Johnnie To (Mad Detective)

Flavien Bellevue | 5 mars 2008
Flavien Bellevue | 5 mars 2008

A bientôt 53 ans, le cinéaste hongkongais Johnnie To profite d'une fructueuse carrière de réalisateur - scénariste - producteur de plus de 40 longs-métrages. Cette semaine sort dans nos salles Mad Détective, son 43ème opus, sélectionné l'an dernier au Festival de Venise alors que la Cinémathèque Française lui rend hommage du 5 mars au 11 avril 2008 à travers une rétrospective sélective. Retour sur une étonnante carrière d'un maître du polar made in HK.

 

 



Comment était-ce de retrouver Wai Ka-Fai après Running on Karma ?
Ma première collaboration avec Wai Ka-Fai date des débuts de Milkyway Image avec le film Too Many Ways to Be Number One; la réalisation de Mad Détective avec lui est le fruit du hasard car lorsque nous nous sommes décidés à retravailler ensemble, la Milkyway fêtait ses dix ans. Cela représentait donc une nouvelle étape pour nous et pour la société de production, ce qui nous a amené à nous poser des questions sur l'orientation des films à venir. C'est pourquoi nous avons essayé de sortir quelque peu du schéma habituel du polar et que nous pensons à de futures productions en collaboration avec l'étranger pour éventuellement tourner des films dans d'autres langues que le cantonais.

 

Est-ce que vous pensez à vos acteurs lorsque vous avez vos idées de films ?
Quand j'écris une histoire certains noms d'acteur me viennent à l'esprit mais ce n'est pas un critère essentiel car le plus important pour moi est de créer les rôles. J'essaie ensuite de voir quel acteur correspond le mieux pour chaque rôle. Comme vous le savez pour chacun de mes films, il y a toujours des rôles masculins mûrs ce qui explique je travaille toujours avec les mêmes acteurs qui ne sont pas des stars mais de bons comédiens.

 

 

 

Auparavant vous aviez l'habitude de travailler avec des temps de tournage très courts mais depuis PTU ou récemment The Sparrow cela commence à s'étaler sur plusieurs années, que préférez-vous ?
Je ne saurais pas vraiment expliquer le pourquoi de tout cela. Lorsque j'ai fait The Mission, en une vingtaine de jours, j'étais très inspiré contrairement à PTU qui a donc été plus long à faire. Au départ, lorsque je réalise un film, je n'ai pas de scénario entièrement écrit et ce n'est pas une volonté de ma part lorsque qu'un tournage traîne.

 

Donc il n'y avait pas de scénario au départ pour Mad Détective ?
Wai Ka-Fai fonctionne un peu comme moi et nous avons écrit le film sur le plateau.

 

 

Pourquoi l'acteur Lam Suet en prend plein la tronche dans chacun de vos films ? Est-ce une vengeance personnelle ?
Lam Suet est un excellent acteur, c'est un homme à tout faire sur mes films. Je me sers des personnages que je lui confie pour traduire ma vision de la vie ; que ce soit pour alléger un propos ou pour souligner un élément du récit.

 
Bien que vos films traitent du monde des gangsters, il y a toujours de l'humour parfois absurde, est-ce que vous vous amusez à faire vos films ?
Pour moi tourner un film est une joie, si ce sentiment n'est pas là, ce n'est pas la peine de faire de films. Les scènes d'humour que j'inclue dans mes films sont parfois inspirées de ma vie et je ne pense pas que tout doit être triste dans la vie. Le jour où je perdrais cette touche d'humour, je ne ferais plus de films.

 

Pourquoi pensez vous que Loving You est votre véritable premier film?
Tous les autres films que j'avais faits avant Loving you étaient purement commerciaux. Je n'étais pas dans une phase créative, j'allais « au travail » à ce moment là. Après avoir fait Heroic Trio 2 et Mad Monk, je me suis poser la question pendant un an si j'allais continuer comme ça jusqu'à la fin de ma vie ou si je devais faire autre chose. J'ai donc crée en 1996 Milkyway Image et le premier film que j'ai fait avec cette nouvelle production Loving You marque une nouvelle étape pour moi en tant qu'auteur-réalisateur.

 

Aujourd'hui, vous avez une reconnaissance internationale à travers de grands festivals, est-ce qu'il est possible de vous voir tourner à l'étranger ?
Mon cinéma est en constante évolution et mon rêve serait de rester à Hong Kong pour tourner mes films. Cela ne veut pas dire que je refuserais de travailler avec des étrangers.

