Better Call Saul saison 6 : critique qui enterre Breaking Bad sur Netflix

Simon Riaux | 19 août 2022 - MAJ : 19/08/2022 18:02
Simon Riaux | 19 août 2022 - MAJ : 19/08/2022 18:02

Pourquoi et comment Better Call Saul est parvenue à se hisser au sommet de la production sérielle américaine, jusqu’à proposer, à l’occasion de l’épisode final de sa sixième saison, une tragédie aux ramifications aussi profondes que passionnantes pour le spectateur ? Essayons de comprendre ce qui fit et fera du spin-off de la célébrée Breaking Bad la clef de voûte d’une certaine idée du divertissement.

ATTENTION : spoilers ! 

JIMMY A BREAK 

Spin-off et série jumelle de Breaking Bad, Better Call Saul entretient depuis ses origines d’innombrables connexions avec son aînée. De la grammaire visuelle qui y préside le plus souvent, en passant par son décor, sa philosophie de l’action et du montage, et bien évidemment ses personnages ou encore certaines de ses thématiques, les points d’achoppements entre les deux créations pleuvent. Et quoi de plus logique, l’existence de la seconde dépendant directement du formidable enthousiaste engendré par la première. Pourtant, à bien y regarder, les aventures de Saul Goodman auront choisi de retourner à la manière d’un gant les préceptes de son modèle, et ce jusque dans son ultime – et brillante – saison. 

Walter White était une incarnation de la corruption du rêve américain, ou une dénonciation de ses appétits inavouables. Goodman est une figure opposée, un type hâbleur, malin, voire malicieux, mais étonnamment bon. Et s’il s’évertue à enjamber les haies plantées devant lui par la loi ou la morale commune, c’est avant tout parce que la société qui l’encercle, jusqu’à son cercle le plus intime, le cantonne au rôle de l’arnaqueur.

 

Better Call Saul : photo, Bob OdenkirkLa classe à Vegas

 

Épouvantail bien pratique pour tous ceux qui l’observent, le futur spécialiste du blanchiment d’argent, s’il épouse progressivement les anti-valeurs auxquelles tout un chacun le cantonne, n’en ménage pas moins des échappatoires, de (vaines) tentatives de se racheter, ou à tout le moins de protéger son âme des dévoiements qui la caressent. Depuis le final glaçant de la troisième saison, qui propulsait un drame familial directement dans un tourniquet existentiel infernal, il était permis de croire que l’intrigue devenait finalement jumelle de son aînée. 

En effet, au fur et à mesure que Jimmy se muait en Saul, on pouvait être tenté de voir un parcours parallèle à celui de Walter White, lequel apprenait progressivement à accepter l’ignominie de ses ambitions et son goût sincère pour la violence et la domination. Sauf que caramba, encore raté, Better Call Saul nous rappelle, au gré d’un dernier tour de piste aux soubresauts totalement imprévisibles qu’elle n’avait rien d’un écho ou d’une redite piteuse. 

 

Better Call Saul : photo, Bob OdenkirkSe mettre au vert

 

LA BEAUTÉ DES GESTES 

On n’est jamais plus que la somme de ses actes. Tel pourrait être le mantra de cette fable amère et pourtant optimiste, dirigée par Peter Gould et Vince Gilligan. Leur goût pour la physicalité des situations, leur attachement à la matérialité n’a rien de neuf, et s’appliquait pour partie aux mésaventures de Walter White. L’importance accordée ici au mouvement, au jeu de domino tantôt subtil tantôt destructeur engendré par chaque action est redoublée. 

Mais comment pourrait-il en être autrement ? Alors que chaque personnage voit son étau personnel se refermer sur lui, arrestation, fuite ou survie sont parfois la conséquence d’une sucrerie mal découpée, d’un pas incertain, d’un verre oublié ou d’un canular à la chute approximative. Les rouages de la tragédie apparaissent simultanément opaques et limpides, tant ils tardent à nous dévoiler l’effet de chaque tour de manivelle, sans dissimuler pour autant leur mécanique à nos yeux. 

 

Better Call Saul : photo, Bob OdenkirkLà où il y a Gene, y a pas de plaisir

 

Au cœur palpitant de ce dispositif, Kim et Jimmy, couple infernal mais désarmant, mû par un amour total, assez fort pour faire abandonner à chacun d’eux tout garde-fou moral. D’où une première moitié de saison passionnante via le contrepied qu’elle prend. La saison 5 s’achevait sur la promesse d’une impitoyable vengeance de Lalo, synonyme de détonnant jeu de massacre ? 

