The Old Man : critique qui a la mort dans la peau sur Disney+

LE FUGITIF

Quand Jeff Bridges apparaît dans les premières secondes de The Old Man, son personnage se lève en pleine nuit pour aller soulager sa vessie une fois, deux fois, trois fois, avant de se réveiller après avoir eu une vision de sa femme morte. Seul, confus, le vieil homme barbu renvoie une image rarement vue à l'écran (qui rappelle celle de Samuel L. Jackson dans Les Derniers jours de Ptolemy Grey) : celle de la vieillesse, ingrate, cruelle, inéluctable, et de la solitude et la morosité qui l'accompagnent.

Usé, l'air triste, Dan Chase vit à la campagne avec ses deux Rottweilers dans un isolement presque total qui inquiète un peu sa fille, Emily, dont la voix au téléphone est le seul lien qu'il a avec l'extérieur. Hanté par son passé et par l'idée de développer une maladie dégénérative comme celle qui a emporté son épouse, le personnage porte le poids de son âge, mais cache aussi une inquiétude plus profonde, quasi constante.

Dirty Papy

Lorsqu'un assassin s'introduit chez lui et anéantit la vie paisible qu'il s'était construite, le vieil homme laisse finalement tomber le masque et retrouve aussitôt ses instincts de survie acquis quand il opérait pour la CIA pendant la guerre d'Afghanistan.

Dès lors, Dan est traqué par son ancien collègue et ami Harold Harper (John Lithgow), devenu directeur adjoint au FBI, et par sa protégée, Angela (Alia Shawkat) tandis que le scénario semble emprunter le même chemin tracé par Taken, Equalizer, Nobody et ces films personnifiés par Liam Neeson où des tueurs grisonnants sortent de leur retraite et éliminent tous ceux qui se mettent sur leur chemin.

Si elle s'inspire effectivement des codes des films d'action et d'espionnage, la série surprend avant tout par sa manière de les détourner, que ce soit par ses personnages, sa mise en scène ou ses éclats de violence.

Entre The Dude et Jason Bourne

Ainsi, alors que les héros du genre se débarrassent de leurs adversaires avec un tir précis entre les deux yeux ou en faisant preuve d'une étonnante inventivité, Dan Chase se bat la plupart du temps à mains nues et lutte comme il peut pour venir à bout des types envoyés à ses trousses qui ont la moitié de son âge.

Les combats au corps-à-corps sont féroces, brutaux et la réalisation, confiée à Jon Watts (Spider-Man : No Way Home) et Greg Yaitanes (Banshee, House of the Dragons) dans les premiers épisodes, injecte une tension brute. Les scènes s'étirent de longues minutes et épouse parfaitement le point de vue de ce vieil homme toujours redoutable, mais fatigué.

Aussi cool que dangereux

NO COUNTRY FOR OLD MEN

Quand la traque s'étend à tout le pays et que le scénario prend de l'ampleur, The Old Man sacrifie une partie de sa singularité pour s'inscrire dans un schéma plus classique (mais toujours efficace) : de l'action nerveuse, des décors impersonnels de bureaux gouvernementaux et des retournements de situation viennent plus ou moins redonner de l'élan à la narration.

À chaque épisode, des flashbacks dévoilent le passé de Dan auprès des moudjahidines quand il combattait l'invasion soviétique en Afghanistan. Des passages qui voudraient s'interroger sur les actions du héros (avec l'excellent Bill Heck pour incarner sa jeune version), mais qui ne servent, finalement, qu'à combler les trous au sein du récit ou le rallonger inutilement. 

Toutefois, malgré des rebondissements prévisibles et quelques longueurs (même si le nombre d'épisodes est passé de dix à sept après l'arrêt de la production), la série gagne en épaisseur en émotion, jusqu'à dévoiler une histoire plus noire, plus riche et plus complexe, entre film de fugitif, drame et thriller paranoïaque des années 70. Tandis que Chase et Harper, anciens alliés devenus meilleurs ennemis, jouent une partie d'échecs à distance en essayant d'anticiper le prochain coup de l'autre, le vieil homme fait la rencontre de Zoé (Amy Brenneman), une femme divorcée et solitaire qui s'attache à lui et qui se retrouve embarquée malgré elle dans cette chasse à l'homme.

