Vendredi 13 : quand Jason faisait le touriste à Manhattan avant Ghostface

Avant Ghostface, ce bon vieux Jason Voorhees avait déjà visité New York dans Jason Takes Manhattan, AKA Vendredi 13, chapitre VIII : L'Ultime Retour.

Ce 8 mars 2023, le nouveau Ghostface quittera enfin la banlieue de Woodsboro pour aller trucider du millennal dans les rues de New York. Il n'est pas le premier ni le plus célèbre des boogeymen à avoir croqué la Grosse Pomme.

En 1989, le tueur au masque de hockey avait pris des vacances loin de Crystal Lake, non pas pour supporter les Rangers, mais pour suivre une bande d'ados libidineux en voyage de classe. Régulièrement tourné en dérision, Vendredi 13, chapitre 8 : L'Ultime Retour est le dernier clou du cercueil des slashers d'exploitation qui ont éclaboussé les années 1980 et un sommet de stupidité rarement dépassé.

Ligne 13

Le retour de la vengeance

Dès la moitié des années 1980, la franchise Vendredi 13 commençait à s'écrouler sur ses propres codes. Passé le sympathique épisode 4, déjà censé être le "Chapitre final", il ne lui restait plus pour justifier les résurrections fantoches ou successives de Jason qu'un cynisme de plus en plus assumé. Une nouvelle terreur tentait vaguement de filouter tout le monde, spectateurs et acteurs compris, Jason le mort-vivant commençait à saupoudrer son délire fantastique de clins d'oeil aux fans et de second degré. Un nouveau défi enfonçait fièrement les portes du n'importe quoi avec ses relents de Carrie mal digérés.

La saga est connue pour avoir accompagné le déclin du slasher dans la deuxième partie de la décennie, jusqu'à la mort clinique du genre au début des années 1990. En 1989, l'âge d'or des tueurs masqués était derrière eux. Le 7e volet avait fait le pire score jusqu'ici, ce qui convainquit probablement Paramount de refuser les suites directes centrées sur le personnage de Tina, proposées par le réalisateur John Carl Buechler, par Lar Park Lincoln elle-même (en collaboration avec son mari) ou même par Kevin Spirtas (un autre acteur d'Un nouveau défi).

Nouveau défi, vieille rengaine

Le nouveau nouveau nouveau départ de la franchise est donc devenu la responsabilité de Rob Hedden, ancien employé d'Universal alors connu pour son travail sur la série dérivée. Promu scénariste et réalisateur, il décida de changer enfin un peu la formule. "La meilleure chose qu'on pouvait faire avec Jason", racontait-il au News Journal à l'époque, "c'était de le sortir de ce lac stupide où il traine tout le temps : Crystal Lake. Il est là depuis sept films et je ne sais pas combien d'années, il s'est noyé en 1950 ou un truc comme ça. On a décidé de vraiment l'en sortir".

Il avait alors deux idées : le planquer dans les entrailles d'un bateau ("un peu de Das Boot et un peu d’Aliens") ou l'emmener dans une mégalopole. Finalement, il a mélangé les deux approches et la promo s'est chargée de tout miser sur la délocalisation à New York. Sur le papier, un tel projet allait à l'encontre des économies que Paramount aurait voulu faire sur la saga. Dans les faits, Jason Takes Manhattan a couté 5,5 millions de dollars, soit 1,5 million de plus que l'enveloppe allouée originellement.

Jason casse les prix

Hedden a dû revoir ses ambitions à la baisse. À GQ en 2018, il déballait les fantasmes de son premier pitch : "Tout ce que New York a à offrir allait être exploité à fond. Il devait y avoir une scène formidable sur le pont de Brooklyn. Un match de boxe au Madison Square Garden. Jason devait aller dans des centres commerciaux, dans Times Square. Il devait aller à une pièce de Broadway. Il devait même se hisser en haut de la Statue de la Liberté et plonger."

