Master class Tim Burton

Simon Riaux | 5 mars 2012
Simon Riaux | 5 mars 2012

Ce Lundi 5 mars 2012, la cinémathèque recevait, à l'occasion de la rétrospective et de l'exposition consacrée à ses travaux cinématographiques et artistiques en général, le révéré Tim Burton. L'occasion d'entendre longuement s'exprimer l'artiste qui aura su ré-enchanter l'univers balisé de la classe moyenne américaine en le détournant sauvagement. Celui qui fut un des premier à réhabiliter tout un pan du cinéma de genre souvent tenu pour mineur, voire indigne, et qui n'aura eu de cesse de mettre en lumière une certaine marginalité, qu'elle s'exprime à travers une poésie décalée, les rayures noires et blanches de créatures inquiétantes, ou les yeux globuleux de ses héros torturés. Sans surprise, c'est sous les hourras d'un parterre conquis d'avance que la maître Tim fit son entrée.

 

 

Après la diffusion d'un extrait de Ed Wood (premier film présenté de la rétrospective), Matthieu Orléan, en maître de cérémonie efficace quoique visiblement ému, demanda au cinéaste quelle était l'origine de l'unique biopic de sa carrière. « Il y a cet aspect illusoire et fascinant du cinéma, quand Ed Wood en parle on dirait qu'il fait Star Wars. Il se passionnait pour ses films. Pcela permet de relativiser la démarcation entre le bon et le mauvais, on le dit plus mauvais réalisateur de tous les temps mais son œuvre existe encore. Je suis passé par là moi-même. Je voulais explorer cette curieuse famille qui se forme quand on tourne un film. Mais je ne m'habille pas en femme. C'est la seule différence entre Ed Wood et moi. »

Un regard qui amena naturellement l'artiste à se pencher sur la part d'autoportrait inhérente à la plupart de ses travaux. « J'ai toujours essayé d'être personnel, même si je ne suis pas autobiographique. Pour un de mes premiers films, Vincent, je me suis souvenu de mon enfance un peu isolée. Les films de Price étaient mis à l'écart, mais ils m'ont sauvé la vie. Le journaliste allemand à qui j'ai dit ça m'a demandé : vous étiez en danger ? (sourire) Bref, j'ai envoyé mon court a Vincent Price, il a compris le sens de la chose, et c'est lui qui a fait la voix, c'était ma première grande expérience de cinéma, collaborer avec cet immense monsieur ! »

 



Des collaborations, un regard sur le septième art où l'on devine aisément une fascination pour le cinéma européen, les motifs de l'expressionnisme allemand. « Dans mon environnement à Burbank, on cherchait l'ailleurs, c'est pourquoi j'étais attiré par l'expressionnisme allemand, l'épouvante, ce qui tranchait avec mon quotidien. Quand il fait beau tout le temps, on ne retrouve pas d'onirisme, et je l'ai trouvé là, dans l'horreur, l'angoisse, les ténèbres. C'est qu'à l'époque pour 50 cents ou pouvait voir un Godzilla, des films d'exploitation de seconde catégorie. Des choses très dépaysantes, pour pas un sou, et par paquet de trois. »

Cette tension entre un art d'hier et les techniques d'aujourd'hui se retrouve jusque dans les personnages du metteur en scène, qui confrontent souvent petits enfants et grands parents, comme si la génération des parents ne méritait pas les honneurs du récit. « Le fait de rencontrer des Price, des Christopher Lee, c'étaient mes sources d'inspiration depuis l'enfance, et après j'ai réalisé que ce sont en soit des personnes, des êtres humains formidables. À Hollywood on oublie l'humain. Quand je bossais sur Sleepy Hollow, j'ai demandé : quid de Lee ? Mon producteur m'a répondu : « Il est mort ! » Il voulait qu'il soit mort, pas moyen qu'il envisage de travailler avec lui. C'est un mort qui a fait le Seigneur des anneaux tout de même. (…) J'ai vécu avec ma grand-mère dès mes 10 ans, je me suis installé chez elle. Il y a des cultures où on perd cela de vue, les aînés ne sont pas vénérés comme ils devraient l'être, moi j'ai découvert ça très tôt. »

