Inventing Anna : critique d'une arnaque Netflix

Alexandre Janowiak | 14 février 2022 - MAJ : 16/02/2022 12:07
Alexandre Janowiak | 14 février 2022 - MAJ : 16/02/2022 12:07

Après avoir lancé La Chronique des Bridgerton en décembre 2020 sur NetflixShonda Rhimes continue sa collaboration avec la plateforme au N rouge avec une mini-série : Inventing AnnaUn intrigue tirée de l'histoire vraie d'Anna Delvey/Sorokin, jeune allemande ayant escroqué des dizaines de personnes dans l'espoir de devenir une riche entrepreneuse new-yorkaise.

la chronique de delvey

Au tout début de l'épisode 8 de Inventing Anna, la journaliste Vivian Kent (incarnée par la trop rare Anna Chlumsky) vient de publier son article sur la mystérieuse Anna Sorokin aka Anna Delvey. Et alors que son mari est impressionné que le sujet fasse encore le buzz sur Internet, deux mois après sa publication, elle semble dépassée par les événements, se faisant une réflexion assez précise sur la situation : "On dirait que tout le monde est passé à côté de l'histoire. [Pour moi] elle parlait de classes, de mobilité sociale, de l'identité sous le capitalisme... je ne sais pas. C'est peut-être ma faute, je suis peut-être passée à côté".

Et cette phrase semblant anodine est peut-être ce qui décrit le mieux le gros problème entourant cette série Netflix showrunnée par Shonda Rhimes : elle parle de tout et in fine de rien. Car indiscutablement, il y avait le potentiel pour faire de Inventing Anna une de ses grandes séries sur des destins hors du commun, avec cette histoire de manipulation et d'arnaques à grande échelle.

 

Inventing Anna : Photo Anna ChlumskyUne journaliste perdue (et nous aussi)

 

Tout au long des neuf épisodes composant la série, on sent d'ailleurs que la créatrice de Grey's Anatomy est animée par de nombreux sujets. Pour elle, Inventing Anna, loin d'être le simple récit d'une arnaqueuse, semblait être le moyen de raconter une facette obscure du capitalisme, de poser un regard sur cette génération obnubilée par les apparences, de se questionner sur la lutte des classes, l'impossible ascension sociale, la plus grande difficulté des femmes à progresser dans la société par rapport aux hommes, le pouvoir des élites, le règne du rien voire du vide à l'ère des réseaux sociaux...

Car oui, à sa manière, Shonda Rhimes espère réussir là où a échoué la journaliste Jessica Pressler (autrice de l'article à l'origine de l'histoire et sur laquelle est basée Vivian Kent dans la série), c'est-à-dire se servir du point de départ de son enquête (le jeu de manipulation d'une jeune femme) pour explorer les dérives de l'Amérique contemporaine, aussi bien économiquement, socialement que culturellement. Sauf qu'au contraire, Inventing Anna ne parvient jamais à s'élever au-delà de son postulat de départ, s'essouffle et s'écrase littéralement à peine quelques minutes après avoir commencé.

 

Inventing Anna : photoUne fine équipe

 

ENNUYING ANNA

D'abord, Inventing Anna souffre d'un énorme poids : la durée de ses épisodes. Comment la maman de Grey's Anatomy et Scandal, deux séries pas forcément captivantes, mais souvent très efficaces avec leurs épisodes de 45 min, a pu se dire que des épisodes d'une heure chacun (et trois de plus de 1h12) était une bonne idée ? Difficile de savoir. En tout cas, une chose est sûre, très vite, la série tourne en rond, fait du surplace et réussit l'exploit de s'attarder sur des personnages longuement sans jamais les développer profondément.

Et si on pouvait avoir le bénéfice du doute, au bout de deux-trois épisodes, on comprend très vite que la série n'avancera jamais vraiment, préférant montrer une soixantaine de fois la même scène de cartes bleues ne fonctionnant pas d'Anna au lieu d'essayer de mieux percer son mystère. La série devient alors interminable et on a surtout la désagréable sensation que la série représente exactement ce qu'elle semblait vouloir dénoncer. Car Shonda Rhimes a beau avoir des thématiques en tête sur la société de l'apparence, sa nouvelle création tombe dans le panneau en jouant la carte de l'exubérance et du pop décomplexé.

