Ils étaient dix : critique où il ne reste plus personne sur M6

Camille Vignes | 17 août 2021
Camille Vignes | 17 août 2021

Il y a environ 80 ans, la plume d'Agatha Christie perdait dix inconnus sur une île déserte, dix criminels, tout sauf prêts à se faire massacrer les uns après les autres par un individu assoiffé de justice. Une grosse vingtaine d'adaptations cinématographiques et télévisuelles plus tard, M6 s'empare librement d'un des huis clos les plus connus de la littérature pour le transposer à l'époque moderne avec Ils étaient dix. Mais cette nouvelle appréhension de l'oeuvre réalisée par Pascal Laugier et créée par Jeanne Le Guillou et Bruno Dega, déjà disponible en exclusivité sur Salto, est-elle à la hauteur des espérances ? 

SOUVIENS-TOI L'ÉTÉ DERNIER... 2

Il n'y a pas à tergiverser 150 ans pour comprendre ce qui peut nous pousser à nous pencher sur la nouvelle adaptation d'Ils étaient dix d'Agatha Christie. Certes, les adaptations qui ont précédé celle de M6 n'ont pas toujours rendu hommage à l'oeuvre originale, mais la perspective de la voir être portée à l'écran par Pascal Laugier avait de quoi séduire. Que ce soit Saint Ange (même s'il a été accusé d'être un peu trop attaché à la forme), Martyrs ou Ghostland, l'homme a depuis longtemps prouvé son amour de l'horreur et du thriller. Assez en tout cas pour qu'Ils étaient dix soit la promesse de quelques frissons

Oui le programme est réservé à une tranche horaire de grande audience pour la chaîne, puisqu'il est diffusé en première partie de soirée, mais l'ingéniosité de Pascal Laugier, son amour pour les thrillers et l'horreur, et la communication, en partie axée là-dessus, pouvaient laisser croire que M6 se risquerait à quelques incartades épouvantables.

 

Photo Samuel Le Bihan, Samy SeghirBon, alors lui on va le torturer... mais pas trop

 

Mais c'est finalement la mention déconseillée au moins de dix ans qui a le plus marqué l'équipe derrière la mini-série. Du plaisir cinéphile avec lequel Pascal Laugier abordait ses huis clos infernaux, il ne reste pas grand-chose. De ses maniements des fantômes, des fantasmes les plus abjects non plus. De sa patte crasseuse, de ses ambiances qui se jouent du mal-être et des attentes du public, encore moins

Seules demeurent finalement ses quelques références éparses et sa maîtrise du cadre et de la mise en scène. Délesté du poids du scénario, laissé à deux amateurs du petit écran pas mémorables pour un sou, ainsi que de la possibilité de se laisser vraiment aller à l'horreur sanglante, pourtant bien présente dans l'oeuvre d'origine, le terrain laissé à Pascal Laugier est maigre.

Contrairement à Martyrs et son dernier long-métrage en date, traversés par une volonté de questionner les images, de comprendre pourquoi certaines choquent à une époque où tout est accessible en un clic, et où la réalité d’internet a banalisé la violence, le Pascal Laugier d'Ils étaient dix n'a rien de bien provocateur. Tout au plus s'amuse-t-il à mettre en scène un grand méchant clownesque, encapuchonné dans son long imper vert, silhouette lugubre sous le clair de lune pluvieux qu’une génération entière d’adolescents aurait craint et moqué il y a quelques dizaines d'années (coucou Souviens-toi... l'été dernier, et surtout Souviens-toi... l'été dernier 2, avec sa piscine et son hôtel désert). 

 

photoLe méchaaaaant... oui c'est luiiii

 

FEMMES, JE VOUS AIME

Cette fougue avec laquelle Pascal Laugier s’engouffre dans ses oeuvres, c’est donc ce qui manque cruellement à cette mini-série M6. Rien de bien étonnant au regard du CV des deux créateurs et scénaristes de la séries, Jeanne Le Guillou et Bruno Dega, abonnés aux scripts bas de gamme de la télévision française (Le Mystère du lac, Le tueur du lac et autres créations où la peur plane sur le lac).

