Mai : critique maman sait faire une bonne vengeance sur Netflix

Clément Costa | 21 avril 2022 - MAJ : 21/04/2022 11:07
Clément Costa | 21 avril 2022 - MAJ : 21/04/2022 11:07

Après l’excellente série policière Paatal Lok sur Prime Video et le film horrifique Bulbbul, l’actrice-productrice Anushka Sharma présente sa nouvelle série pour Netflix. Dans Mai, la Rage d'une mère on suit une mère endeuillée en quête de justice. Nouvelle réussite ou thriller tiède ?

(a)mère patrie

En quelques années à peine, la maison de production Clean Slate Filmz s’est illustrée dans le cinéma de genre indien. Avec l’actrice-productrice Anushka Sharma à sa tête, le studio a la réputation de présenter des histoires prenantes et radicales, très virulentes envers la société indienne. L’annonce d’une nouvelle collaboration avec Netflix pour une série avait donc de quoi nous enthousiasmer.

Et dès les premières minutes, la recette Clean Slate semble prendre. On a le combo classique du bon polar à l’indienne : des affaires de corruption, un portrait glaçant des violences sociales qui rongent le pays, des tensions communautaires. Ajoutons à cela un accident brutal qui n’en est pas un et on embarque très vite dans cette enquête. L’histoire suivra ainsi Sheel, une mère de classe moyenne cherchant la vérité sur la mort de sa fille.

 

Mai, la Rage d'une mère : photoUne enquêtrice ancrée dans un univers réaliste

 

Cette idée d'une mère seule face au système hante le cinéma indien. On peut penser au superbe Kahaani de Sujoy Ghosh ou encore à Mom, dernier rôle de la regrettée Sridevi. Atul Mongia et Anshai Lal, les deux réalisateurs de la série, décident de se démarquer en adoptant une approche très réaliste. Sheel n'est pas une super-héroïne de fiction qui se découvre être la réincarnation de Sherlock Holmes du jour au lendemain. Son enquête patine, elle se trompe souvent et en subit les conséquences. En ce sens, Sheel peut évoquer Sarah de The Killing, l'expérience professionnelle en moins.

L'approche réaliste se traduit logiquement par un rythme plutôt lent. Pas question d'avoir une enquête frénétique où chaque élément est réglé dans la seconde façon Les Experts. Et si Mai manque parfois de panache, sa relative lenteur présente deux avantages. Tout d'abord, elle permet au récit de dresser un portrait acerbe et détaillé de l'Inde contemporaine. Et grâce à ce faux rythme, chaque explosion de violence voit son efficacité décuplée. Sans rien spoiler, on se laissera surprendre par quelques plans d'une brutalité viscérale inattendue.

 

Mai, la Rage d'une mère : photoVous avez dit violence ?

 

How I met your daughter

Ce qui fait la force des productions Clean Slate, c'est leur identité visuelle. On se souvient encore de la beauté onirique de Bulbbul ou de l'atmosphère pesante de Paatal Lok. Avec Mai cependant, la technique semble reléguée au second plan. Atul Mongia a pourtant été réalisateur de seconde équipe sur Titli, une chronique indienne, une leçon de cinéma social qui ne néglige pas la forme pour le fond.

Globalement, Mai coche les cases du polar Netflix classique, rien de plus. La mise en scène n'est jamais honteuse, mais elle ne cherche pas à être plus que fonctionnelle. On alterne entre jolis plans qui utilisent plutôt bien les jeux d'ombres et champ-contrechamp banal. Quand on sait que les séries Netflix indiennes peuvent avoir l'ambition visuelle de Le Seigneur de Bombay, un résultat simplement correct a de quoi frustrer.

 

Mai, la Rage d'une mère : photoAvoir la lumière à tous les étages

 

Pour pallier le manque de rythme et le trop grand nombre de personnages secondaires, le montage tente d'insuffler un sentiment d'urgence. Certains sauts temporels empiètent cependant sur la cohérence de l'histoire. Au-delà d'une gestion temporelle parfois confuse, des personnages se trouvent par magie pile là où ils doivent être afin de déclencher la suite d'événements nécessaires au scénario. Si l'écriture est généralement très bien tenue, ces facilités sont regrettables.

On retrouve avec plaisir plusieurs des thématiques chères aux productions Clean Slate. L'engagement féministe subtil et réfléchi, la colère envers les institutions, tout cela fonctionne. On regrettera tout de même un manque d'intensité. Mai reste très sage si on le compare à la méchanceté hallucinante d'un Paatal Lok ou à la colère de NH10 et Bulbbul. Peut-être une piste à explorer si la saison 2 annoncée par le twist final voit le jour.

 

Mai, la Rage d'une mère : photo

Quand on te demande plus de colère pour la saison 2

 

Qui a tué Supriya Rose ?

La grande force de Mai repose sur son personnage principal. Complexe et profonde, Sheel n'est jamais une caricature. C'est toujours passionnant d'avoir une héroïne forte et nuancée, hautement imparfaite. Si elle subit un rôle que la société lui impose, il y a dans sa rage comme dans son amour quelque chose d'inquiétant. Ce spectre psychotique sous couvert d'amour maternel immaculé n'est d'ailleurs pas sans rappeler Mother de Bong Joon-ho.

À la fois craintive et anormalement courageuse, Sheel ne semble jamais choquée par la violence qui éclate autour d'elle. Certainement parce qu'elle subit déjà cette violence symbolique depuis sa naissance. Elle n'est par ailleurs jamais déifiée. On ne nous épargne ni ses failles ni ses excès de cruauté. À l'image du rapport ambigu qu'elle entretient avec un jeune homme qu'elle séquestre pour obtenir des réponses. Une sorte de relecture moins nihiliste de Prisoners. Et pour couronner le tout, l'actrice Sakshi Tanwar est fabuleuse dans le rôle. Habituée aux seconds rôles et aux séries de piètre qualité, elle a enfin l'occasion de briller et ne la manque pas.

 

Mai, la Rage d'une mère : photoTu aimes le cinéma de Villeneuve ?

 

On aimerait dire que tous les personnages sont écrits avec autant de soin que Sheel. Malheureusement, c'est loin d'être le cas. Mai compte beaucoup de personnages secondaires. Beaucoup trop. L'amie sortie de prison pour avoir tué son mari violent, l'épouse du policier en pleine dépression, le bleu incertain qui veut monter en grade... Ces personnages monopolisent bien trop de temps à l'écran, pour un intérêt narratif quasi inexistant.

On retiendra tout de même des personnalités marquantes. La belle-famille détestable au possible qui incarne l'indécent culte de la réussite sociale en Inde. Ou encore le grand méchant qui débarque à deux épisodes de la fin pour dynamiser le récit et offrir des séquences franchement palpitantes. Mais voilà, son arrivée brise totalement le cadre réaliste et épuré qui avait été posé sur le reste de la saison. La malhonnêteté du cliffhanger final illustre parfaitement cet entre-deux. Le tiraillement entre récit pop à suspense et cadre réaliste.

Mai, la Rage d'une mère est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 15 avril

 

माई : Affiche officielle

Résumé

Servi par une écriture maîtrisée et une actrice principale totalement investie, Mai est un polar plutôt efficace, mais trop classique. Si le contrat qualité Netflix est plus que rempli, on était en droit d'en attendre un peu plus.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(3.9)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire