise avec l'horrible Sadako.

Eddie Felson
06/06/2023 à 06:57

@Kevin
La VO est plutôt un atout immersif participant au réalisme de la reconstitution et, d’une manière générale, une vost est toujours préférable à une version doublée qui altère par principe une part plus ou moins importante du jeu des acteurs.

Kevin
06/06/2023 à 06:26

La série n'est pas en français seulement sous titres français ça reste un gros point noir

Eddie Felson
05/06/2023 à 21:48

Pas aussi passionnant et percutant que Tchernobyl mais tout sauf indigne. Pas si dénué d’intérêt la reconstitution étant assez réussie.

Lino Cassinat
05/06/2023 à 19:28

Hello @Karev

Et bah justement, je cherchais des renseignements techniques ce matin sans trouver, avec les plates-formes de streaming il arrive les fiches wiki et imdb soient remplies d'heures en heures après diffusion. Je rajoute, merci de la précision.

(Et je suis tout aussi étonné que ce super cinéaste nous ait fait un truc aussi fade)

Karev
05/06/2023 à 18:57

étonnant que l'article ne précise pas le nom du réalisateur de la série : Hideo Nakata, oui le même que celui des formidables Ring et Dark Water.

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