Teddy : critique qui crie au loup

Mathieu Jaborska | 30 juin 2021 - MAJ : 30/06/2021 19:53
Mathieu Jaborska | 30 juin 2021 - MAJ : 30/06/2021 19:53

Un film de loup-garou made in France sort en salles : le laïus habituel sur la difficulté de faire vivre le cinéma de genre chez nous que The Jokers, après La Nuée, fait mentir encore un peu plus, parait superflu. Et pourtant, c'est tout le sujet du Teddy réalisé par Ludovic et Zoran Boukherma et interprété par Anthony Bajon, qui s'amuse à importer un mythe ultra-codifié de la série B américaine dans la campagne hexagonale, au beau milieu des Pyrénées.

Les loups-garous de tierce lieu

La situation sanitaire et les nombreux reports qui en ont découlé ont mis des bâtons dans les roues aux commentateurs de l’industrie culturelle. À titre d’exemple, nous avions vu Mulan et Sans un bruit 2 plus d’un an avant leur sortie. De même, Teddy nous arrive bien longtemps après sa découverte à l’étrange festival, dont il avait constitué un des moments les plus forts. Et pourtant, il n’est pas si difficile de s’y replonger, grâce à son étonnante singularité, s’échappant volontiers de tous les carcans auxquels on voudrait le restreindre.

Le sous-genre dont il se revendique sans détour, absent des écrans hexagonaux depuis la co-production Les Bonnes manières, va en effet de pair avec une palette d’archétypes et de passages obligatoires dictés par les grands classiques du genre, tous Américains (Le Loup-Garou, Hurlements, Le loup-garou de Londres...). Mais conscients que l’insertion attendue d’une séquence de transformation, ou même la présence plein cadre des bestioles souffriraient de la comparaison (le budget est loin d’être aussi conséquent), les cinéastes choisissent d'accaparer d’autres références.

 

photoCatalogue des BG mécheux

 

Au lieu de citer Landis et Dante, ils convoquent… Bruno Dumont et Brian De Palma. Au premier, ils empruntent une description à la fois poétique et loufoque d’une France très loin des fantasmes finis au champagne des réalisateurs parisiens. Au second, ils subtilisent les thématiques et la structure de Carrie au bal du diable. Un cocktail pour le moins inédit au sein du cinéma français, infiniment casse-gueule. Mais les auteurs de Willy 1er s’en emparent avec une ambivalence sincère, mêlant comédie discrète et hommage au cinéma de genre, faisant se croiser des acteurs respectés (Noémie Lvovsky) et des comédiens amateurs avec du cœur (Ludovic Torrent).

Voilà pourquoi Teddy est si difficile à vendre à son public : il assume pleinement son mélange des genres, jusqu’à en faire un sujet à part entière. En passant au crible des références franchouillardes (les truculents loto de village et leurs lots faramineux) et des clins d’œil aux polémiques bien de chez nous (le loup dans les Pyrénées) un genre que l’imaginaire collectif associe volontiers à une autre culture, il opère un grand écart passionnant.

Une expérimentation visant avant tout à louer une mythologie du terroir souvent dédaignée par le 7e art, et plus encore par le fantastique, alors qu’elle contient elle aussi son lot de conflits intimes, de rivalités enfouies, de paysages splendides, de héros torturés aux tee-shirts enflammés et de zones d’ombre où les travellings inquiétants peuvent révéler quelques poils canins. Teddy est au film de loup-garou ce que le trop vite oublié Vincent n'a pas d'écailles était au film de super-héros : une réconciliation salvatrice.

 

photo, Anthony Bajon, Christine Gauthier, Christine GautierDragonfire

 

brebis égarée

Le parallèle avec son intrigue n’en est que plus pertinent. Comme l’environnement dans lequel il évolue, le Teddy du titre est à la marge, jugé trop limité pour la modernité factice des jeunes de son village. Sans diplôme, il travaille dans un salon de massage et voit son entourage lui échapper, alors qu’il panse une morsure étrange. Non seulement ce héros attachant cristallise à lui seul le mépris réservé à un certain cinéma, mais il se transforme lui-même en une figure importante de l’horreur classique : le freak.

Les frères Boukherma, également scénaristes, déclinent ce parcours à un autre univers, avec une simplicité bienvenue. Jamais trop ambitieuse pour son sujet, leur mise en scène capte à merveille le désarroi d’un adolescent qui sent le monde le mettre à l’écart. Comme dans Carrie, toutes proportions gardées, le sous-texte du teen movie est détourné subtilement, muant la traditionnelle prise de confiance hormonale en descente aux enfers incontrôlable, qui va s’achever, bien sûr, dans un final dévastateur. La discrétion de la figure frontale du loup-garou en ajoute encore, finalement, au délitement psychologique du jeune héros, incarné avec une maîtrise évidente par Anthony Bajon.

