Daisy Jones & The Six : critique en Si mineur sur Amazon

Axelle Vacher | 24 mars 2023 - MAJ : 27/03/2023 15:06
Axelle Vacher | 24 mars 2023 - MAJ : 27/03/2023 15:06

Si Taylor Jenkins Reid a écrit quelque huit romans depuis 2013, c'est sa sixième oeuvre, Daisy Jones & The Six, qui vient tout juste d'avoir droit à son adaptation télévisée sur Amazon Prime Video. Cette mini-série de dix épisodes, showrunnée par le duo Scott Neustadter-Michael H. Weber et menée notamment par Sam ClaflinRiley Keough et Suki Waterhouse, est-elle à la hauteur de la réputation de matériau d'origine, ou son passage au petit écran en a-t-il travesti le propos ?

Moneycomb

Disposer d'une connexion internet et d'un réseau social quelconque suffit amplement à savoir qui est Taylor Jenkins Reid. Largement popularisée à la suite du succès de son roman Les Sept Maris d'Evelyn Hugo, son oeuvre suivante, Daisy Jones and The Six, a été vendue à plus d'un million d'exemplaires après sa publication en 2019. C'est pourtant en 2017 que l'idée d'une adaptation sérielle a vu le jour, lorsque Scott Neustadter (500 jours ensemble, Nos étoiles contraires) a découvert le manuscrit du livre deux ans avant sa parution.

Séduit par ce récit librement inspiré du groupe Fleetwood Mac, le scénariste et producteur en fait part à sa femme, la directrice cinéma et série de la société Hello Sunshine (co-fondée par Reese Witherspoon). Ensemble, tout ce beau monde décide alors de présenter le projet à Jennifer Salke, laquelle vient tout juste d'être nommée à la tête d'Amazon Studios. Ni une ni deux, une adaptation est commandée et son succès savamment préparé en amont par l'actrice de Big Little Lies.

 

Daisy Jones & The Six : photoBeatles style

 

Le récit possédait ainsi une base solide d'aficionados désespérant de découvrir un jour la sulfureuse Daisy Jones en chair et en os. Y comprendre : une occasion en or pour Prime Video d'enrichir son catalogue tout en raflant quelques nouveaux abonnés au passage. Désireuse de ne pas rater son coup, la plateforme n'a pas lésiné sur les moyens.

Des coachs vocaux et des musiciens ont ainsi été engagés afin de préparer le casting aux séquences musicales, tandis que l'atmosphère du Los Angeles des années 70 a été rendue au détail près grâces aux décors, accessoires, pléthore de costumes à imprimés floraux et autres coiffures tirées des cauchemars de la génération X. 

 

Daisy Jones & The Six : Photo Sebastian Chacon, Josh WhitehouseMulet, moustache et zéro ceinture de sécurité

 

Visuellement, le cahier des charges a été diligemment rempli. Et il ne s'agirait pas de bouder le casting non plus. Principalement portée par Sam Claflin (dont la filmographie est aussi éclectique qu'inégale) et Riley Keough, laquelle n'est autre que la petite fille d'Elvis Presley en personne, la série profite d'une panoplie de comédiens loin d'être inintéressante. 

D'un côté, les mannequins Camila Morrone et Suki Waterhouse achèvent d'apporter à Daisy Jones and The Six son lot de vedettes connues du grand public. De l'autre, trois acteurs à la célébrité moindre, Will Harrison, Josh Whitehouse, et Sebastian Chacon, interprètent les autres membres des Six, et laissent ainsi au spectateur le loisir de pleinement associer leurs traits à ceux des personnages. 

 

Daisy Jones & The Six : photo, Riley Keough, Sam Claflin, Suki Waterhouse, Will Harrison, Sebastian Chacon, Josh WhitehoStar power

 

Sex, drugs, and PG-13

Tous les éléments requis à l'épanouissement du projet semblaient donc réunis. Du moins, sur le papier. Il incombait au demeurant à la série de réaliser son potentiel tout en restant fidèle à l'oeuvre originale. En d'autres termes, il lui fallait réussir à transmettre au spectateur un cocktail mêlant glamour, hédonisme, liaisons diverses et variées sans toutefois négliger le revers de la médaille. Que serait le mantra "sexe, drogues et rock'n'roll" sans une bonne dose d'alcoolisme, de toxicomanie, d'egotrips et de quelques scandales bien choisis ?  

On pourra cependant largement reprocher à Daisy Jones and The Six son côté gentillet, résolument trop lisse pour que les épreuves vécues par les personnages aient réellement un impact viscéral sur la série, dans le fond comme dans la forme. Certes, l'époque a été rendue avec une méticulosité fort louable, mais mise en scène et scénario manquent un tantinet de panache pour réellement traduire la dimension fantasque, presque lunatique de ses différents personnages. 