Et c’est bien là que le bât blesse. Dans l'écriture. Avec ses oeuvres, Pascal Laugier a habitué son public à une précision scénaristique peu commune, et concomitante à une caméra réfléchie. Ici, ne reste plus que son talent de réalisateur pour donner vie à des personnages et une intrigue mal ficelée, pourtant reprise d’un des plus grands classiques de la littérature anglaise dans le domaine.

Il est vrai que, pour tout spectateur non-averti, ou ayant oublié les tenants et les aboutissants du roman d'Agatha Christie, le suspense est présent. Mais même une personne attrapée par l'envie de savoir qui tue, et surtout pourquoi, ne pourra passer à côté de la faiblesse avec laquelle les personnages sont décrits. Et le manque d’imagination dans la manière d’aborder les relations femmes-hommes.

 

photo, Manon Azem, Matilda LutzDes personnages féminins d'une belle subtilité

 

Mettons de côté les attentes que peuvent susciter chez certains le nom de Laugier pour simplement regarder ce que le scénario d'Ils étaient dix propose. Il est malheureux de voir ô combien la description des rapports d’autorité entre les deux sexes manque de poigne, de conviction. Le discours patauge dans un bain de clichés ressassés depuis le mouvement Me Too, à peine mâché avant d’être recraché comme si le seul but de l'ensemble était de pouvoir dire « nous l'avons, notre oeuvre engagée », sans l'avoir vraiment pensée.

Rien, ni personne ne croit vraiment en ce qu’il dit, à commencer par ces personnages caricaturaux mal portés par des Guillaume De TonquedecSamuel Le BihanRomane BohringerMarianne DenicourtPatrick Mille,  Matilda LutzManon AzemNassim LyesSamy Seghir et autres Isabelle Candelier, tant le discours semble avoir été tartiné à la truelle.

Alors, même en mettant tout son coeur à l’ouvrage, même avec tout l’amour qu’il porte au genre, au thriller et à l’horreur, il aurait été particulièrement difficile à Pascal Laugier de rattraper le manque de talent dans l'écriture. Et même si l'on peut lui reprocher quelques lourdeurs, quelques plans guignols, ou simplement, le manque de vivacité de l'ensemble (qui se proclame du slasher, sans que l'on comprenne vraiment pourquoi) force est de constater que, malgré toutes ses contraintes, jamais il ne démérite. 

 

Photo Samuel Le BihanAu moins, le tueur réussit bien à se jouer d'eux

 

50 nuances de folie

Agatha Christie avait fait de son oeuvre le portrait d’une humanité à la moralité cradingue, d'une éthique gangrénée qui vient ronger la société, et qui ne cesse d’abîmer les hommes. Elle avait mis une certaine idée de la justice (celle qui se fait par soi-même et pour l’exemple) au service d’un huis-clos pénétrant qui ne cesse de traverser les époques et de faire parler de lui (jusque dans son titre, reflet lui aussi des époques). Mais il y avait quelque chose de réfléchi dans l’oeuvre de l’écrivaine. Quelque chose de précis, de subtil.

Il y avait, au-delà de ces meurtres ingénieux, la mise en scène de la folie. Celle qui s'empare des esprits à mesure que l'horreur y prend toute la place, celle qui pousse à tuer, à se donner la mort. Cette psychose générale qui, souvent, a permis aux amateurs de slashers de voir une bimbo courir dans les bois et s'y vautrer lamentablement, et qui, là, brille par son absence, alors même qu'elle est sans cesse revendiquée. 

 

photo, Romane BohringerQuand tu te rends compte que l'eau n’est pas potable en fait

 

L'impossibilité de boire l'eau présente sur l'île, malheureusement empoisonnée, l'absence de nourriture, et les corps qui s'entassent, les uns à côté des autres, sans que personne ne soit jamais complètement le bon suspect, sont autant de choses qui poussent l'esprit dans ses plus sombres retranchements. Sauf qu'à trop répéter cela, à l'adosser à des dialogues difficilement crédibles et à un jeu d'acteur bien pauvre, le voile que pose la folie sur le monde est réduit à n'être plus qu'une toile de jute usée, au travers de laquelle il est trop facile de regarder

Au final, on retiendra surtout le manque d'envie de l'objet général, incapable de verser dans l'horreur, que ce soit version slasher, thriller ou psychologique. On retiendra aussi ses flashbacks trop nombreux, qui ne manquent jamais d'alourdir l'ensemble et d'orienter le public sur l'identité du prochain mort. On retiendra enfin la révélation finale, trop longue, qui ne pourrait même pas, ne serait-ce que rêver, rivaliser avec celle d'Agatha Christie. 

