Chainsaw Man : pourquoi vous ne devez surtout pas passer à côté

Léo Martin | 4 avril 2023
Léo Martin | 4 avril 2023

Après le succès de l’adaptation animée de Chainsaw Man, le manga reprend sa publication en France avec sa partie 2 dès ce 5  avril. Retour sur ce phénomène.

Ceci est un article publié dans le cadre d’un partenariat. Mais c’est quoi un partenariat Ecran Large ?

Ce n’est pas un secret (ou bien mal gardé) : au sein d’Écran Large, plusieurs membres ne sont pas indifférents au nom de Tatsuki Fujimoto. On a eu a un infini plaisir à défendre ses œuvres one-shot telles que le brillant Look Back ou le sublime Adieu Eri. Des petites merveilles qui disent déjà tellement de son talent. Mais si un manga a bien fait connaître Tatsuki Fujimoto ces dernières années et l’a érigé au rang d’auteur incontournable de sa génération, c’est bien évidemment Chainsaw Man disponible sur Crunchyroll en France.

Après avoir terminé Fire Punch, sa première série en huit tomes (il faudra revenir dessus aussi un jour tant elle est aussi colossale), Fujimoto est transporté dans le plus célèbre des magazines de prépublication de mangas : le Shōnen Jump. Il n’a alors que vingt-six ans lorsqu’il y démarre l’histoire de Denji, un jeune chasseur de démon criblé de dettes qui n’a jamais connu que la misère avant que des événements tragiques ne le pousse à questionner ce qu'il désire dans la vie. Dès le premier chapitre, les lecteurs ont trouvé dans Chainsaw Man un charme fou.

On y reconnaît un monde très proche du nôtre (à ceci près qu’il est gangréné par des démons) et le ton employé pour le décrire est brutal, satirique et sans concession. On n’y retrouve toutefois pas la même folie enfiévrée du début de Fire Punch, mais rien d’anormal : Fujimoto est maintenant dans le Jump et il doit se contenir. Pour y survivre, il doit y créer une histoire qui convienne aux standards du shonen... Et c’est notamment grâce à cette contrainte qu'il se met à déployer dans Chainsaw Man toute l’essence de son génie.

 

Chainsaw Man : photoUn véritable héros générationnel CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

 

Chainsaw, bloody chainsaw

Avant de revenir sur les éléments qui font de Chainsaw Man une œuvre formidable, refaisons le point sur son histoire. Le manga de Tatsuki Fujimoto a donc commencé sa prépublication le 3 décembre 2018 au Japon puis s’est poursuivi sans grosse interruption jusqu’au 14 décembre 2020. Date à laquelle s’est achevée sa première partie (c’est-à-dire son premier grand arc narratif). Si les fans de Fire Punch étaient au rendez-vous dès les premiers chapitres, la notoriété de Chainsaw Man s’est construite doucement durant les premiers mois de sa publication... avant de carrément exploser.

Et avec le temps, le titre est passé d’un petit OVNI du Jump à l’une des super-stars du magazine, aux côtés de Jujutsu Kaisen ou My Hero Academia. Les ventes des tomes reliés marchent du tonnerre sur le territoire japonais, à tel point que l’œuvre de Fujimoto devient le shonen sans adaptation animé le plus vendu des classements Oricon. Le nombre de fans augmente sans cesse et Chainsaw Man devient un véritable phénomène, et ce avant que les studios Mappa ne s’attellent à son adaptation animée. Pourtant, alors que le manga gagnait en popularité, celui-ci s’est déjà éloigné de plus en plus des standards de Jump, jusqu’à en devenir la plus effarante anomalie.

 

Chainsaw Man : photoL’anime Chainsaw Man par Mappa

 

Depuis, les lecteurs n’ont pas tari d’éloges pour tenter de décrire ce qui fait de Chainsaw Man Partie 1 une telle réussite et quelque chose de si différent par rapport aux autres mangas de Jump. Punk, parodique, décomplexé, gore, original, subversif, audacieux, expérimental : tout cela est plutôt juste. Les commentaires les plus répandus sur le manga ne sont pas trompeurs et c’est pour toutes ces qualités évoquées que de plus en plus de curieux ont tenté l’aventure de Chainsaw Man et y ont durablement accroché. Toutefois, on ne s’arrêtera pas là.

Si le manga de Fujimoto est un divertissement très explosif, drôle et efficace, cela n’est en rien sa principale valeur. Beaucoup apprécient la façon dont les premiers arcs de Chainsaw Man semblent se moquer des codes classiques du shonen ou à quel point son humour régressif et désinhibé vient surprendre le lecteur sans ménagement (surtout au début). Néanmoins, si on se stoppait à ces aspects du manga, nous en effleurerions à peine la surface. Il y a bien des choses que l'on pourrait aborder de façon plus précise dans le manga. Mais la première étape à ne pas rater pour explorer un titre de Tatsuki Fujimoto tient avant tout en une seule chose : le cinéma.