Il a finalement dû se contenter de Vancouver pour le tournage des scènes en ville et d'à peine quelques prises de vue de la Grosse Pomme. Elles donnèrent toutefois le fameux passage à Times Square et ce plan circulaire assez jouissif où le boogeyman contemple les grands panneaux publicitaires. Mais ce genre de friandises, il faut les mériter...

10 dollars la photo

The King of New York

"Un maniaque essaie de nous tuer !", hurle une pauvre touriste prise en chasse par monsieur Voorhees. "Bienvenue à New York", lui répond d'un air dédaigneux la barmaid du coin. De ce genre de blagues, Vendredi 13, chapitre 8 : L'Ultime Retour en est truffé. Bien conscient de l'absurdité de son scénario et des extrémités où en est remise la saga, Hedden accentue encore le second degré auquel les slashers tentent de se raccrocher pour éviter la disparition complète, au point d'horripiler les aficionados de la première heure, qui ne digéreront pas la scène où Jason enlève son masque pour effrayer une bande d'ados. Contraint à l'auto-parodie pour perpétuer sa licence, le boogeyman est tombé bien bas.

C'est aussi ce qui fait le charme de cet opus en queue de comète, dont le désespoir est palpable, et motivait le réalisateur. En faisant voyager sa vedette, il tourne en dérision et relativise les archétypes de la saga : à New York, Jason n'est qu'un individu peu recommandable de plus et il finira d'ailleurs avalé par les entrailles de la ville, dissout par ses déjections toxiques, loin de son terrain de chasse de prédilection, réduit à un anonymat urbain. Dépouillé de son aura par la crasse citadine et le monde moderne, il revient à son innocence première. On pourrait presque faire un parallèle avec l'industrie du cinéma d'horreur d'alors, qui a étouffé la naïveté amusante des slashers d'antan pour se complaire dans le cynisme.

Subtilité et allégresse

Ce 8e volet acte tout simplement la fin du genre, corrompu par un dédain somme toute très new-yorkais. Et puisque c'est foutu, autant s'amuser un peu. Le film comporte quelques meurtres abracadabrants, le meilleur étant probablement cette décapitation sportive, suivie d'un des plans les plus absurdes de l'horreur des années 1980 : un plan subjectif de la tête qui virevolte avant de finir dans une poubelle. Et encore, selon GQ, le cinéaste aurait voulu engloutir ce pauvre Jason dans des toilettes géantes, au gré d'un flashback surréaliste. Une idée jugée trop chère... et trop ridicule.

Le film en deviendrait presque amusant, si son titre (et sa promo) n'était pas aussi mensonger. Non seulement la vraie New York n'est visible que dans une seule scène (grosso modo), mais il faut attendre plus de la moitié du métrage avant d'arriver sur le plancher aux vaches : une bonne partie de L'Ultime Retour se déroule en effet dans un studio un bateau, d'ailleurs parti d'un lac pour accoster sur la côte est Américaine. Jason n'a jamais été très bon en géographie. Quand il foule enfin les rues de Manhattan, on a déjà envie de haïr la chose, qui aurait pu devenir le bouquet final de l'agonie du slasher movie, si toutefois elle avait eu les moyens de ses ambitions.

Tout de suite, ça fait moins rêver

C'est donc sans surprise qu'il est devenu le moins gros succès de la franchise à date, avec un peu plus de 14 millions de dollars de recette. Seul Jason X a fait pire depuis, avec 13 millions. C'est New Line qui s'est chargée de cryogéniser le personnage (littéralement, dans les années 2000) en rachetant les droits afin d'organiser une rencontre avec Freddy. Avant le crossover, la firme l'a humilié davantage, l'excluant de son propre film dans Jason va en enfer. Le début des années 2000 fut dur pour les icônes de sa trempe. Il dut attendre 2009 et la vague de remakes aléatoires pour retrouver les faveurs du public et revenir en tête de gondole du slasher décérébré dont Hedden et New Line ont composé l'éloge funèbre.