La comédie romantique nécrophile qui va enchanter votre Saint-Valentin : Nekromantik

Mathieu Jaborska | 27 novembre 2023 - MAJ : 27/11/2023 18:07
Mathieu Jaborska | 27 novembre 2023 - MAJ : 27/11/2023 18:07

Le diptyque Nekromantik est ressorti en grande pompe funèbre au pays du romantisme. Abandonnez tout kink-shaming et venez vous frotter à la plus belle histoire d'amour nécrophile de l'histoire du cinéma.

ESC a mis les petits cercueils dans les grands avec ses éditions de Nekromantik 1 et 2, désormais disponibles en DVD, mais aussi dans un coffret collector de toute beauté embarquant 4 disques, un gros livret et même un poster qui dissuadera enfin vos parents de venir dormir dans votre chambre la prochaine fois qu'ils passent. Le tout en plus d'une diffusion sur la plateforme de SVoD spécialisée dans l'horreur Shadowz.

Pourquoi une telle sortie ? Parce qu'il s'agit bien là d'un véritable objet de culte, dont la réputation sulfureuse s'est propagée chez les amateurs de bisseries méchantes, de films d'horreur corsés, de comédies romantiques... atypiques et surtout de curiosités cinématographiques en tous genres.

Attention, descriptions et illustrations tirées de scènes violentes.

 

Nekromantik : Affiche allemandeTétons teutons

 

Cinéma de Jörg

Nekromantik serait-il un film bien plus profond que son pitch simplissime (un couple organise sa vie sentimentale et sexuelle autour du tripotage de cadavre gluant) ne le laisse entendre ? Pas nécessairement selon son réalisateur Jörg Buttgereit, qui assume avoir eu à la fin des années 80 envie de provoquer la morale institutionnelle allemande, dans une démarche très comparable à celle des groupes punk ou noise alors en train de défrayer la chronique.

Les références citées par le cinéaste en interview et dans le livret de l'édition ESC écrit par Marc Toullec tiennent plus précisément de la musique industrielle expérimentale, et particulièrement des performances scéniques où sont projetées des images violentes, comme celles de Throbbing Gristle et SPK.

 

Hot Love : photoHot Love, ou le retour aux choses essentielles de la vie

 

Si son imaginaire est alors ancré dans l'underground transgressif, il a un parcours similaire à nombre d'auteurs de sa génération : marqué par les monstres hollywoodiens et fasciné par les possibilités du Super 8, il s'est lancé très vite dans le cinéma amateur. Mais au gré de ses courts-métrages, il a glissé vers un art plus piquant. Glissement amorcé avec sa création la plus célèbre avant Nekromantik : Captain Berlin, super-héros satirique né dans un court-métrage en 1982 et qui a depuis eu droit à son propre comics et sa propre pièce de théâtre.

Plus tard, il relatait des exactions plus crues. Dans son Hot Love de 1985 (visible sur Shadowz et dans le coffret), il mettait en scène la vengeance d'un homme qui se suicide après avoir violé son ex-copine, laquelle donne ensuite naissance à un bébé zombie. Les thématiques qui sont sur le point de le rendre célèbre sont déjà là : la mort, le sexe et le mélange des deux. Bien qu'il continuera sur cette lancée par la suite, il restera à jamais l'auteur de Nekromantik, tourné à l'économie en 8mm.

 

Nekromantik : photoCopulation sous un oeil bienveillant

 

Sans surprise, le thème de la nécrophilie ne figurant pas dans le guide des bonnes moeurs locales (et dans peu de films, y compris d'exploitation), ses longs-métrages sont sujets à controverse. Le premier volet, projeté dans quelques salles indépendantes, se contente d'une manifestation et d'une interdiction dans plusieurs pays, dont l'Australie, la Finlande et bien entendu le Royaume-Uni. Le second, pourtant moins généreux en détail gratinés et un poil plus "professionnel" (tournage en 16mm, embauche de maquilleurs), a beaucoup moins de chance.