Ils étaient dix, deux épisodes chaque mardi soir sur M6 à partir du 17 août. La saison est disponible sur Salto en intégralité.

 

Affiche

Résumé

Pour aimer Ils étaient dix, il ne faut rien connaître de l'oeuvre d'Agatha Christie, ne pas être le plus grand amateur de slasher, et ne pas avoir peur des tartines malodorantes de certaines oeuvres post Me Too. Dommage que Pascal Laugier n'ait été mandaté qu'à la réalisation, connaissant son oeuvre, il aurait pu faire de tout ça un joyeux massacre.

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Lecteurs

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commentaires
Daredephil
05/09/2021 à 16:21

Quelle vilaine parodie du roman...
On y retrouve pas grand chose, sauf l'identité du tueur révélée à ceux qui l'ont lu, ou à ceux qui ont vu d'autres adaptations plus réussies.
Le vrai problème, cest le scénario qui est juste inepte, entaché d'innombrables invraisemblances.
C'est là, vraiment une maladie chronique des productions françaises. Dommage...

Tal
26/08/2021 à 11:43

Fan d'Agatha Christie, je me demandais ce qu'il resterait de son œuvre dans cette série. Hé bien je retrouve beaucoup de bons éléments, l'ambiance, l'énigme, le passé de chaque invité... en fait, je me régale, seules scènes incomprises, celles où apparaissent le flic et sa collègue, elles n'apportent rien à l'histoire. J'ai tout de même laissé tomber Koh Lanta pour regarder la suite hier et Koh Lanta en replay ( c'est dire si j'apprécie).

Mati
25/08/2021 à 20:16

J'ai lu les 10 petits nėgres d'Agata Christie, il y a très longtemps, cette série est sûrement différente mais je me régale quand même. J'aime les acteurs, ne les trouve pas mauvais et passe une très bonne soirée à suivre les épisodes.

AAA
25/08/2021 à 09:17

Très grosse déception, très mal joué par des acteurs qui sont sensés avoir de la bouteille, jeu absolument catastrophique de : Bohringer, Le Bihan, le
Tonquedec, il en font des caisses pour certains et les autres sont clairement mauvais, pour moi seule Denicourt et Nassim Sy Ahmed sortent leur épingle du jeu un minimum.
Le Personnage de Kelly est horriblement caricatural.
Le scénario est clairement bâclé.
Très difficile de rentrer dans la série , rien ne tient debout et on se demande comment ces « innocents/coupables » ont pu passer entre les mailles de la justice dans la vrai vie.
Qui a lu le livre comprend dès le 1er et épisode qui est le meurtrier et qui sera son innocent complice.
L’intrigue ne tient pas debout , le meurtrier déguisé en fantôme/ faucheuse, c’est ubuesque, bref cette série est franchement une insulte au roman.

Dumoulin
24/08/2021 à 22:53

Comment peut-on diffuser autant de débilités ???

Carogreen
23/08/2021 à 13:49

Cette série est d'un ennui mortel... et tellement mal jouée... allez je file lire un bon bouquin !

Celine
22/08/2021 à 13:41

Moi je n ai pas lu le livre donc pas de jugement…j ai bien aimé les 2 premiers épisodes , je regarderai les autres puis je lirai le livre je me ferai une opinion après …

Etoui
21/08/2021 à 14:25

j ai adore ! les personnages les decors tout

Papillons
21/08/2021 à 09:52

J'ai bien peur que cela ne ressemble en rien au roman d agatha christie, vouloir mettre en scène cet ouvrage révèle du suicide mieux vaut le lire tout les détails donnés dans cette œuvre des personnages, l île, les lieux laissent à sa propre imagination voilà la meilleure mise en scène.
Il ne faut surtout rien changer
Merci Agatha Christie

Flo35
21/08/2021 à 09:02

Alors là, le rédacteur c'est prit pour agata Christie lui même ???
Pete pas plus haut que ton cul mon grand, soit polie pas grossié, ce n'est pas gentil d'être grossié, c'est mieux d'être gentil...

En même temps, quand on se dit fan de Buffy et de kamelott, c'est sur que c'était du grand art...va faire du sport ça va te détendre champ'!

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