 

Inventing Anna : photo, Katie LowesSuperficialité

 

Entre ses musiques envahissantes et irritantes, ses transitions dignes d'un collégien découvrant les joies de Power Point, ses montages exaspérants à coups de screen et de like popant sur l'écran, Inventing Anna ressemble régulièrement à un fil Instagram : coloré, superficiel et surtout vide d'intérêt, voire de sens. Bien malin qui saura dire combien de temps se passe dans (ou entre) chaque épisode tant la narration est d'une médiocrité ahurissante (surtout pour une showrunneuse aussi expérimentée).

Avec cette notion de temps floue, le récit semble à la fois écartelé entre l'urgence de l'enquête pour la journaliste et l'atemporalité des aventures d'Anna Delvey. Jonglant n'importe comment entre les flashbacks sur l'entourage d'Anna et les recherches présentes de la journaliste, la série se perd complètement et semble d'ailleurs se foutre complètement de la cohérence, ou plutôt de l'harmonisation de son récit. En se voulant cool, la série devient ringarde. En espérant parler de tout, la série devient bancale. Et finalement avec son gloubi-boulga sans queue ni tête, la série finit par signer son propre arrêt de mort.

 

Inventing Anna : photo, Julia GarnerUn critique en PLS après avoir fini la série

 

how to get away with bad series

Loin d'être le portrait nuancé de la jeune Anna Delvey permettant de comprendre le pourquoi du comment de ses manipulations, Inventing Anna prend presque fait et cause pour son arnaqueuse. En jouant sur la corde sensible des spectateurs à plusieurs reprises en voulant faire d'Anna Sorokin une arnaqueuse attachante, voire de l'élever en icône féministe victime de la société patriarcale, la série Netflix devient sacrément gênante. À vouloir presque pardonner les actions manipulatrices d'Anna Delvey en les atténuant derrière le prétexte des injustices de la société, Shonda Rhimes se ridiculise complètement.

Sans parler de son accent russe difficile à tenir sur la longueur, la talentueuse Julia Garner (remarquée depuis Ozark et choisie pour incarner Anna) s'enfonce donc dans un bourbier dont elle est l'héroïne du titre, mais étonnamment pas la protagoniste de la série. Quasi absente du récit, restant uniquement aux abords des personnages l'entourant et mis au centre des épisodes, la mystérieuse Anna Delvey est dépeinte uniquement comme une victime de la société d'un côté et une petite peste irritante, voire bornée de l'autre.

Tristement, au milieu de toutes les pastilles animant les neuf (longs) épisodes de la série, elle n'aura donc jamais le droit à un traitement à la hauteur de son histoire fascinante (non, l'épisode 8 ne suffit pas, arrive trop tard et est bien fade). Et lors du générique final, au vu des possibilités, on ne regrette finalement qu'une chose : que Netflix n'ait pas confié cette affaire à Ryan Murphy.

Inventing Anna est disponible en intégralité sur Netflix depuis le 11 février 2022

 

Inventing Anna : Affiche française

Résumé

Malgré son potentiel dingue, Inventing Anna est tristement vide. Interminable, gênante, bancale et faussement cool, c'est une sacrée occasion manquée.

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commentaires
Advg
24/03/2022 à 23:04

Mais quel ennui, quelle horreur cette série. J'ai tant bien que mal terminé le premier et me suis contenté de survoler la fin et cela m'a suffit pour être totalement de votre avis.
La série reste en surface, au lieu de creuser le personnage pour en donner les multiples facettes et laisser au publique le choix de se faire son avis ; on en fait des tartines à essayer de tout justifier comme s'il fallait trouver une raison "excusable" de faire une série sur une criminelle. Tout reste dans le superficiel et on essaie à tout prix de donner une image positive comme s'il fallait que le publique penche lui aussi d'un côté plutôt que de l'autre.
Les personnages sont creux, la chronologie défectueuse.. bref ! Je partage complétement votre avis, quitte à travailler sur un personnage existant, autant lui rester fidèle ou ne rien faire !