Nekromantik 2 a à peine le temps de débuter son exploitation qu'il est accusé pénalement de glorification de la violence. Les copies sont confisquées, le négatif original est recherché par la police, qui cherche à le détruire avant tout jugement. Le scandale gonfle encore lorsque le cinéaste refuse au tribunal de Berlin de troquer l'abandon des charges contre un arrêt des projections publiques.

 

Nekromantik 2 : photoOn ne sait pas de quoi ils veulent parler

 

Love me tender

Le diptyque ne serait-il donc qu'une bête bisserie crapoteuse, destinée à choquer le bourgeois et faire saliver le chaland en quête de sensations fortes ? Pas nécessairement non plus. Tout d'abord, il est difficile de parler de cinéma d'exploitation, les deux films ayant été conçus difficilement, sans la moindre assurance de rencontrer un public derrière. Malgré le contexte légal de plus en plus compliqué et sans même savoir ce qu'ils allaient en faire, Buttgereit et son producteur ont pensé Nekromantik comme une vraie oeuvre expérimentale, dans le prolongement de la filmographie du cinéaste.

D'ailleurs, celui-ci n'a pas accepté des offres qui lui auraient permis de mieux rentrer dans ses frais, à condition de faire quelques coupes. Il a diffusé lui-même sa comédie romantique putride, plus ou moins clandestinement, avant que des festivals étrangers ne l'exportent. "Le premier Nekromantik était une façon de protester contre la censure stricte en Allemagne", explique-t-il chez Girls and corpses. "Presque tous les films d'horreur subissaient des coupes dans les années 1980. Beaucoup de films n'arrivaient pas en Allemagne. Donc, j'ai eu envie de produire un film underground indépendant avec un sujet dérangeant."

 

Nekromantik : photoAgité du bocal

 

Avant même l'implémentation des célèbres scènes de nécrophilie, où le comédien principal Daktari Lorenz lèche lubriquement un oeil pendouillant (une improvisation !), c'est l'idée de jouir de sa propre mort qui intéresse le réalisateur et son coscénariste Franz Rodenkirchen. Concept qu'ils poussent à son paroxysme dans une dernière scène d'anthologie, qui justifie à elle seule le visionnage du film, à condition d'avoir l'estomac accroché et une certaine tolérance envers les effets spéciaux amateurs.

Le thème est transgressif de manière conceptuelle, au-delà du dégoût provoqué par le contact entre Beatrice Manowski et un cadavre rendu le plus crade possible par Buttgereit. La mort étant universellement reconnue comme l'évènement tragique par excellence, la relier à une forme d'excitation sexuelle tient de la perversion ultime.

 

Nekromantik : photoI'm in love with the shape of you

 

Pourtant, objecte le film non sans ironie, l'obsession humaine pour la mort est relativement commune. En témoigne une scène d'ouverture qui ausculte sous tous les angles les conséquences d'un accident ou la normalité apparente des nécrophiles dépeints dans les deux films, relevée par les très respectables Jean-François Rauger et Philippe Rouyer dans les bonus de l'édition. Ils vivent en société et se permettent même des petites watch-parties d'autopsie de phoque. La passion morbide de Nekromantik, c'est aussi la nôtre.

 

Nekromantik 2 : photoLa tentation du slip

 

Certains l'aiment froid

Dernière preuve que les deux films n'ont rien d'une tentative d'escroquerie cinématographique : ils ne ménagent pas le spectateur, loin de là. Non seulement le cinéaste a tenu à faire du deuxième volet une véritable comédie romantique gore, aux antipodes de la surenchère décérébrée attendue, mais il n'épargne pas vraiment son public, qu'il implique dans son raisonnement.

Un choix qui transparait évidemment dans la séquence de la séance de cinéma, où plusieurs personnages regardent une parodie de slasher directement réalisée par Buttgereit. La caméra parcourt la salle et répertorie leurs différents comportements. Tous sont blasés par le spectacle que constitue le film d'horreur, tant les archétypes du genre, à la fin des années 1980, ont exterminé la gravité de l'acte meurtrier. C'est un bête divertissement inconséquent pour les uns, un sujet d'étude comme un autre pour les autres, qui prennent des notes frénétiquement dans un coin de la salle. La suite répondra avec une scène similaire, cette fois pastichant le cinéma d'auteur européen.