"Hello, Dan Chase"

Au fur et à mesure, les personnages s'enfoncent dans un monde nébuleux et mortifère, où il est difficile de savoir quel est le bon camp, et chacun d'entre eux dévoile progressivement leurs deux visages : Dan est un vieillard charmant et attachant autant qu'un homme menaçant et impitoyable ; Harold veut se protéger des secrets qui pourraient être déterrés, mais songe à abandonner sa traque et sa carrière pour se consacrer à sa famille ; Angela est prise dans un conflit moral entre les deux milieux où elle a grandi et Zoé est une femme vulnérable et prise au piège qui se libère et qui tente de tirer avantage de la situation.

Cette ambiguïté impossible que chacun possède devient progressivement le coeur du récit et s'illustre d'abord dans les rapports entre les différents personnages, évoluant au rythme des révélations, mais aussi de scènes intimistes et mélancoliques. Ainsi, une conversation dans un jet privé vers une destination inconnue, un regard dans un rétroviseur ou un simple dîner en tête-à-tête s'avère parfois plus prenant que la course-poursuite haletante entre Dan et Harold ou n'importe quelle bonne scène d'action.

Cuisine et Dépendances

TRUE GRIT

Afin de donner de la substance et de la profondeur à son récit et ses personnages, The Old Man peut aussi (et surtout) compter sur son casting, absolument parfait, Jeff Bridges en tête. Avec sa voix enrouée qui dégage autant de légèreté que de lassitude, l'acteur apporte une gravité et une sincérité remarquables au vieil homme, capable de passer de la bienveillance à un regard inquiétant et impénétrable (une de ses explosions de colère dans un épisode est aussi saisissante que celle de Bryan Cranston durant la fameuse scène "I am the one who knocks" dans Breaking Bad).

Que ce soit par son calme trompeur ou la force terrifiante qu'il déchaîne lors des combats au corps-à-corps, Jeff Briges impressionne (encore plus en sachant qu'il était malade durant la première moitié de la production et qu'il a repris le tournage juste après s'être remis de son cancer et du Covid qu'il avait attrapé pendant sa chimiothérapie) et s'investit totalement pour traduire les blessures discrètes de son personnage, qui fuit perpétuellement.

Jeff Bridges qui veut être sûr de te toucher en plein coeur

Face à lui, tout aussi charismatique, John Lithgow est excellent, comme à son habitude, amenant une émotion déchirante à ce bureaucrate méticuleux et machiavélique qui est lui aussi un vieil homme rongé par le chagrin et les remords. Alia Shawkat, qui interprète sa protégée gagne en intensité jusqu'à la laisser déborder dans les derniers épisodes et  Amy Brenneman donne une sensibilité à Zoé qui rappelle son personnage dans Heat : alors qu'elle développe une étrange fascination pour ce vieil homme et l'univers dans lequel il existe, lui la voit comme son ultime chance de rédemption et de, peut-être, s'échapper définitivement.

D'autres rôles secondaires et oubliés au profit de la traque et des personnages principaux sont aussi incarnés par des acteurs et actrices brillants : Hiam Abbass (Blade Runner 2049, Succession, Oussekine) pour la femme disparue de Dan ; Gbenga Akinnagbe (Sur écoute, The Deuce) en tueur à gages implacable, ou encore le grand Joel Grey dans le rôle d'un vieil agent mystérieux de la CIA.

Alia Shawkat, révélation aux côtés des légendes

En définitive, cette première saison, bien qu'inégale, installe une toile de fond familière en s'efforçant d'éviter les intrigues convenues pour proposer une histoire tendue et déconcertante. Si la deuxième saison, déjà annoncée, réussit à muscler la narration tout en parvenant à garder le travail autour des personnages et cette ambiance sombre et désespérée, The Old Man pourrait bien transcender son postulat de départ et ses limites pour devenir une des meilleures séries du genre.

The Old Man est disponible en intégralité depuis le 28 septembre 2022 sur Disney+