Dark Knights of Steel : critique du Game of Thrones de DC

HOUSE OF EL

Il y a quelque chose d'amusant à voir des personnages que nous connaissons dans des univers totalement différents de ceux où ils se trouvent habituellement. Un exercice dans lequel Tom Taylor est passé maître, en particulier chez DC. Si son travail sur Nightwing et Superman : Son of Kal-El a permis de replacer Dick Grayson et Jon Kent au premier plan de l'univers de DC tout en traitant de questions de transmissions et de représentations, le scénariste australien s'est surtout fait connaître pour ses récits où les personnages s'entretuent ou se font massacrer par dizaines dans des univers alternatifs.

Avec Dark Knights of Steel, qu'il a développé pendant près de deux ans, l'auteur retourne à ce qu'il sait faire de mieux. Il installe les personnages de DC dans un nouveau monde parallèle, hors de la continuité principale (ou Elseworld). Mais loin du jeu de massacre sanglant d'Injustice et de l'apocalypse zombie de DCeased, le scénariste puise cette fois son inspiration dans la fantasy, avec une réinvention de l'univers de DC entre chevaliers, magie et intrigues de château.

Encore plus chevalesque que d'habitude

Quand un vaisseau spatial s’écrase dans ce monde médiéval, l’ordre des choses s'en trouve bouleversé à jamais. Des années plus tard, quand le Royaume des Tempêtes gouverné par Black Lightning défie le Royaume des El, qu'il considère comme une menace, la guerre gronde entre les deux familles. Alors que les El peuvent compter sur leur chef de la garde, Bruce Wayne, bien décidé à éradiquer la magie de ses terres, le troisième royaume des Amazones, dirigé par Hippolyta, doit choisir qui rallier.

Dès les premières pages, Tom Taylor réécrit efficacement la chronologie et le parcours de chacun avec des changements surprenants et réussit très bien à retranscrire l'univers de DC dans ce monde médiéval-fantastique. Le scénariste pioche ouvertement dans différentes oeuvres du genre pour développer son récit, notamment Game of Thrones, et reprend même des rebondissements et des intrigues de la série, que ce soit en faisant mourir subitement un des personnages principaux ou à travers des histoires de bâtard et de prophéties magiques.

Diana, princesse amazone divisée entre sa loyauté et son amour

BLACK DEATH

Dark Knights of Steel n'est pas le premier comic book du genre : au-delà des intrigues se déroulant dans un monde médiéval et des armures que Greg Capullo a pu intégrer aux designs de certains personnages dans Batman : Metal, Dave Gibbons et Jose Luis Garcia Lopez avaient déjà imaginé un univers alternatif dans lequel la navette de Superman atterrissait pendant le Moyen-Âge dans Superman : Kal en 1995, par exemple. Mais le fait de voir Batman, Superman et Wonder Woman dans un nouveau rôle, parfois totalement différent, donne un sentiment de nouveauté et d'originalité qui fonctionne bien grâce à l'écriture de Taylor et sa maîtrise de la mythologie de DC.

Oui, Alfred aussi a une armure

 Il y a un vrai plaisir de découvrir la façon dont le scénariste et la dessinatrice s'approprient tous ces personnages tout en restant fidèles à leur caractère original. Certains, comme Green Arrow ou Harley Quinn, ont déjà une fonction toute trouvée, mais d'autres, comme Poison Ivy ou Loïs Lane, apparaissent dans des rôles plus étonnants, et décisifs.

À mesure que révélations et mises à mort brutales s'enchaînent, Tom Taylor offre une réinvention intrigante de Batman, en changeant quelques petits détails qui rendent le personnage encore plus complexe et torturé. Le Chevalier Noir (littéralement) prend de plus en plus d'importance au fil des pages, au point d'avoir un chapitre entier autour de ses origines. Du côté des El, si certains passages rappellent évidemment Injustice, le comportement imprévisible de Superman et Supergirl crée forcément de plus grands enjeux et offre des scènes plus violentes que les autres.

Kryptonien 1 - Gardes 0

D'autant que le travail de Yasmine Putri est excellent tout au long de ce premier tome. Le trait de l'artiste indonésienne peut être difficile à aborder au départ, mais ses dessins et ses designs, qui évoquent autant l'art pictural que le manga, se révèlent aussi complexes que passionnants. Les paysages, les immenses salles et les différents décors sont remplis de détails, mais ne sont pas surchargés, et savent parfaitement s'effacer lors des moments intimistes et introspectifs.

La façon dont la dessinatrice parvient à transmettre les sentiments de ses personnages et les changements d'émotions est remarquable. Les couleurs d'Arif Prianto donnent encore plus de puissance à ses planches, notamment lors des accès de colère des Kryptoniens ou de la scène dans la forêt de Poison Ivy.

La vraie reine de l'histoire

DARK AGES

Seulement, dans son élan, Tom Taylor veut trop en faire, et Dark Knights of Steel finit par aller trop loin. Avec les mélanges douteux de pouvoirs qu'il a expérimentés dans DCeased, le scénariste multiplie les apparitions et réinventions jusqu'à l'absurde, comme avec l'antagoniste, qui est un croisement entre trois figures bien connues de l'univers de DC. Certains personnages se retrouvent délaissés au profit de nouveaux retournements de situations, et l'histoire finit par reposer sur les mêmes ressorts narratifs que Le Seigneur des Anneaux, The Witcher et la plupart des oeuvres de fantasy.

La guerre au centre du récit n'est pas si intéressante par rapport au parcours personnel de Wonder Woman, Batman et Supergirl ou au jeu d'alliances et de trahisons entre les différents royaumes. Plusieurs personnages, comme les membres de la famille Pearce, parlent constamment de la guerre à venir et des conséquences qu'elle pourrait avoir, sauf qu'elle n'arrive jamais. Un peu comme l'hiver dans Game of Thrones.

Qui dit fantasy dit sorcellerie et démons

Pour l'instant, Dark Knights of Steel ne dépasse pas son statut d'amusant concept et se contente de singer Game of Thrones et House of the Dragon du mieux possible. Même s'il a plein de bonnes idées et que son amour pour le genre et les personnages de DC se ressent dans son écriture, Tom Taylor ne propose que ce qu'il a déjà fait auparavant, simplement avec des costumes et décors différents.

Ce premier tome se conclut sur l'annonce de la fameuse guerre, en espérant qu'elle parvienne à donner de l'ampleur au récit et transformer cette sympathique réinvention en un récit épique.

Dark Knights of Steel est disponible depuis le 22 septembre chez Urban Comics.