 

Chainsaw Man : photoExcellent programme CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

 

Entre le septième et le neuvième art

Une partie du grand public a découvert la légendaire cinéphilie de Fujimoto avec la récente série animée. En effet, son très bon générique d’ouverture est bourré de références à des films (Reservoir Dogs, The Big Lebowski, Massacre à la tronçonneuse, Pulp Fiction, etc.). De nombreux threads sur Twitter les ont d’ailleurs mis en évidence, ce qui en a amusé plus d’un. Ensuite, d’autres ont remarqué l’ambition des studios Mappa à donner à sa série une réalisation plus proche d’un film (donnant une physicalité et des mouvements cohérents aux personnages ou en jouant avec la caméra comme si elle était présente dans l’espace diégétique de l’animé) que d'un animé classique.

Ce parti pris de Mappa n’est pas anodin. Pour Fujimoto, le septième art tient une place absolument vitale dans son art et dans sa philosophie. C’est un thème que l’on avait par ailleurs développé sur ce site, à propos d'Adieu Eri. Chacune des œuvres de cet auteur respire l’air du cinéma et souhaite tourner son regard dans sa direction. Une passion dévorante incarnée par un inoubliable personnage dans Fire Punch et qui n’est absent d’aucune page de Chainsaw Man.

 

Chainsaw Man : PhotoLe casting de Chainsaw Man à la réouverture des salles de cinéma

 

À l’instar du générique de la série, le manga cite donc en permanence des œuvres issues du septième art et dans un prisme si large qu’il en ferait rougir un certain site au logo orange et blanc. Cela va d'un chapitre ultra pyrotechnique et grisant qui invoque l’imaginaire du nanar Sharknado à une émouvante sortie dans les salles obscures qui nous offre quelques plans de la Ballade du soldat de Chukhrai Grigory. Fujimoto compte aussi sur ces classiques de l’horreur (Evil Dead, Hérédité) ou super-héroïques (Spider-Man 2, Hellboy) pour alimenter toute l’esthétique et la narration de son manga. Mais attention, il ne s’agit pas de bêtes paraphrases.

Le mangaka se sert de chacune de ses inspirations comme d’autant de détonateurs pour faire exploser son récit dans des trajectoires grisantes et imprévisibles. De la même façon qu’un Quentin Tarantino (réalisateur à qui il a parfois été comparé), il ne tire de sa filmothèque que des éléments très spécifiques pour construire son imaginaire, comme des ingrédients récupérés à droite et à gauche pour cuisiner le met le plus surprenant qui soit. En plus de créer de multiples passerelles entre son médium et celui du cinéma, Fujimoto prouve avec Chainsaw Man que chaque art est capable de se réinventer, de se transcender, en tirant ses forces d’un autre.

 

Chainsaw Man : photoCertains démons apparaissent hors des cases pour renforcer leurs natures surnaturelles CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

 

Maintenant que l’on a appuyé avec attention sur l’aspect cinéphile des œuvres de Fujimoto, il est temps d’expliquer en quoi celui-là est directement lié à son plus grand talent en tant que dessinateur : le découpage. Une dimension technique souvent trop peu commentée dans la bande dessinée alors qu'il est le nerf de la guerre dans ce medium pour ce qui est de rythmer l’action et structurer la narration. Et il se trouve que Tatsuki Fujimoto est peut-être l’un des plus grands maîtres du découpage à l'heure actuelle.

Pourquoi cela ? Eh bien, car tout dans sa façon de découper le récit tend à se rapprocher d’un story-board mené d’une main de maître. Par exemple, lorsqu’il contrôle la temporalité de son action par des successions de plans statiques ou lorsqu'avec des doubles-pages il nous fait bondir de notre chaise comme face à un screamer. Lorsqu’il convoque le hors-champ et l’invisible en utilisant l'espace entre les cas. Tout renvoie à une mise en scène extrêmement axée sur l’image plutôt que sur le texte. "Show, don't tell" est la consigne majeure du manga et sur sa forme pure, Chainsaw Man est une œuvre cinématographique à chaque page.

 

Chainsaw Man : photoPetit plan fish-eye alors que toute la violence se suspend... l’effet est imparable CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

 

Poésie et tronçonneuse

Mais si on a beaucoup parlé des inspirations du manga, ses forces techniques et ses qualités les plus reconnues, qu’en est-il du scénario ? Fujimoto nous a-t-il pondu un petit chef-d’œuvre de bêtise gore, mais stimulante qui justifie sa lecture par sa seule mise en scène et son caractère marginal ? Absolument pas. Au-delà de sa forme, la vraie force de Chainsaw Man réside dans son immense profondeur. De prime abord bas du front et bourrin, l’œuvre cache en elle-même un cœur battant et une cervelle tumultueuse.