Nous enchaînerons avec la mise en place d’une arnaque cosmique du couple, aussi gratuite qu’ambitieuse, avec en ligne de mire la réputation d’un confrère honni. Entre Maman j'ai raté l'avion et une relecture blagueuse de Cassavetes, on en viendrait presque à se demander quelle mouche a piqué les scénaristes. Une mouche bien identifiée, sortie des romans de Jimmy Thompson, maître du roman noir, chroniqueur génial des spirales d’amour toxiques comme des méticuleuses foirades. Better Call Saul en duplique cette année le désespoir... avant de le retourner comme un gant. 

 

Better Call Saul : photo, Rhea SeehornLa véritable héroïne ?

 

GRANDEUR DES PETITS DÉTAILS  

L’un des plus beaux paradoxes de cette dernière saison sera de nous apporter émotion et chocs précisément où on ne les attendait pas. Où on ne les attendait plus. L’alliance délétère de Kim et Jimmy n’appellera pas un raz-de-marée en forme de vengeance mexicaine, pas plus que les choix de l’un ou l’autre les promettront mutuellement à la damnation. Au contraire, pour sa dernière éruption, la série feint d’abord de s’assécher. 

Le duo de showrunners avait pris soin de bâtir dès son premier épisode leur récit autour d’une tenaille narrative et esthétique. En effet, chaque saison s’ouvrait sur une séquence ou une poignée de scènes en noir et blanc, située dans une temporalité différente, distante de plusieurs années de la trame principale de l’ensemble. Plus conséquentes saison après saison, elles se devaient de prendre tout à fait forme et de se révéler plus qu’un effet de style plaisant, sous peine de virer au soufflé mal cuit. 

 

Better Call Saul : photo, Michael MandoQuand ça veut pas...

 

Les années passant, on aura découvert le quotidien fastidieux de cet aspirant ténor du barreau devenu baryton de cartel, reconverti in extremis dans la gestion d’échoppe de supermarché. Un goutte-à-goutte de malheur insidieux, en noir et blanc, où pointaient progressivement les aspérités de la personnalité remuante de Jimmy. 

Jusqu’à ce que cet équilibre soit rompu à la faveur d’un épisode à la tonalité grave et tranchante, intégralement situé dans le “présent” larron en fuite. Non seulement Better Call Saul s’autorisait, à trois chapitres de sa conclusion, à passer par-dessus bord presque tous les personnages établis pour en introduire une galerie d’inédits. Un geste presque suicidaire, qui tranchait en termes de rythme et d’image, tout en redistribuant toutes les cartes auxquelles étaient jusqu’alors habitués les spectateurs. 

Soudain parfaitement désenchantée, tant par la soif de l’arnaque qui préside de nouveau à l’existence de son personnage principal, que par la conscience du public de l’inéluctabilité du cataclysme qui couve, l’histoire se pare dès lors des atours du grand film noir. 

 

Better Call Saul : photo, Bob OdenkirkLa nuit du chassé

 

KIM DES BRUMES 

Sauf qu’ici, l’absence de couleur n’est ni une norme technique ni une coquetterie graphique. Si les teintes du monde se sont retirées, c’est parce que celui qui prétend s’appeler Gene Takavic, après avoir escaladé son Golgotha personnel pour devenir l’éclatant Saul Goodman, a vu tous les pigments de l’univers faner. 

C’était évident, sinon annoncé. Better Call Saul était une histoire d’amour. Celle de deux humains cabossés, fascinés l’un par l’autre, et dont le pas de deux ne pouvait s’effectuer ailleurs qu’en dansant sur les crânes de leurs semblables. Et parce que justement Saul Goodman n’est pas Walter, que Kim n’est pas Skyler, ni l’un ni l’autre ne pouvaient emboîter le pas à la horde de furieux assassins qui les guettent durant cette ultime saison. 

Et c’est ainsi que cette ultime fournée nous bouleverse deux fois. Quand, grâce au jeu chirurgical de Rhea Seehorn, Kim déclame en un même mouvement son amour imprescriptible, et la nécessité pour celui-ci d’être interrompu. Quand, enfin, Bob Odenkirk transforme son protagoniste en héros, rompant avec le déterminisme qui a jusqu’alors toujours présidé les travaux de Vince Gilligan. 

 

Better Call Saul : photo, Bob OdenkirkUne dernière carte à abattre

 

C’est quand Jimmy/Saul/Gene n’a plus aucun intérêt à jouer contre lui, aucun intéressement à l’empathie, qu’il se montre à même de faire un choix. Pas tant pour sauver son ex-femme Kim Wexler, que sauver l’amour qu’il lui porte, et qui le sauva. Vieilli, abasourdi, résolu au sacrifice, Goodman porte enfin bien son nom alors qu’il transforme la cour réunie pour le juger en un confessionnal. 