 

Votre dernier film sorti à Hong Kong (janvier 2008), Linger, permet de vous voir revenir à la comédie romantique, quelles ont été vos motivations pour faire ce projet ?
Comme je vous le disais plus tôt, depuis un peu plus de dix ans je travaille dans ma société de production avec un scénario à chaque fois écrit au jour le jour en fonction du travail des acteurs. Cette méthode a fait ses preuves et continue de fonctionner mais je voulais, pour une fois, changer de méthode en suivant un scénario écrit de A à Z. Parmi les scénarii que j'ai reçus, il y avait un qui s'intitulait « Linger » et sans me poser la question si l'histoire était bonne ou pas, je me suis lancer le défi de faire le film « normalement ».  Il s'avère que suivre un scénario intégralement écrit n'est pas ce que j'aime le plus.

 

 

Comment s'est passé le tournage de la production de Tsui Hark The Big Heat, sachant qu'il y a eu beaucoup de changement de réalisateurs et que vous avez par la suite travaillé d'égal à égal avec Tsui Hark sur Triangle ?
J'apprécie Tsui Hark qui est un réalisateur qui a beaucoup fait pour le cinéma de Hong Kong depuis les années 80. A cette époque, il m'avait proposé de faire avec lui The Big Heat mais nous n'étions pas au final sur la même longueur d'onde. Il avait beaucoup d'idées et changeait sans cesse le scénario jour après jour, comme je n'arrivais plus à suivre, j'ai préféré renoncer. Ce n'est pas pour autant que nous avons rompu notre amitié ; je le connais avec Ringo Lam depuis notre formation à la TVB. Nous aimons toujours parler de cinéma et que nos collaborations soient des réussites ou des échecs, n'a pas d'importance au final. Aujourd'hui, je respecte toujours autant Tsui Hark qui reste une référence pour la jeune génération de cinéastes hongkongais.  

 

La fin d'Election 2 laisse une porte ouverte avec le fils du personnage de Louis Koo, avez-vous pensé à une suite d'ici 10 à 15 ans ?
Evidemment, on peut voir cela sous cet angle. En fait, j'ai placé ce personnage comme une métaphore sur le devenir des Triades à Hong Kong qui, à mon sens, seront, dans un futur proche, contrôlées par le gouvernement chinois. Mais l'avenir étant incertain, le petit garçon ne sait pas non plus où aller.

 

Que pensez vous de toute l'histoire à scandale des photos publiées des ébats du jeune acteur Edison Chen ? Est-ce que cela pourrait vous inspirer pour faire un film ?
Pour un film pourquoi pas mais ça ne sera pas signé par moi. Ce scandale est une petite histoire mais elle nous démontre que nous sommes dans une nouvelle ère marquée par l'avènement de l'Internet. Les gens qui avaient l'habitude de s'informer via la presse écrite et la télévision ne réalisent pas la puissance de ce nouveau média. Le bon côté de cette histoire, c'est qu'elle pose la question sur le bon ou mauvais rôle de l'Internet. La réflexion qui en sort est au final beaucoup plus intéressante que l'histoire en elle-même, et malheureusement Edison Chen et ses copines n'ont pas eu beaucoup de chance et sont devenus des pionniers en la matière.

 

Où en est votre projet avec Alain Delon ?
Alain Delon est une des idoles de ma jeunesse et je l'ai enfin rencontré récemment. Nous avons discuté d'éventuels projets mais il n'y a pas encore un scénario assez fort pour partir tout de suite sur un projet. Mon désir de tourner avec lui reste intact pour autant.

 

Que représente pour vous la rétrospective de votre carrière à la Cinémathèque Française ?
Lorsqu'on m'a annoncé cette idée au début de l'année 2007, j'ai été très surpris et heureux. C'est une étape importante pour moi et cela représente aussi l'image d'un couteau qui scinde ma carrière en deux parties. Ma carrière va sûrement s'orienter vers quelque chose de nouveau et pour moi, il y aura un avant rétrospective et un après. J'espère que dans vingt ans, il y aura une seconde rétrospective pour attester  de tout cela.

 

 

 

Remerciements à Tristan Tramoni de CTV International et à Elodie Dufour de la Cinémathèque Française.

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