Interview Nicolas Winding Refn (Bronson)

Jean-Noël Nicolau | 6 juillet 2009
Jean-Noël Nicolau | 6 juillet 2009
Avec Bronson, Nicolas Winding Refn confirme tout le bien que l'on pensait de lui depuis la trilogie Pusher. Il parvient à transformer une œuvre de commande en un conte moral sur la célébrité et la création artistique. Tout sauf un biopic ou un film de prison, Bronson est un tour de force expliqué en détails par le réalisateur lors de l'interview qu'il nous a très aimablement accordée.

 

Est-ce que le vrai Charlie Bronson a vu le film ?

Non. Il n'a pas le droit. Quand nous avons fait le film, il vivait toujours en isolement complet. Et il n'a pas le droit de regarder la télévision ou quoi que ce soit dans ce genre. On m'a raconté qu'il avait écouté le film au téléphone et qu'il l'avait bien aimé. Mais je ne sais pas si c'est vrai. Charlie Bronson devait être transféré dans une prison avec moins de contraintes au moment de la sortie du film. Mais au final il est dans une prison différente, mais avec aucun privilège, il ne peut voir personne, il ne peut avoir de contacts avec personne. Il est complètement enfermé, loin du monde.

 

 

 

 

Pourquoi un long-métrage sur le prisonnier le plus dangereux de Grande-Bretagne ?

Ce qui était intéressant avec ce film, c'est que depuis de nombreuses années beaucoup de gens avaient essayé de faire une œuvre sur Bronson. Ils ont tous échoué, pour des raisons diverses. Je m'apprêtais à commencer Valhala rising, qui est un film que j'ai eu beaucoup de mal à monter. Le producteur Rupert Preston m'a appelé et il m'a annoncé : « Nous venons juste d'acquérir ce projet, Bronson, est-ce que tu veux y jeter un œil ? ». J'ai répondu : non ! (rires) Je débutais un autre film et je ne voulais pas m'éparpiller. Mais j'avais besoin de l'argent... Donc j'ai lu le script. Et il n'était pas très bon... C'était très banal, un biopic traditionnel d'un type dont je ne savais rien. Mais il y avait une chose intéressante : le défi de créer un film dans l'univers carcéral. C'est un genre difficile, car en général cela se limite à une chose : sortir de prison. Donc j'ai répondu : laissez-moi lire sa biographie et voir s'il y a des éléments que je peux m'approprier. Je l'ai lue et ce n'était pas très bon non plus. Mais à la fin du livre, en évoquant la prison, il affirme : « Peut-être que j'ai toujours voulu être là ». Voilà, ça c'était passionnant. Mon film ne parle pas de comment sortir, mais plutôt de comment rester en prison.

 

Pourquoi souhaite-t-il y passer sa vie ?

Ce n'est pas quelqu'un qui reste en prison parce qu'il s'y est habitué, que c'est plus facile, plus « confortable ». Bronson est plus intelligent que cela. Donc, voilà un type qui est tellement obsédé par le fait de créer sa propre légende, sa propre icône. Comment s'y prendre ? Il faut devenir célèbre. Et c'est la perspective que j'ai choisi. J'ai réécrit le scénario. Je ne voulais pas faire de biopic, je n'ai aucun intérêt pour Michael Peterson (le vrai nom de Bronson), je ne sais pas qui c'est, je ne suis pas anglais. Mais je suis intéressé par la manière dont il s'est transformé en une icône. Mon film tourne autour du concept de « devenir Charles Bronson ».

 

En un sens, le film est un One Man Show.

Je me suis demandé : si c'est une pièce en un seul acte, comment se déroulerait-t-elle ? J'ai donc choisi cet aspect très théâtral. C'était passionnant de mélanger la grande tradition théâtrale britannique avec un film de pop culture.

 

A une autre époque, qu'aurait été Charles Bronson ? Un gladiateur ? Un clown ? Un comédien ?

Il aurait été la combinaison d'un clown et d'un des publicitaires les mieux payés de son temps. Parce qu'il a globalement réussi à créer une marque à partir de rien. S'il avait été un assassin ou un psychopathe, qu'il avait tué des femmes et des enfants, je n'aurais eu aucun intérêt pour lui. Mais le fait que ce soit un type qui ait juste braqué un bureau de Poste et qu'il soit resté en prison toute sa vie pour cela, cela m'a vraiment fasciné.

