La Nuée, Teddy, Possessor : Gérardmer 2021 révèle la nouvelle diversité du cinéma fantastique

Mathieu Jaborska | 6 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Mathieu Jaborska | 6 février 2021 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Outre sa sélection, qui propose chaque année quelques pépites à surveiller de près, le festival de Gérardmer aime représenter les différentes tendances du cinéma de genre contemporain. Quoi de plus logique donc que cette édition, très riche, se déroule intégralement en ligne, se soumettant bien malgré elle à une situation maltraitant toujours plus l'industrie.

Pour voir le verre à moitié plein, cela a permis à beaucoup de cinéphiles curieux de suivre l'évènement aux quatre coins du monde, afin de se renseigner sur le futur du cinéma fantastique, lequel était présent en force tout au long de ces cinq jours de festival. On revient donc sur le programme, et sur ce qu'il a dit de l'état des films qu'on aime.

 

photo, Christopher AbbottLes festivals au temps de la pandémie

 

Une salle, deux ambiances

Forcément, cette année, c'est le circuit de distribution qui était au coeur des débats. Et à raison puisqu'un même distributeur a remporté la quasi-intégralité des prix du festival, se payant même le luxe de narguer la concurrence avec une grille de loto remplie au lendemain de l'annonce des résultats. C'est évidemment The Jokers, une firme qui prend de plus en plus d'importance, surtout depuis qu'elle s'est occupée du très rentable Parasite. Désormais, c'est presque devenu un label pour les amateurs de cinéma de genre ou indépendant. 

Typiquement le genre de structures que les cinéphiles ont tendance à privilégier, puisqu'elles emportent en salles des longs-métrages éclectiques, des propositions parfois osées qui n'ont d'ailleurs pas volé leurs prix. En ces temps incertains pour le 7e art sur grand écran, récompenser TeddyPossessor et La Nuée a quelque chose de militant, surtout que ce dernier a vu sa carrière au cinéma fauchée par la fermeture des salles. Un bien triste sort pour un excellent long-métrage, qui a d'ailleurs bénéficié du premier fonds d'aide au cinéma de genre accordé par le CNC, timide preuve que l'exploitation de ces pelloches va en s'améliorant.

 

photoLa Nuée

 

Nous reparlerons bien vite de ces trois films tous très intéressants chacun à leur manière. Nous avions déjà d'ailleurs consacré une critique au Possessor mis en scène par Brandon Cronenberg, cauchemar expérimental et ultra-violent transcendant son scénario. Quant à Teddy, son attachement à dépeindre des héros marginalisés grâce aux références du film de loup-garou devrait faire parler de lui lors de sa sortie en salles. On ne manquerait pour rien au monde ce Carrie au bal du diable rural.

De l'autre côté du spectre, il y a la SVoD, format économique qui a largement dépassé les grosses machines actuelles type Netflix pour désormais s'adresser au fan de genre directement. Tous les yeux sont actuellement rivés sur l'américain Shudder, qui distribuait déjà l'incroyable Blood Machines, et qui a su imposer son logo au début de deux longs-métrages.

Le premier est le très sympathique Anything for Jackson, comédie carburant au mélange des genres. Si la partie horrifique est un brin moins maîtrisée que la partie humoristique, la proposition est assez irrésistible dans son traitement du satanisme. Le second est Host, soit le film de confinement ultime puisqu'il ambitionne d'inspirer la terreur sur Zoom. Comme on le dit dans notre critique, le résultat est convenu, mais sa modestie (1 heure de durée, une conception presque amateur) empêche l'ennui de poindre.

 

photoAnything for Jackson

 

Orgueil et préjugés

Les longs-métrages du festival ne bénéficient pas tous de cette diffusion schizophrène, très contemporaine. Alors que les acteurs de l'industrie française allouent très discrètement de plus en plus de moyens au cinéma de genre, les productions étrangères sont, comme à leur habitude, tenues à l'écart de l'attention du grand public. Si aucun film indien n'était présent cette année pour attester du mépris qu'on leur porte en Europe, les deux grosses machines russes de science-fiction présentes symbolisent encore le poids des préjugés.

L'une d'entre elles, Sputnik, va être distribuée en France le 24 février, directement en vidéo et probablement dans une indifférence trop générale. En effet, il ne s'agit pas d'un téléfilm fauché, mais bien d'une proposition relativement chère et aux effets spéciaux spectaculaires, de bons arguments pour une sortie salle. Superdeep, lui, n'a a priori pas de date de sortie chez nous. Et dommage, car malgré ses défauts, c'est une grosse série B comme les Américains ont cessé d'en produire depuis que chacun de leurs essais se solde par un cuisant échec. Crade, mystérieux et très sombre, il vaut clairement le coup d'oeil.

 

photoLe pas si profond Superdeep

 

Ne parlons même pas d'Impetigore, film d'épouvante convaincant correspondant particulièrement aux standards actuels du genre. Sa nationalité indonésienne le condamne à l'oubli dans nos contrées. D'ailleurs, le précédent essai de son metteur en scène Joko Anwar, une adaptation de comics de super-héros (Red Storm), avait échoué en vidéo chez nous sans faire la moindre vague. Ainsi, si la SVoD et les distributeurs engagés permettent au cinéma de genre français et américain d'émerger, les essais considérés comme plus exotiques restent malheureusement marginalisés.

Que des films qui trouvent rarement le chemin des salles, alors que le fameux Aya et la sorcière de Goro Miyazaki sera exploité dans les multiplexes bien qu'il ne s'agisse que d'un téléfilm, marque Ghibli oblige. Sans cette donnée en tête, l'expérience risque d'être douloureuse... 

