Venise - Compte-rendu 2

Laurent Pécha | 3 septembre 2006
Laurent Pécha | 3 septembre 2006

Le jour le plus long …

On en avait eu un avant goût vendredi, samedi l'a confirmé dans les grandes largeurs : la Mostra de Venise n'est pas un festival pour les badges bleus. Si Audrey a habilement surfé sur les bonnes projections et vous propose la chronique des trois films qu'elle a vu, votre serviteur a connu la frustration de se faire jeter de presque toutes les projections (mais pas seulement des projections vous verrez) auxquelles il a tenté d'assister. Récit d'une longue journée galère sous le soleil vénitien néanmoins (lecteurs français, on pense à vous !).

 

 

À la Mostra, malgré le non respect des horaires (un vrai sport national visiblement), un petit grain de sable peut vous chambouler toute votre journée et transformer un joli programme cinématographique en perspective en long chemin de croix. Première erreur de la journée : ne pas avoir regardé l'heure de passage des Vaporetto, les bus-bateaux de Venise. Conséquence, le dernier Balaguero, Para entrar a vivir, tourné pour la télévision dans une anthologie horrifique espagnole dans la lignée des Masters of horror passe à la trappe pour une dizaine de minutes de retard. Et de là, tout le programme minutieusement concocté la veille est à revoir dans la précipitation. Que voir sachant qu'il faut tenir compte du respect des ordres d'entrée dans les salles (quand la projection est réservée au public, elle l'est vraiment ici et pas moyen de transiger). L'événement de la journée étant la présentation du dernier Stephen Frears, The Queen (lire la critique ici), la priorité est évidente. Mais une fois le devoir du bon rédacteur festivalier fait, qu'aller voir sachant que les projections où mon badge bleu vaut presque le rouge ou est supérieur à celui du public sont peu nombreuses en cette fin de matinée.

 

 

Après avoir découvert le World Trade Center comme tous mes petits camarades de la rédaction (c'est ça la classe, refuser d'aller le voir à Paris en VOSTF il y a quelques semaines pour se le farcir à Venise en VOSTI dans une salle de m**) avec plus ou moins le même avis (Oliver Stone réussit magnifiquement le début de son film et puis à l'image de ses héros se retrouve encombré et fait dans le mielleux même pas émouvant), je tente ma chance à Paprika sous les conseils d'Audrey (voir plus bas sa critique). Et c'est parti pour une heure de queue en compagnie de mon collègue et ami de Mcinéma, Hugo. Une heure de queue vaine puisque le public était trop nombreux. Décidés à aller voir un film, notre duo d'infortune part rattraper le film d'Ethan Hawke, The Hottest State (là aussi sous les conseils d'Audrey qui décidément a le chic pour voir les bons films). Même sanction mais avec un délai plus court : après une demi-heure d'attente, on comprend que les portes de la salle ne s'ouvriront pas pour nous.

 

 

Quelque peu agacé et surtout épuisé de ces tentatives infructueuses, le journaliste encore lucide, décide d'aller au seul endroit capable de lui rentabiliser la journée en quelques minutes : l'open bar situé à l'hôtel Excelsior. Là, coupes de champagne à volonté l'attendent enfin en théorie car arrivé devant la jolie serveuse, celle-ci me fait comprendre que les dernières coupes ont été versées et que la seule boisson que je pourrais ingurgiter sera de la San Pellegrino. Y a des jours comme ça où il ne faut pas lutter. Promis, je ferai mieux demain et puis l'important a été fait : j'ai vu l'un des favoris pour le Lion d'Or en la personne de The Queen (on se réconforte comme on peut !).
LP

 

 

En visionnant Suely in the Sky, on éprouve une étrange sensation. Cette madone nouvellement mère, larguée par l'amour de sa vie sans un réal en poche, on a l'impression de l'avoir vue un bon milliard de fois. Ce film, c'est le prototype de ces outsiders bruts de décoffrage, dont nous gratifient tous les festivals dignes de ce nom. Dans le cas présent, cette cendrillon à faire pleurer dans les chaumières, erre dans un bled poussiéreux du Brésil, mais son gros coup de cafard est tellement bateau, qu'il pourrait tout aussi bien se plaquer sur fond de rizières cambodgiennes, de désert malien ou de banlieue parisienne, ce serait du pareil au même. Quelques soient les tenants et les aboutissants de cette comptine pour gamines qui sniffent du dissolvant pour s'évader un quart de seconde, on sait pertinemment comment toute cette triste histoire va finir : soit en queue de poisson, soit dans un cloaque glauque où la belle au bois dormant vendra son corps au plus offrant pour partir à la recherche de son salopard de prince charmant. Alors certes, la pimprenelle désenchantée en question joue très bien à la poupée cassée, certes la lumière saturée de ces antipodes irradie joliment le cadre, certes ça fait peine à voir l'effritement d'une jeune gazelle qui avait tout pour plaire à la naissance, sauf la cuillère en argent dans la bouche. Mais bon, il n'y a pas de quoi en faire des tartines non plus. Surtout lorsque la mise en scène, faute d'un regain d'inspiration, tourne en rond dans une spirale infernalement béante. Alors la lassitude nous gagne, d'où cette envie d'écrire lisiblement ce que tout le monde pense tout bas, tout en prétendant le contraire : les films d'auteurs qui nous font découvrir d'autres horizons, pourquoi pas. Reste à leur octroyer un scénario un petit peu plus épais que du papier à rouler. Ce qui ne serait pas du luxe pour des ovnis censés viser un cœur de cible plus exigent que la moyenne !
AZ

