Deus Ex Human Revolution

Simon Riaux | 22 septembre 2011
Simon Riaux | 22 septembre 2011

2027, l'humanité se déchire. Alors que l'économie mondiale va de soubresauts paroxystiques en récessions meurtrières, l'innovation ne connaît pas de limites. Les humains augmentés, dotés de prothèses cybernétiques, sont de plus en plus nombreux. Ces derniers s'érigent petit à petit en surhommes, plus forts, plus efficaces, plus rapides que les humains normaux. Mais ils dépendent de drogues anti-rejets au prix exorbitant que les cliniques vendent au compte goutte, et doivent composer avec l'animosité grandissante des pauvres, des contestataires, et des innombrables victimes d'une science de plus en plus aveugle. Adam Jensen est le chef de la sécurité de Sarif Industries, société spécialisée dans l'augmentation humaine. Son destin bascule le jour où, suite à un attentat terroriste, ses employeurs décident pour le sauver de transformer radicalement son corps. Devenu mi-homme mi machine, Adam est bien décidé à retrouver les responsables et les punir. Une quête qui l'amènera à reconsidérer le monde dans lequel il vit, et les puissances qui l'animent.

 

 

 

Deus ex premier du nom a marqué au fer rouge toute une génération de joueur, qui y trouvèrent la quintessence de leur fantasmes vidéo-ludiques. Un mélange de genres inattendu (FPS et RPG), un univers adulte, une infinité d'embranchements et de choix, un scénario intelligent furent autant d'éléments maîtrisés, qui firent entrer le jeu dans la légende. Le semi-échec du soft lui valut une séquelle de sinistre mémoire, trop grand public, qui faisait fi de la finesse de son aîné. C'est pourquoi les attentes étaient grandes concernant ce troisième volet, son développement tumultueux, les erreurs de communication de ses auteurs en firent un objet de crainte. Et si Deus Ex Human Revolution ne nous épargne pas quelques déceptions et frayeurs, on se réjouit de le voir marcher dans les pas de son inspirateur.

La première et peut-être la plus grande réussite de Deus Ex est son univers. Qu'il s'agisse de Detroit, Shangaï, d'une base de la FEMA ou d'un laboratoire de L'OMS, on croit instantanément à cette représentation de l'année 2027, crédible jusque dans ses moindres détails. Le défi était grand de représenter un monde proche du nôtre, quoiqu'en pleine révolution technologique, et il est amplement relevé. Qu'il s'agisse de l'architecture des différents lieux, du design aussi élégant que pertinent ou des spasmes sociaux engendrés par l'évolution de l'espèce humaine, tout est toujours crédible, raffiné, et percutant. Il suffira d'ailleurs au joueur parisien de s'arrêter quelques minutes dans la station de métro Frankin Rossevelt récemment rénovée, pour découvrir combien Deus Ex vise juste, anticipant à la perfection les évolutions et circonvolutions de notre urbanisme. On pense évidemment à Philip K. Dick, mais aussi très souvent Dantec, dont l'illustre Toorop semble être l'inspiration évidente d'Adam Jensen, ex-soldat devenu mercenaire, aux muscles et à l'esprit également développés. Les tensions géo-politiques, l'effervescence d'un monde dont le chaos semble être le moteur rappelle les meilleures pages de Babylon Babies.

 

 

 

 

L'autre immense réussite vient du système de jeu. On craignait de ne jamais retrouver l'idée qui nous avait si profondément marqué dans le premier opus : la diversité des approches. Pour atteindre un point donné, le joueur était libre d'opter pour la manière forte en trouant la peau de quiconque se dressait sur son passage, de se débarrasser silencieusement de ses adversaires (à l'aide de techniques létales ou plus civilisées), voire de se rendre invisible en n'empruntant que des chemins dérobés, conduits d'aération, égouts ou autres joyeusetés. Si la méthode bourrine a totalement disparue (les ennemis sont dorénavant bien trop forts, pour se laisser abattre, et c'est bien dommage), l'infiltration s'est enrichie d'une nouvelle technique : le piratage. Cette innovation sera l'occasion d'un mini-jeux aussi mal expliqué au joueur qu'addictif. Le maîtriser vous ouvrira littéralement toutes le sportes du soft, en effet depuis le bon ordinateur, vous pourrez manipuler les caméras, retourner les drones contre vos adversaires, désactiver les alarmes, et bien sûr repérer zones et bonus cachés.