 

Nekromantik : photoUn slasher sachant slasher

 

L'une des façons qu'a Nekromantik de traiter non pas la perversité, mais le fantasme, par définition une fiction. La limite entre le fantasme et la réalité, le diptyque ne cesse de la tracer, puis de la brouiller, enrichissant son panorama des représentations de la mort, si complet qu'il aguiche forcément ceux qui baignent dedans à longueur de temps (l'anti-héros du premier volet, nettoyeur de corps de métier, ou le réalisateur lui-même, confronté au deuil pendant la production).

Par exemple, le premier volet met en scène deux meurtres d'animaux. Le premier est bien réel, puisqu'il s'agit de la captation vidéo très froide de l'abatage d'un lapin avant sa préparation en cuisine. Le second, pas du tout. Le chat est enfermé dans un sac, puis une coupe nous rassure : il ne s'agit que de cinéma. Deux manières de montrer la mort, qui finissent par se confondre dans le deuxième volet, quand la nécrophile jouée par Monika M se repaît de la violence concrète comme on se repaîtrait d'une série B lambda. Et son compagnon a la très mauvaise idée de lui faire remarquer...sa perversité.

 

Nekromantik 2 : photoFree hugs

 

Parfois drôles dans leurs provocations, vraiment sales quand ils lâchent les chiens, les Nekromantik traitent leur sujet pour le moins polémique avec une radicalité qui déconcertera l'amateur de productions trash fauchées. Une véritable anomalie qui, après tous les problèmes de censure qu'elle a connus, méritait bien une telle mise en avant. Puisque son culte n'est pas près de faiblir, autant réprimer ses pulsions et lui déclarer sa flamme tandis qu'il est encore vivant.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
[)@r|{
08/12/2023 à 18:08

L'article que vous avez écrit est de qualité. [sur le fond] Le sujet est complexe et délicat à traiter.

Dans notre société actuelle, certaines paraphilies sont toujours considérées comme taboues et ne sont pas abordées par les médias.

Certaines "personnes déviantes" font face à ses troubles mentaux. Cela ne relève pas du fantasme cinématographique ou littéraire. C'est une réalité.


Ciao a tutti !

Neji
30/11/2023 à 19:32

L'affiche est tellement cool...

Cidjay
28/11/2023 à 13:06

Merci pour l'article, on se croirait sur Mad Movies ! ^^
Connaissais pas Nekromantik... ça a l'air un poil trop barré pour moi, même si je suis fan de films d'horreur.
Dans un ton beaucoup plus léger (même si horrifique aussi) j'ai une pensé pour la comédie Romantique "Life After Beth" que j'avoues trouver très sympa. où Dan Dehaan vit sa plus belle histoire d'amour avec une fille morte et qui tombe en lambeau, sauf qu'elle n'est pas vraiment morte.

Dario Fulci
28/11/2023 à 09:46

@Morcar : c'est une erreur de l'article, il s'agit bien d'un coffret Blu-ray

Morcar
28/11/2023 à 09:37

Et sinon, quand est-ce qu'ils sortent l'édition VHS ?
Non parce que bon, proposer une édition DVD et même pas de BluRay, aujourd'hui...

aqfjnsz
28/11/2023 à 08:46

ça me fait penser à The Untold Story et Ebola Syndrome, de je sais plus qui à Hong Kong, pour ce genre d'histoires crado

Pie o Pah
28/11/2023 à 08:00

@Grey Gargoyle

Oui l'ancien madeux efficace pour parler d'un film dans les bonus de diverses bisseries. C'est toujours passionnant

Grey Gargoyle
27/11/2023 à 18:36

Hello,
oh bazar, ça fait des décennies que j'entends parler de cet OANI sans oser franchir le pas. En parallèle, cela fait plaisir d'avoir des nouvelles que Marc Toullec est toujours de la partie (^_^)
Bien cordialement

Mathilde T
27/11/2023 à 18:22

Ça fait plaisir de voir ce genre de films barrés remis en avant, et en accès libre en plus ! Merci ;)