Nathou972
03/03/2022 à 23:27

Oupss..,du coup le fait d'apprécier la série me donne l'impression d'être une abrutie finie à la lecture des critiques précédentes....pour résumer, j'ai accroché, je trouve ça sympa ,ce n'est pas une série d'anthologie mais bonne je trouve intéressant.

Alexandre Janowiak - Rédaction
16/02/2022 à 12:06

@Serievore

Ravi de vous choquer pour si peu, mais ma foi, faire des fautes d'inattention arrive à tout le monde même aux journalistes. Et si vous avez raison de les signaler car cela prouve un petit manque de relecture certain (avec une équipe resserrée, cela arrive régulièrement malheureusement, nous ne sommes pas des robots), votre petit air condescendant n'apportera rien au débat sur la série en elle-même.

Le nivellement par le bas dont vous parlez se trouve d'ailleurs peut-être dans votre commentaire finalement qui s'attarde sur une simple faute plutôt que sur le sujet, comme pour signifier que la forme est plus importante à vos yeux que le fond. Et c'est surement ça qui est plus triste que le reste.

Hâte de vous revoir sur un de mes futurs papiers pour me dire que j'ai fait une autre faute.

Serievore
16/02/2022 à 08:18

Est ce que je suis le seul a être choqué qu'un pretendu "journaliste" ecrive :
"elle semble dépassER par les événements..."
?!? ... DEPASSER ... -ER ???
Ok l'erreur est humaine,etc, etc. Mais la quand même, ce nivellement par le bas constant ,c'est juste plus possible.
C'est quand même le niveau 0 de la conjugaison de savoir quand mettre "é" ou "er" a la fin d'un verbe.

Et une critique de film, ce n'est pas comme une news qu'il faut sortir très rapidement, en ayant pas le temps de relire.
Une critique de film, ce n'est pas à la minute près.

Bientôt, quand des eleves auront 0 en dictée a l'école, le prof leur dira : "si tu continue comme ça, tu finira journaliste".

Et pas la peine de relever d eventuelles fautes dans mon commentaire, vu que je n ecris pas un article, mais un simple commentaire.
Pas la meme visibilite, ni la meme pretention...

Euh
16/02/2022 à 00:46

"Que Netflix n'AIT pas confié"...

Brigitte Macron
15/02/2022 à 21:01

Rien a battre de cette série mais dégouté que Julia Garner soit allée se perdre dans cet étron. Elle mérite mieux vu son talent.

Mpontini
15/02/2022 à 15:53

Totalement en désaccord avec votre analyse de cette série extrêmement intelligente, pleine de subtilités, et surtout captivante, qui nous garde attentif et rend presque impossible de ne pas la regarder d'un seul coup. Je crois que pour comprendre le fond de nuances exprimées, il faut avoir eu des challenges dans la vie, avoir voulu plus pour soi-même, avoir une ambition, croire en soi et en notre capacité de faire mieux que nos circonstances, voir plus loin que la réalité du moment. Shonda Rhimes a créé un chef d'oeuvre, encore une fois, une oeuvre qui ouvre la porte à une suite possible, à des réflections de société mais surtout à des remises en question personnelles que toute personne qui n'a pas froid aux yeux osera faire.

Zedd
14/02/2022 à 19:21

J'en attendais beaucoup, surtout sur le rythme et la manière dont le scénario est ficelé, comme c'est une force de Shonda Rhimes dans ses séries, et au final ça va totalement à contre courant : long, étiré, ennuyant, presque monotone, j'ai l'impression de ne rien y retrouver de ce qui fait la force de ses autres séries. Et au final tout ce qu'on retient c'est que la série passe son temps à passer à côté d'un sujet stimulant et de personnages (potentiellement) captivants.

Et je n'ai vu que 3 épisodes.

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