Et la série s'achève sur la répétition de ce qui fut une de ses toutes premières scènes. Jimmy et Kim, adossés à un mur, fumant tour à tour une même cigarette, dans un sublime pastiche de film noir. À la différence que notre couple est désormais dans la situation inverse des débuts de la série. De silhouettes noires se détachant de l’horizon coloré du Nouveau-Mexique, ils se sont transformés en archétypes étonnamment éclatants du cinéma d’hier, soudain libérés de leur programme initial. 

Et alors que leurs routes se séparent, que s’éloignent de la caméra leurs pupilles étincelantes et rayées par les larmes, que se redressent leurs colonnes vertébrales, c’est un peu de nous que ces deux âmes abîmées ont sauvé. 

La dernière saison de Better Call Saul est disponible en intégralité sur Netflix

 

Better Call Saul : photo

Résumé

De la très efficace Breaking Bad est née la prodigieuse Better Call Saul. Celle-ci peut désormais se targuer de nous avoir offert un des épilogues les plus émouvants, cohérents et tragiques du paysage sériel américain.

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commentaires
NalexTT
14/09/2022 à 03:10

Ceux qui n'apprécient pas cette série : achetez-vous un cerveau et un coeur, car il y a au moins un de ces deux organes qui ne fonctionne pas chez vous.

Ozymandias
03/09/2022 à 02:19

Excellente série et saison, rien à redire...

Spidy
24/08/2022 à 19:43

@Simon Riaux, merci pour votre réponse :)

Fmontale
24/08/2022 à 18:01

Scotché aussi par la qualité de cette série. Tous les personnages ont une épaisseur énormes et jouent trés juste.

Je suis d'accord avec l'analyse sur la matérialité et l'importance accordée au physique, l'épisode sur le casse du super marché en est un parfait exemple avec ses scènes répétées de préparation et d'engloutissement du cinnamon roll géant.

Le final est en effet incroyablement bien vu avec ses jeux de miroir entre le premier témoignage de Saul pour la négociation et celui qu'il donne finalement. mais aussi avec la scène de sa plaidoirie pour regaggner sa robe d'avocat ( et dont le final avec l'aveu à Kim qu'il avait tout simulé m'avait scotché).

Le temps long, propre au série, a permis aux réalisateurs de forger une image précise de qui sont les deux protagonistes principaux, ancrés dans une réalité précise. C'est cette connaissance intime de la psychologie et du vécu des personnages qui fait de cette conclusion un accomplissement parachevant un chef d'oeuvre en lui donnant un sens profond , véritable clef de voute d'un édifice patiemment construit épisode aprés épisode.

Simon Riaux
23/08/2022 à 10:44

@Spidy

C'est un plus, et l'occasion d'apprécier ou de suivre certains parcours avec une perspective différente, mais ce n'est nullement un frein à la compréhension de la série.

Spidy
23/08/2022 à 10:42

Faut-il avoir absolument suivi breaking bad pour apprécier cette série à sa juste valeur ?

Vg
22/08/2022 à 12:49

Les mecs font les 2 meilleures séries de tous les temps, coup sur coup, et ridiculise toutes les tentatives de prequel précédentes.
Une leçon.

Renaud Strato
22/08/2022 à 11:20

Excellente analyse de Simon que je plussoie.

Clap de fin grandiose pour cette pépite (le haut du panier en terme de série), l'indispensable complètement de l'autre masterclass qu'était Breaking Bad.

C'est donc le cœur lourd qu'on fait ses adieux à tout cet univers.

Maîtrise de l'écriture, de mise en scène et de l'étude fouillée de ses nombreux personnages haut en couleur (aucun n'est présent pour faire de la figuration).
Tout en subtilité et sobriété.

À l'instar d'un Sam Esmail (Mr Robot), d'un Steven Knight (Peaky Blinders), Vince Gilligan et Peter Gould sont des génies.

La Classe Américaine
21/08/2022 à 21:35

Fan inconditionnel de la premiere heure de Breaking Bad, je n'ai pas du tout accroché avec ce spin-off. Au bout de 3 épisodes, j'ai lâché l'affaire. Peut-être encore trop dans les vapeurs de Breaking Bad pour vraiment passer a autre chose, je garde le souvenir d'épisodes lents ou il ne se passait pas grand-chose.

Sing bellemud
21/08/2022 à 20:14

J'ai détester cette série... Du premier au dernier épisode !! Un véritable échec je trouve mais bon... Il en faut pour tout les goûts a ce qu'il paraît

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