 

 

Un des points les plus intéressants de cette master class fut le désaveu en creux porté par Burton sur l'esthétique de ses dernières productions, quand interrogé sur son rapport à l'animation et aux décors de cinéma, il fustigea sans appel le recours au tout numérique (pourtant omniprésent dans Charlie et la Chocolaterie, Alice au Pays des merveilles, et dans une moindre mesure Sweeney Todd). « Jaime les décors naturels, et les fabrications de studio. Il y a une magie dans la création de décors, j'aimais beaucoup les fausses perspectives de Sleepy Hollow, on avait des caches à l'anciennes avec des maquettes et personnages miniatures, j'aimais beaucoup. Les décors naturels aussi. Mais je déteste les fonds vert, d'autant plus que leur couleur est immonde, de très mauvais goût, décors naturel ou artificiel me plaisent, et les deux sont plus adaptés au travail avec les acteurs. »

 


Ce goût pour la matière pourrait bien se retrouver dans Frankenweenie, prochaine réalisation de l'auteur, et occasion rêvée pour revenir à ses premiers amours en stop motion. « Moi j'adore l'image par image, j'adore les films de Ray Harryhausen, qui a été une immense source d'inspiration. Il y a quelque chose de très beau : la texture de ces marionnettes, au milieu d'un décor, comme dans un tournage miniature. C'est très intéressant de revenir à cette forme d'art particulière. Cette combinaison du noir et blanc et du stop motion, je trouve ça immensément beau. On a l'impression d'être un géant sur un plateau de tournage, c'est ça la beauté, des êtres inanimés s'animent, on est véritablement dans Frankenstein. C'est génial de pouvoir encore le faire, parce que les grands studios adorent cette image lisse, propre, fabriquée derrière des ordinateurs. »

 


Une approche critique de son univers qui fut suivie de près par une saillie acérée pour de ses actuels employeurs, Disney : « Lorsque je bossais pour Disney, c'était la période la plus basse de l'animation, j'ai passé huit ans faire des choses comme Rox et Rouky, c'est dire. Quelque chose n'allait pas à l'époque dans l'animation. » La liberté de ton de Tim Burton surprend et ravit, d'autant qu'elle va de paire avec un féroce sens de l'humour, comme l'a découvert Matthieu Orléan en vantant les mérites d'une des exclusivités de l'exposition de la Cinémathèque, les courts-métrages de jeunesse du cinéaste. « On faisait tous ça à l'époque, de l'animation en stop motion, brûler des maquettes avec des petits personnages devant... j'ai eu la chance de pouvoir continuer à le faire adulte. Avec des sous-titres français, mes films de jeunesse ont l'air beaucoup plus classes et bien meilleurs. » Une bonne humeur qui ne le quitta pas, jusque dans les problèmes techniques rencontrés lors de l'entretien. « J'entends la radio à la place de la traduction, c'est très sympa, une bonne chanson, mais du coup je ne peux pas répondre. Je ne sais pas pourquoi, la technologie ça ne marche jamais, c'est aussi pour ça que j'aime la stop motion. »

 

 

Les derniers échanges, avec le maître de cérémonie et le public, furent l'occasion de réflexions plus attendues sur la nature thérapeutique du cinéma, son rapport aux techniques d'animation traditionnelle, jusqu'à l'une des ultimes questions, qui fut l'occasion d'une intervention sur les films de supers-héros, qui ne manquera pas de réveiller les fantasmes autour de son Superman avorté, avec Nicolas Cage.

« Je me rappelle à l'époque des Batman, on m'a beaucoup critiqué, on disait que mes films étaient trop sombres. Aujourd'hui ils paraitraient étincelant de lumière, par rapport à ce qu'on voit sur les écrans. Tant mieux d'ailleurs. Pourquoi pas en faire un autre ? Mais il faudrait trouver une nouvelle donne. Il faut changer quelque chose, passer à l'étape suivante. Certes ces films se sont assombris, mais il faut encore explorer plus avant. »

 


 

 

 

 

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