Par ailleurs, chaque relecture de Chainsaw Man ouvre une porte supplémentaire au-delà de sa première interprétation, vers une pluralité de thèmes sans limites. Un premier voyage dans le manga (du début à la fin de la partie 1) se vivra comme de véritables montagnes russes émotionnelles, oscillant entre du punk décérébré et un tragi-comique sidérant. Une deuxième lecture plus à froid fera apparaître le récit comme beaucoup plus mélancolique et désabusé. Et ce n’est qu’après quelques autres lectures encore qu’on discernera l’immense tendresse dissimulée derrière les démons et les tronçonneuses. Il faudra en effet creuser un peu pour trouver le véritable sens de Chainsaw Man. Et cela vaut le coup.

 

Chainsaw Man : photoLe personnage hypnotique de Makima vous fera réviser Hobbes et Freud CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

 

À travers un casting inoubliable (Denji, Aki, Himeno, Power... Makima !) où chaque personnage est irremplaçable – parfaitement conçu pour constituer le propos global de l’œuvre – Chainsaw Man percutera chaque lecteur d’une façon toujours un peu différente et avec une étonnante justesse. Toute sa bourrinerie apparente n’est finalement là que pour nous faire baisser notre garde au fur et à mesure du manga. On prend un plaisir monstre à voir notre homme-tronçonneuse charismatique, mais plutôt naïf, tuer des créatures terrifiantes – quand soudain, des problématiques existentielles et complexes viennent nous saisir à la gorge, avec une simplicité dramaturgique qui touche à la grâce.

En vrac (et sans spoilers), on est confronté à des sujets comme, entre autres, le dilemme de la liberté, la violence légitime de l’État, le voyage initiatique vers l’amour, le renoncement aux droits par la perte du consentement, etc. Autant d’angles à partir desquels on pourrait rédiger nombre d'exégèses manga. Tous sont condensés et parfaitement distillés à travers les quelques arcs explosifs de la partie 1 de Chainsaw Man, qui se dévore en bien peu de temps. Une œuvre déjà complète en elle-même... qui se poursuit avec une partie 2 tout aussi prometteuse !

 

Chainsaw Man : photoAprès le chaos... on peut apprécie le calme et la beauté du silence CHAINSAW MAN © 2018 by Tatsuki Fujimoto/SHUEISHA Inc.

 

Cette partie 2 a commencé au Japon depuis le 13 juillet 2022 et sa publication commence en France ce 5 avril 2023 avec le tome 12 du manga. Celle-ci se place dans la continuité de la première partie, mais bouscule dès ses premiers chapitres tout ce qui a été installé jusqu’à présent. En introduisant un nouveau personnage principal (la lycéenne Asa Mitaka, qui est déjà l’un des meilleurs du manga au moment où l’on écrit ses lignes), c’est tout l’univers de Chainsaw Man que Fujimoto dynamite à nouveau. Cette partie 2 est en cours et seulement deux tomes (bientôt trois) sont publiés au Japon. Le meilleur est encore à venir.

Avec un auteur qui n’est jamais à là où l’attend, mais parvient constamment à se surpasser techniquement et narrativement (et il n'est encore qu'au début de sa riche carrière), Chainsaw Man est à l’heure actuelle l’un des mangas les plus incontournables du moment et marquera l’histoire de son médium (si ce n'est déjà fait). Et que vous aimiez les mangas, le cinéma ou que vous soyez tout simplement à la recherche d’un titre qui vous bouscule, il est urgent de lire (et de relire !) Chainsaw Man.

 

Chainsaw Man : photo

 

Le tome 12 de Chainsaw Man sera disponible dès ce 5 avril 2023.

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commentaires
Loozap
04/04/2023 à 22:50

Les meilleurs films , c'est comme ça que je préfère

XG58
04/04/2023 à 22:13

Dés que la série va sortir, les suceurs font être de sortis.

Makina
04/04/2023 à 16:45

J'avais découvert le manga durant le covid, j'ai surkiffé. Effectivement le découpage pour moi est tellement maitrisé ça permet des effets de styles qu'on peu souvent même dans les top mangas du moment.

L'adapteur animé pas trop aimé, on perd tout cette partie découpage du à l'animation

GTB
04/04/2023 à 14:15

Chainsaw Man et Fujimoto plus globalement valent clairement le détour et apporte une structure narrative vraiment intéressante. Et si j'aime le coup de crayon de l'auteur, et la mise en scène de certaines planches, j'ai en revanche beaucoup plus de mal avec son découpage graphique et d'autres planches. En lisant Chainsaw Man j'ai régulièrement eut des difficultés à comprendre l'action décrite. Parfois parce que le dessin est chaotique, parfois parce que le découpage est méchamment haché.
Je trouve que l'adaptation de MAPPA embellit l'ensemble, c'est bien plus agréable à suivre...mais perd un peu de l'identité du coup de crayon de Fujimoto.

Sauce BBQ
04/04/2023 à 13:05

Une vraie claque !