Les multiples possibilités que vous offrent Deus Ex vous seront accessibles via le système d'augmentation. Votre corps a été truffé de différents modules que vous serez libres de développer en grâce à l'expérience acquise. Chacun pourra ainsi choisir de devenir une véritable bête, capable de briser les murs de ses bras bioniques, une ombre aux pas silencieux, un félin à même de bondir de plusieurs mètres ou de chuter sans se blesser, un tank résistant aux balles et aux éléments hostiles (gaz, électricité...). Les possibilités sont nombreuses et complémentaires, si bien que votre personnage n'aura à la fin du jeu plus grand chose d'humain.

 

 

 

 

Enfin une grande liberté vous est offerte quant aux choix que vous prendrez. Libre à vous de critiquer et refuser le dopage cybernétique généralisé, de ne pas tuer un seul de vos opposants, ou bien de secourir la veuve et l'orphelin. Les missions principales et secondaires regorgent d'embranchements et de dilemme qu'il vous faudra régler, tous proposant de multiples solutions. À ce titre on est ravis du système de dialogues, que le joueur pourra également booster avec son expérience, jusqu'à influencer ses interlocuteurs via des effusions de phéromones. À ce titre, les dialogues et interrogatoires se révèlent beaucoup plus riches et jouissifs que dans un soft qui avait pourtant misé dessus l'intégralité de son gameplay, l'inachevé L.A Noire.

 

 

 

 

Cependant tout n'est pas rose en 2017. Si les environnements et les personnages sont admirablement conçus et designés, il n'en va pas de même pour les graphismes, qui accusent un certain retard. On note quelques textures baveuses, des bugs malvenus ou des approximations parfois gênantes lors des phases d'infiltration. On regrettera également la pauvreté de l'animation, particulièrement gênante lors de certaines cut-scene, où les protagonistes répètent inlassablement les mêmes mouvements mécaniques, à peine dignes d'une PS2.

Il est dommage également que l'aspect FPS ait totalement disparu. En effet, non seulement les gunfights sont d'une difficulté rébarbative, mais également d'un ennui total. Vos adversaires étant à la fois surarmés et totalement stupides, le moindre affrontement devient inutilement complexe, ou prodigieusement ennuyeux. En effet, ne pas pouvoir piéger un garde car il ne peut sortir de la pièce qui lui est assignée est particulièrement rageant.

 

 

 

 

Enfin si l'univers est, comme nous l'avons déjà dit, d'une richesse fascinante, le scénario lui est plutôt pauvre. L'intrigue nous réserve peu ou pas de surprise, et la machination qui en est le centre s'avérera d'un classicisme surprenant. Une déception d'autant plus forte que les différents trailers n'avaient pas lésiné sur les images iconiques et signifiantes. On attendait un héros torturé, vacillant sous le coup de son humanité disparue, comme le présageait un songe somptueux, où son corps quittait la Leçon d'anatomie de Rembrandt pour s'élancer dans les cieux à la manière d'Icare. Nous n'aurons droit à rien de tout ça, et ce sera au joueur de s'interroger comme un grand sur les problématiques que le jeu soulève timidement.

 

 

 

 

Pour autant, il serait malvenu de bouder notre plaisir. Deus Ex Human Revolution, s'il est loin d'être parfait, réussi deux tours de force inespérés. Renouer avec la magie ludique du premier épisode, que l'on craignait envolée à jamais, et fonder un véritable univers de science-fiction, jusque dans ses moindres détails. Entre deux missions, on se surprendra parfois à scruter la foule, à arpenter les ruelles sordides où les augmentés viennent quémander un peu de Neuropozine, la drogue anti-rejet que vendent les cliniques à prix d'or. C'est dans ces moments inattendus, où l'action s'interrompt, et laisse place à un effroi vertigineux, que Deus Ex s'impose comme une oeuvre à part entière.

 

 

 

 

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