 

photoAya et la sorcière fait la grimace

 

Pépites en pagaille

Enfin, parmi les longs-métrages, il y a ceux dont on ne connait pas encore le destin, mais dont la diversité renforce encore notre foi dans le cinéma fantastique. Du trip auteuriste nébuleux à la comédie potache en passant par le divertissement gore, la sélection de cette édition a surtout prouvé, au-delà des problématiques de diffusion, que ce n'est pas une pandémie qui va empêcher les artistes passionnés de nous abreuver de curiosités.

Passons sur les films intéressants sur le papier, mais plutôt ratés comme Beauty Water, assez sale pour trouver des défenseurs, The Other SideSlaxxLes Animaux Anonymes ou The Cursed LessonThe Stylist est un objet assez atypique, une sorte de variation féminine du remake de Maniac. Comme beaucoup de cinéastes dont la présence a manqué, sa réalisatrice Jill Gevargizian est clairement à suivre.

On peut en dire autant de Adrian Langley, qui, après quelques téléfilms de Noël bien niais, a pondu un film de redneck super cruel. Butchers a pour lui de ne jamais se lancer dans la litanie référentielle ou dans le commentaire méta. Un premier degré bienvenu qu'on devine absent des grilles de programmation de TF1 et qu'on aimerait voir appliquer à plus de sous-genres horrifiques.

 

photoChéries, ça va trancher dans Butchers

 

Nos trois coups de coeur de cette édition sont peut-être les plus atypiques des oeuvres présentées. Comme prévu, le Psycho Goreman réalisé par le maquilleur de talent Steven Kostanski s'amuse joyeusement de la violence absurde sommeillant dans la pop-culture grâce à une direction artistique complètement délirante et un décalage permanent irrésistible.

Sur un tout autre rythme et grâce à un postulat peut-être plus extravagant encore, Mosquito State a également attiré notre attention. Filip Jan Rymsza et Mario Zermeno y racontent les effets psychologiques de la crise des subprimes sur un trader planqué dans un appartement ayant tout d'une tour d'ivoire grâce à une body-horror subtile représentée par une invasion de moustiques. Très contemplatif, le film est une véritable curiosité, d'autant que son austérité apparente cache l'histoire d'un homme qui apprend à être humain au contact piquant de la réalité.

Enfin, le petit chef-d'oeuvre Come True a pris beaucoup de festivaliers de court. La représentation du rêve au cinéma échappe désormais rarement au traitement très surréaliste de David Lynch. Mais le film réalisé par Anthony Scott Burns parvient à s'en extraire pour composer une sorte de ballade noire, parfois terrifiante et toujours hypnotique, allant à la rencontre de nos cauchemars. Tout y fonctionne, de l'interprétation subtile de Julia Sarah Stone à la photographie bleutée prise en charge par le metteur en scène, en passant bien sûr par la bande originale omniprésente signée Pilotpriest et Electric Youth. Selon nous, c'est clair, le cinéma fantastique de demain, c'est ça.

 

photoLes terribles écrans de Come True

 

des courts au long terme

Quitte à évoquer le futur du cinéma de genre, autant traiter directement de la sélection de courts-métrages, qui révèleront la relève. Le grand gagnant, par exemple, est assuré d'un avenir radieux, du moins on l'espère. Le cinquième court-métrage de Michiel Blanchart en tant que réalisateur et scénariste, T'es morte Hélène, part d'un pitch qu'on imagine classique avant de bifurquer dans le mélange des genres et enfin de nous prendre par surprise dans ses dernières minutes.

Deux autres courts encouragent encore plus notre optimisme : Sous la mousse et Aquariens. Globalement, toute la salve sélectionnée valait le coup d'oeil. Seulement, ces deux films font prendre la mesure de l'étendue du spectre couvert par le genre en ce moment. Tous deux articulés autour d'un mystère aquatique, ils choisissent des traitements très différents. La fable écologique, mélancolique et contemplative complète la farce méchante et légère servie par d'excellents effets spéciaux.

Un duo de choc qui nous montre à quel point, en dépit de la situation sanitaire et économique, ou du mépris qu'on lui porte parfois, le cinéma fantastique n'est pas là de mourir, au contraire. Et si les usages évoluent, la passion reste la même.

Tout savoir sur Teddy

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commentaires
Chandler Jarell
07/02/2021 à 16:57

J'ai aimé anonymous animals dans cette selection. Simple & universel.

nimbari
06/02/2021 à 21:48

Sympa de parler de Gerardmer, personnellement j'ai beaucoup aimé Boys From County Hell, bien plus que Teddy dont la partie Loup garou fait pitié (le reste du métrage est bien). Une année exceptionnelle avec beaucoup de bons films

zidus
06/02/2021 à 15:05

J'étais impatient de découvrir le compte rendu d'EL sur le Festival Gerardmer.
La formule festival en ligne étant une 1ère en plus.
Perso j'ai pris un pass, je n'ai pas pu voir tous les films mais quand-même une bonne partie de la sélection officielle et je trouve que ça valait largement l'investissement.
Le fils Cronenberg m'a enchanté. Quelques belles surprises aussi, notamment le lycanthrophique Teddy ou Mosquito State que j'ai trouvé d'une piquante bizarrerie malaisante. :)
Bref, je renouvellerai volontiers l'expérience en ligne et me suis au final bien régalé.
Et vive ce cinéma de genre qui stimule vraisemblablement la créativité de tout un tas de réalisateurs.

Casper2046
06/02/2021 à 14:34

Article intéressant mais par contre La Nuée faut arrêter c est sacrément nul et surtout c est un film qui continue à conforter le cinéma de genre français dans son pseudo-auteurisme qui n'a de cesse de se regarder le nombril. Désolé mais le fantastique a bien plus à véhiculer et à raconter.

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