 


Vous l'ignorez peut-être, mais cette année, Venise voit déferler un délégation asiatique du tonnerre de zeus. Tous les férus de mangas nipons, de Geishas, d'épopée de samouraï, d'opéras gores et autres missions extatiques, s'en lèchent les babines depuis l'annonce de la sélection. En ce samedi, la japanimation s'est taillée la part du lion. Tout d'abord grâce à Paprika, la dernière pépite de Satoshi Kon, créateur dont on dit qu'il a de l'or dans les menottes depuis Millennium Actress et Tokyo Godfathers. Attendus comme le traîneau de papa Noël un soir de réveillon, le nouveau chouchou des amateurs du genre nous mitonne une histoire alambiquée qui oscille entre Matrix et Eternal sunshine of a spotless mind. Jugez-en plutôt à son pitch : une équipe de scientifiques invente un processus capable de partager nos rêves et de leur prescrire des traitements thérapeutiques, si besoin est. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes high tech, jusqu'à ce que cette invention miraculeuse tombe dans les mains d'un terroriste anonyme, bien décidé à faire en sorte que leur petite boutique de marchands de sable mette la clef sous la porte. Échoués dans ces pognes peu scrupuleuses, les songes d'un nombre croissant d'honnêtes marmottes se mettent à se fondre dans la réalité. Désorientés, ces pauvres hères multiplient les hallucinations, entrent en transe, pour finir à l'état de zombies. Heureusement, l'agent spécial Paprika, créature céleste s'incarnant dans les chimères de ses patients pour rendre leurs nuits plus douces, va tâcher de démêler cette embrouille avant que tout un chacun ne perde complètement la boule. Sur le papier, cet univers barge donne déjà envie, mais mis en image c'est une tuerie de détails pointilleux, de mirages beaux à couper le souffle, relevé d'un sub-texte philosophico humaniste bien ancré dans son temps. La complexité de sa trame scénaristique aidant, on perd pied à l'instar de ses personnages illuminés, pour en ressortir les yeux écarquillés, littéralement déconnectés de la planète terre.
AZ

 

 

Mais, ce 2 septembre n'en avait pas fini avec l'animation. Goro Miyazaki (fils du visionnaire extraordinaire des Studios Ghibli) choisit le début de la nuit pour marcher dans les traces de son géniteur. La réalisation de ce Tales from Earthsea fait bruisser tous les connaisseurs depuis belle lurette. Pourquoi ce fiston, un matheux invétéré qui se destinait à une carrière de scientifique avant de chapoter le mémorial Ghibli, retourne-t-il sa veste aussi tardivement, et de surcroît, contre l'avis de son papounet ? Sa vocation d'artiste lui est-t-elle tombée dessus par inadvertance ? Mystère et boule de gomme ! Toujours est-il qu'après quelques frictions avec son illustre prédécesseur, Miyazaki, deuxième du nom, s'est mis en tête d'adapter l'un des romans fantasy les plus cinématographiquement pillés. À l'annonce de ce projet faramineux, on susurrait déjà que Junior avait les yeux plus grands que le ventre. Ursula K. Le Guin, auteure de cette bible fantastique qui s'est prêtée à l'exercice, en croyant qu'Hayao donnerait un ptit coup de pouce à son rejeton, s'en mords aujourd'hui rageusement les doigts ! Et à voir ce Gedo Senki, on saisit bien toute sa douleur ! Miyazaki senior n'a pas dérogé à sa retraite annoncée. Le périple de ce magicien qui part en croisades pour comprendre les déséquilibres de la planète manque terriblement de chair, de relief, de profondeur. Et ça vaut aussi bien visuellement (décors sans vie, expression des personnages réduite au minimum syndical) que scénaristiquement (l‘amputation à la hache d‘un conte originel dont il ne reste plus qu‘une portion riquiqui à l'intérêt proportionnellement pauvre). Ceux qui gardaient encore en mémoire des flashes de la séance matinale de Satoshi Kon sont tombés des nues car plastiquement, il n'y a pas photo. Il n'y a peut-être pas matière à comparer l'incomparable, d'autant que Goro Miyazaki réfute depuis le départ le stylisme « based on » Ghost in the Shell et Steamboy, mais planning des projos vénitiennes oblige, on ne peut s'en empêcher ! En étant gentil, on peut dire que Goro rend une pale copie de Miyazaki Senior, ce qui s'avère plus qu'insuffisant, lorsqu'il s'agit d'assurer la relève de la famille !
AZ

 

 

 

 

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