 

Daisy Jones & The Six : photo, Riley KeoughPoint bonus pour l'ensemble des tenues de scène de Daisy

 

Alors oui, la série compte son lot de verres d'alcool descendus comme de l'eau, de pilules et de poudres en tout genre, et d'une paire de fesses ou deux, mais elle reste globalement bien sage et convenue. Peut-être la plateforme avait-elle peur de froisser son potentiel nouveau public, peut-être était-il question, comme bien souvent à Hollywood, de s'adresser au plus grand nombre ? Ou peut-être les exécutifs Neudstadter et Michael H. Weber n'ont-ils pas souhaité s'éloigner de la littérature Young Adult à laquelle appartient le livre de Jenkins Reid ? 

Quelle que soit la réponse, le manque de prise de risque devient rapidement flagrant au spectateur. Une fois les trois premiers épisodes passés, l'intrigue n'échappe nullement aux clichés propres au genre. Les déboires émotionnels des personnages prennent ainsi régulièrement l'ascendant sur le récit, ce qui, en soi, est loin d'être un drame pour une série telle que Daisy Jones & The Six.

Il est effectivement regrettable que la série ne se soit pas davantage abandonnée à son sujet. Mais après tout, ce sont les personnages, leurs réussites et leurs chagrins qui ont pour tâche de faire avancer l'histoire. Il n'est toutefois pas rare que l'exploration de ces divers arcs intimes soit prompte à la répétition – ce qui est d'autant plus flagrant que Daisy et Billy ont une fâcheuse tendance à réitérer les mêmes erreurs.

 

Daisy Jones & The Six : photo, Riley Keough, Sam ClaflinDes maux doux 

 

Rock en Prime

La structure narrative en analepse oscillant entre deux chronologies distinctes a au moins le mérite de garantir l'engagement du spectateur. Tel un morceau habilement composé, la série ne manque pas de rythme (le contraire eut été un comble) et se joue habilement d'un certain suspense. Malheureusement, l'intelligence du dispositif rétrospectif est quelque peu affaiblie par le refus de réellement vieillir les personnages dans les années 90. 

Nul doute que certains individus disposent de meilleures compositions génétiques que d'autres. Que l'on essaie toutefois de faire avaler au spectateur au moyen d'une ou deux perruques grisonnantes que vingt ans se sont écoulés entre les faits et le moment où les personnages acceptent finalement de revenir sur les faits en question a définitivement quelque chose de cocasse – pour ne pas crier à la mauvaise blague.

 

Daisy Jones & The Six : photo, Riley KeoughCette femme détient le secret de la fontaine de Jouvence, à bon entendeur 

 

Cette maladresse diminue non seulement la portée des évènements passés et de leurs répercussions, mais surtout, amenuise le fameux silence jalousement gardé par les personnages pendant plusieurs décennies. Le récit manque ainsi d'une certaine profondeur, d'une sorte de dimension solennelle, qu'il était pourtant possible d'éprouver à la lecture du roman. 

La série parvient néanmoins à compenser ses torts en diminuant le nombre de personnages présents dans l'oeuvre originale pour mieux étoffer les autres. Camila est ainsi devenue à la fois un membre honorifique des Six, mais surtout un individu bien plus complexe qu'elle ne l'était dans le livre. Il en va de même pour Simone, laquelle n'est plus cantonnée au simple rôle d'amie fidèle, et profite désormais de son propre arc personnel – par ailleurs l'un des plus touchants de l'ensemble.

 

Daisy Jones & The Six : photo, Camila Moreno, Camila MorroneGirlboss

 

De fait, il semble par moments que la série se soit davantage appliquée à développer l'ensemble de ses protagonistes qu'à assurer une trame de fond suffisamment robuste pour les y faire évoluer. Les performances sont néanmoins si substantielles que celles-ci éclipsent en partie les éventuelles lacunes narratives. Il serait effectivement de bien mauvaise foi de ne pas reconnaître l'investissement du casting au sein du projet ; Claflin et Keough en particulier jouent leurs partitions respectives avec un enthousiasme évident, ce que leur alchimie naturelle semble nourrir d'autant plus.

Au demeurant, il est fort possible que les aficionados les plus aguerris du roman ressortent insatisfaits des dix épisodes que compte la série. En effet, les différences par rapport à l'oeuvre de Jenkins Reid sont légion, mais d'aucuns seraient en mesure d'arguer que ces changements ont été effectués en vue de mieux transposer le récit à l'écran. Somme toute, la proposition est généreuse, les personnages sont attachants, et les scènes musicales ont manifestement été longuement travaillées en compagnie de nombreux professionnels du milieu. Et c'est peut-être bien là tout ce qu'il fallait en attendre.