 

 

 

 

Vous êtes d'accord pour affirmer que les gens sont prêts à tout pour la gloire ?

Certainement. Nous vivons dans une époque obsédée par la célébrité. Et cela ne va pas s'arrêter. Cela va empirer. Et ce n'est pas un problème, je ne suis pas du tout là pour juger la manière dont les gens choisissent de vivre. Mais la mécanique des médias a bouleversé les conséquences de la notoriété. C'est pour cela qu'il était très important pour moi que le film soit aussi un conte moral, comme toutes mes œuvres. Vous êtes jugés pour vos actions. Vous ne pouvez pas y échapper. A la fin du film, Charlie voit son vœu de devenir le prisonnier le plus célèbre d'Angleterre exaucé. Mais il est aussi enfermé dans la plus petite cellule possible, pour le reste de sa vie.

 

Le film est un vaste mélange de genres : comédie, drame, prison, fable. Comment avez-vous travaillé sur le scénario ?

Je voulais que l'on ne puisse pas s'identifier à Charles Bronson. Vous ne pouvez pas vous sentir triste pour lui. Bronson n'a jamais rien apporté aux autres. Mais il est une métaphore, pour beaucoup de choses. Pour moi c'est comme une peinture. Cela laisse aux spectateurs la possibilité de tout interpréter comme il le souhaite. Cela peut être très frustrant pour certains, ceux qui veulent qu'on les emmène dans une histoire qui propose une fin qui explique tout. Sinon ils ne savent pas comment réagir. Mais je crois que la vraie nature de l'art est exactement l'opposée. Il faut faire réfléchir les gens, il faut les bousculer. Ainsi l'art, pour moi, devient un acte de violence. Mais là où la violence dans la réalité est destructrice, la violence de l'art inspire. C'est très différent.

 

Cela me fait penser à la conclusion du film dans la salle d'arts plastiques. Est-ce que vous pensiez à cette scène depuis le début ?

Non, c'est venu à la toute fin. Nous avons tourné le film dans l'ordre chronologique. Et j'ai refait 30% du film, en restant dans mon planning de 5 semaines de tournage. Je n'arrêtais pas de réaliser qu'il y avait quelque chose de plus profond au milieu de toute cette histoire. Le film est aussi devenu de plus en plus un miroir de ma propre vie. La fin est donc plus représentative de mon propre esprit. Et j'ai utilisé l'existence de Charlie Bronson pour le mettre en images.

 

 

 
 

 

Comment avez-vous rencontré Tom Hardy ? Il est extraordinaire dans le rôle de Bronson.

C'est une histoire intrigante. Tom Hardy avait déjà été choisi par des réalisateurs précédents pour incarner Charles Bronson. Il avait déjà beaucoup travaillé le personnage, il avait rencontré sa famille, il avait réussi à rendre visite à Bronson. Il était obsédé par lui. Quand je suis arrivé sur le projet, je ne voulais pas ruiner son travail, donc j'ai décidé de le rencontrer. Nous nous sommes retrouvés dans un bar à vins à Londres. Moi je ne bois jamais d'alcool et Tom est un ancien alcoolique. On ne pouvait pas choisir pire endroit. Et on s'est détesté. J'ai pensé que c'était un idiot et il a pensé que j'étais très arrogant. Donc j'étais sûr de ne pas vouloir Tom Hardy dans mon film. J'ai rencontré plein d'autres acteurs, Jason Statham, Guy Pearce... De plus grands noms. Mais ça ne marchait pas. Le directeur de casting n'arrêtait pas de me répéter : « Tu devrais donner une autre chance à Tom Hardy ». Et je ne voulais vraiment pas. De plus je voulais que le projet n'appartienne qu'à moi. Mais je ne trouvais personne. J'ai donc dit : ok, on remet ça. Et quand on s'est retrouvé à nouveau, ce fut le coup de foudre. J'ai réalisé qu'il était né pour incarner Bronson. Depuis lors on s'entend à merveille. Tom a besoin d'être très contrôlé et il se donne à 200%. Vous pouvez lui faire faire n'importe quoi. C'est une grande responsabilité. Notre collaboration a donc été intense mais aussi excellente. Je suis sûr que nous travaillerons à nouveau ensemble.