 

photo, Anthony BajonUne mise en scène qui laisse son jeu s'exprimer

 

Et le succès de l’entreprise tient beaucoup à sa performance. Déjà à l’affiche de cinq films produits en 2019 (dont l’imminent et paranoïaque La troisième guerre), remarqué grâce à La Prière, l’acteur s’attaque à tous les genres, toutes les sensibilités, avec un appétit impressionnant. Le choix de casting est évident : il est sur la même longueur d’onde que les cinéastes qui le dirigent. Son visage, tout en retenue, laisse pourtant entrevoir le mal-être qui bouillonne en lui. À l’image du film, il évite soigneusement une performance « à l’américaine » pour donner à son interprétation du lycanthrope, un cachet plus proche de son public.

Et qu’importe si le long-métrage ne s’exporte pas outre-Atlantique : son histoire d’exclusion franco-française sied parfaitement à sa tentative de mélange des genres presque suicidaire, économiquement, mais d’une audace rare, artistiquement. Si le duo est loin d’avoir révolutionné l’industrie française, il apporte une pierre robuste à l’édifice du genre hexagonal. La prochaine (un film de requin avec Kad Merad, Marina Foïs et Jean-Pascal Zadi !), déjà commandée par The Jokers, sera à coup sûr à l’honneur dans nos colonnes.

 

Affiche française

Résumé

Le pari casse-cou de Teddy est largement tenu. La déclaration d'amour des frères Boukherma est aussi revendicative qu'inédite.

Autre avis Alexandre Janowiak
Joli film que le Teddy des frères Boukherma. En plus d'être un parfait mélange entre l'épouvante, le comique et l'absurde, le long-métrage régale de quelques envolées fantastiques et gore, et se révèle surtout être une ode émouvante aux exclus.
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commentaires
Guéguette
31/05/2022 à 11:33

Top, contrat rempli.

lepetitbreton
04/07/2021 à 13:14

Là où "la nuée" se plante dans les grandes largeurs Teddy réussit, offrant un film au ton décalé et offrant un minimum d'horreur malgré un budget qu'on imagine ridicule. Certes la scène du bingo manque de punch et nul doute qu'avec plus de moyen la scène aurait été plus marquante, mais tout respire l'amour du genre et l'implication de l'équipe. Touchant et efficace malgré tout (et avec des acteurs bien dirigés).

Renart
01/07/2021 à 14:12

A mon avis, le film est à moitié raté car il ne répond qu'à une promesse sur deux, celle de la teen comédie rurale. En revanche, côté horreur/loup-garou, les réals se montrent extrêmement timorés. ils peinent clairement à investir le genre (deux trois plans marquants, au plus), alors qu'ils sont expansifs sur la part la moins surprenante du film, avec des ralentis qui ne racontent rien, ne marquent rien, n'apportent rien si ce n'est singer une certaine esthétique pop.

Certes bon nombre de films de monstres s'en sortent en jouant habilement du hors-champ, mais justement ils jouent avec, redoublent d'idée pour nous transmettre des frissons, ils ne l'évitent pas. Dans Jaws, on voit pas beaucoup le requin, mais il y a quand même des scènes d'attaque de requin qui nous font trembler ! Ici on tremble trop peu. Une scène de rasage de poils sur la langue, et une d'arrachage de poil à l'oeil, fini, merci, au revoir.

Comme dans la Nuée, on a l'impression que le qualificatif "film de genre" est juste un oripeau factice qu'on agite pour donner une impression de fraîcheur dans un paysage saturé de films médiocres. Sans surprise, c'est au fond un film moyen, sans mordant. Mention néanmoins à Anthony Bajon qui tire le tout vers le haut.

Madolic
01/07/2021 à 09:55

Mais ça à un quelconque rapport avec le jeu de société ?
Parce que si c'est pas le cas, je pige pas la tagline de l'affiche ...

Flash
30/06/2021 à 19:30

Depuis tout gamin, je suis fan des films de Loup-Garous, du coup je vais sans doute me laisser tenter, surtout que ça fait un moment que j'en ai pas vu un bon..

Keedz
30/06/2021 à 17:39

Très bon film mais plus un film social que de genre malheureusement le manque de moyens empêche le film d'embrasser toute sa dimension lycanthrope

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