Daisy Jones & The Six est disponible en intégralité sur Amazon Prime Video depuis le 24 mars 2023

 

Daisy Jones & The Six : Affiche Riley Keough

Résumé

On en conviendra aisément, l'intrigue tourne en rond plus que de raison, et il ne s'agit pas nécessairement d'une adaptation bien fidèle de l'oeuvre de Taylor Jenkins Reid. Toutefois, Daisy Jones & The Six n'en demeure pas moins une proposition généreuse, voire électrisante par moments.

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commentaires
Miss M
28/03/2023 à 13:14

" Une fois les trois premiers épisodes passés, l'intrigue n'échappe nullement aux clichés propres au genre." Mais... c'est surtout que, n'en déplaise aux accrocs aux biopics, la plupart des histoires de tous ces "groupes génialissimes et stars de ouf" ont toujours été du même accabit : sexe, drogue, stars systèmes, amours malheureuses, trahisons, ... On entend une histoire on les entends (almost) toutes.

Moi je me suis laissée portée par les 10 épisodes sans avoir la prétention d'une attendre quelque chose de spécifique et d'exigeant. Au regard des (trop) nombreuses séries qui degueulent des plateformes à tour de bras, en voilà une, ayant le bon goût d'être courte, où on peu sentir que les gens ont pris leur pied sur le tournage et où une certaine qualité musicale, visuelle et scénaristique est là.

ALJ
26/03/2023 à 22:03

La personne qui écrit "je zappe et regarde Almost famous". Vous passez à côté d'une bonne serie juste pour rester guindé. La série es très bien. Je connais presque célèbre que j'ai vu plusieurs fois et je connais encore plus l'œuvre de Fleetwood Mac. Il faut voir la série comme un hommage aux groupes de vocales des années 70 comme fleetwood, Crosby, still and Nash.
La série montre aussi l'exploitation et la place des femmes dans l'univers musical des années 70, rien à voir avec le côté groupies de presque célèbre.
Une bonne série avec une bande son top entêtante (ce qui me gène un peu car on reconnaît czrement les accords des titre de Fleetwood Mac notamment the Chain).

Axelle Vacher - Rédaction
24/03/2023 à 23:55

@Magnitude (le vrai de vrai) / c'est comme les ours Berenstein/Berenstain cette histoire, j'étais persuadée que c'était l'inverse, haha. Merci du coup, je me coucherai moins bête.

Cinégood
24/03/2023 à 20:49

Aux fans de l'excellent Almoust Faous/Presque célèbre de Cameron Crow, je vous conseille sa série : "Roadies"
Elle n'a malheureusement duré qu'une saison, mais révélait une fois de plus l'amour profond du réalisateur pour la musique, les tournées et les coulisses de celles-ci.

Magnitude (le vrai de vrai)
24/03/2023 à 11:57

"sans toutefois négliger l'envers de la médaille" le revers de la médaille ou l'envers du décor ;)

Toujours le même problème, est-ce qu'on raconte une histoire, ou L'HISTOIRE. Ne connaissant rien de Fleetwood Mac, je me suis laissé porter par le récit, les personnages. Fan de musique, je regarde la plupart des adaptations. L'alternance de l'histoire, et des intervenants nous renvoie aux documentaires, et c'est un plus non négligeable. Le duo Billy / Daisy crève l'écran. Un charisme fou. Quelques longueurs dans certains malgré tout, mais rien de bien méchant.

C'est pas la série de l'année, mais une bonne série jusque là (épisode 6) avec une bande son agréable.

Morcar
24/03/2023 à 11:57

J'ai beau disposer d'une connexion internet et d'un compte sur plusieurs réseaux sociaux, je n'avais jamais entendu parler de cette auteure, de ces romans et de cette adaptation. Mais à la lecture de votre article m'est tout de suite venu à l'esprit le film de Cameron Crow "Presque Célèbre" que j'ai vu tout récemment. Ca parait être dans la même veine, mais je n'ai pas envie de suivre ça sur plusieurs heures.
Ca parait être un de ces projets dont une adaptation en film aurait suffit. J'ai de plus en plus l'impression que le principe de série TV a été sacrément détourné ces dernières années. Plus ça va, et plus il s'agit en réalité de longs films de plusieurs heures, découpés en épisode sans que chacun n'ai de sens à lui seul. Entre ça et les films aujourd'hui souvent trop longs, les scénaristes et réalisateurs ne savent plus proposer quelque chose tenant sur deux heures au plus.

Flash
24/03/2023 à 11:28

Même si ça à l’air un peu lisse, surtout quand on connaît l’ histoire de Fleetwood Mac qui est assez volcanique.
Je vais jeter un œil , la bande son a l’air bien sympa en plus.

CuchulainBzh
24/03/2023 à 11:22

Du coup, je zappe et préfère revoir une nouvelle fois Almost Famous la pépite de Cameron Crowe, surtout dans sa version longue.

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