 

Comment travailliez-vous au quotidien ?

Je me réveillais le matin, je prenais une aspirine et je nouais un sweat autour de mon estomac pour avoir bien chaud. En général je ne sais pas trop ce que je veux, mais je sais exactement ce que je ne veux pas. J'arrive sur le plateau, je vérifie la scène que nous devons tourner et je dis à Tom : on va essayer ça. En un sens c'est très simple. Je ne suis pas un perfectionniste. Je trouve absurde que les gens recherchent la perfection dans l'art. Pour moi l'art est organique. Et l'organique est ce qu'il y a de plus éloigné de la perfection. J'aime les choses extrêmes. Je suis attiré par les choses très antagonistes. Cela vient peut-être du fait que je suis daltonien. Je n'aime pas les choses « entre deux ».

 

Quelles ont été vos influences pour ce film ?

J'ai été élevé comme un cinéphile. Mais mes goûts ont beaucoup évolué avec le temps. Avec Bronson j'ai essayé de faire un film de Kenneth Anger. J'ai tout volé à Kenneth Anger. Et je lui ai d'ailleurs avoué il n'y a pas longtemps. Bronson est un mélange de Inauguration of the Pleasure Dome et de Scorpio Rising. Je les ai montrés à mon équipe et je leur ai dit : voilà ce que nous allons faire.

 

De Scorpio Rising à Valhalla Rising, donc. Que pouvez-vous nous dire sur votre prochain film ?

Toutes mes idées de départ pour Valhala sont parties dans Bronson. J'étais épuisé. Mais mon esprit était très frais, renouvelé. C'était finalement le meilleur moment pour faire Valhalla. C'est un film très différent de mes précédents. Je me souviens du premier jour de tournage, je me tenais sur une colline d'Ecosse, au milieu de nulle part et je me suis dit : j'ai toujours voulu faire un film de science-fiction. Et cela a beaucoup influencé le résultat final.

 

 

 

 

Et après cela, quels sont vos projets ? Vous allez céder aux sirènes d'Hollywood ? Un James Bond peut-être ?

J'aimerais faire un James Bond ! (rires) J'ai un projet avec Keanu Reeves. Mais j'espère faire mon prochain film cet automne. Il se nomme Only God Forgives. Cela se déroule à Bangkok. C'est un western à Bangkok...

 

Parlez-nous un peu des choix musicaux de Bronson, la bande-originale est, selon moi, l'une des meilleures de ces dernières années.

En préparant Bronson, j'écoutais beaucoup de musiques, pour trouver la tonalité du film. J'ai besoin de faire cela. Et là je me suis très rapidement fixé sur les Pet Shop Boys et je ne sais pas du tout pourquoi. Je ne suis pas fan du groupe. Mais j'écoutais les Pet Shop Boys 24h/24. Mes assistants devenaient fous. C'est au moment du montage que j'ai redécouvert le film. J'ai compris que Charlie Bronson voyait la vie comme un opéra. Mais je ne m'y connais pas du tout en musique classique et c'est mon monteur qui m'a fourni des extraits. La musique classique est devenue un élément de la narration du film. Mais les Pet Shop Boys m'ont permis de réaliser que Bronson est un film très féminin, c'est un film « gay » par certains aspects.

 

 

Que pensez-vous des « œuvres d'art » de Charlie Bronson ? Sa peinture, ses écrits... Est-ce que c'est vraiment intéressant au-delà du côté sensationnel du personnage ?

Non, son art n'est pas intéressant du tout. Ce qui fait la puissance de Charlie Bronson ce n'est pas ce qu'il crée, mais son immense besoin de le faire. Ce qu'il exprime n'est pas très réussi, mais ça fait de lui davantage un artiste que beaucoup d'autres « vrais » artistes. Il ne calcule rien. C'est comme un môme qui peint. Il exprime ses émotions de manière brute, naïve. Ce n'est pas le résultat qui compte, c'est le concept de création.

 

 

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