Johnnie To (Mad Detective)
A bientôt 53 ans, le cinéaste hongkongais Johnnie To profite d'une fructueuse carrière de réalisateur - scénariste - producteur de plus de 40 longs-métrages. Cette semaine sort dans nos salles Mad Détective, son 43ème opus, sélectionné l'an dernier au Festival de Venise alors que la Cinémathèque Française lui rend hommage du 5 mars au 11 avril 2008 à travers une rétrospective sélective. Retour sur une étonnante carrière d'un maître du polar made in HK.
Comment était-ce de retrouver Wai
Ka-Fai après Running on Karma ?
Ma
première collaboration avec Wai Ka-Fai date des débuts de Milkyway Image avec
le film Too Many Ways to Be Number One; la réalisation de Mad
Détective avec lui est le fruit du hasard car lorsque nous nous sommes
décidés à retravailler ensemble, la Milkyway fêtait ses dix ans. Cela
représentait donc une nouvelle étape pour nous et pour la société de production,
ce qui nous a amené à nous poser des questions sur l'orientation des films à
venir. C'est pourquoi nous avons essayé de sortir quelque peu du schéma
habituel du polar et que nous pensons à de futures productions en collaboration
avec l'étranger pour éventuellement tourner des films dans d'autres langues que
le cantonais.
Est-ce que vous pensez à vos acteurs
lorsque vous avez vos idées de films ?
Quand
j'écris une histoire certains noms d'acteur me viennent à l'esprit mais ce
n'est pas un critère essentiel car le plus important pour moi est de créer les
rôles. J'essaie ensuite de voir quel acteur correspond le mieux pour chaque
rôle. Comme vous le savez pour chacun de mes films, il y a toujours des rôles
masculins mûrs ce qui explique je travaille toujours avec les mêmes acteurs qui
ne sont pas des stars mais de bons comédiens.
Auparavant vous aviez l'habitude de
travailler avec des temps de tournage très courts mais depuis PTU ou récemment The Sparrow cela commence à s'étaler sur plusieurs années, que
préférez-vous ?
Je
ne saurais pas vraiment expliquer le pourquoi de tout cela. Lorsque j'ai fait The
Mission, en une vingtaine de jours, j'étais très inspiré contrairement
à PTU
qui a donc été plus long à faire. Au départ, lorsque je réalise un film, je n'ai
pas de scénario entièrement écrit et ce n'est pas une volonté de ma part
lorsque qu'un tournage traîne.
Donc il n'y avait pas de scénario au
départ pour Mad Détective ?
Wai
Ka-Fai fonctionne un peu comme moi et nous avons écrit le film sur le plateau.
Pourquoi l'acteur Lam Suet en prend
plein la tronche dans chacun de vos films ? Est-ce une vengeance
personnelle ?
Lam
Suet est un excellent acteur, c'est un homme à tout faire sur mes films. Je me sers des personnages que je lui confie
pour traduire ma vision de la vie ; que ce soit pour alléger un propos ou
pour souligner un élément du récit.
Bien que vos films traitent du monde
des gangsters, il y a toujours de l'humour parfois absurde, est-ce que vous
vous amusez à faire vos films ?
Pour
moi tourner un film est une joie, si ce sentiment n'est pas là, ce n'est pas la
peine de faire de films. Les scènes d'humour que j'inclue dans mes films sont
parfois inspirées de ma vie et je ne pense pas que tout doit être triste dans
la vie. Le jour où je perdrais cette touche d'humour, je ne ferais plus de
films.
Pourquoi pensez vous que Loving You est votre véritable premier film?
Tous
les autres films que j'avais faits avant Loving you étaient purement
commerciaux. Je n'étais pas dans une phase créative, j'allais « au
travail » à ce moment là. Après avoir fait Heroic Trio 2 et Mad
Monk, je me suis poser la question pendant un an si j'allais continuer
comme ça jusqu'à la fin de ma vie ou si je devais faire autre chose. J'ai donc
crée en 1996 Milkyway Image et le premier film que j'ai fait avec cette
nouvelle production Loving You marque une nouvelle étape pour moi en tant qu'auteur-réalisateur.
Aujourd'hui, vous avez une reconnaissance
internationale à travers de grands festivals, est-ce qu'il est possible de vous
voir tourner à l'étranger ?
Mon
cinéma est en constante évolution et mon rêve serait de rester à Hong Kong pour
tourner mes films. Cela ne veut pas dire que je refuserais de travailler avec
des étrangers.
Votre dernier film sorti à Hong Kong
(janvier 2008), Linger, permet de
vous voir revenir à la comédie romantique, quelles ont été vos motivations pour
faire ce projet ?
Comme
je vous le disais plus tôt, depuis un peu plus de dix ans je travaille dans ma
société de production avec un scénario à chaque fois écrit au jour le jour en
fonction du travail des acteurs. Cette méthode a fait ses preuves et continue
de fonctionner mais je voulais, pour une fois, changer de méthode en
suivant un scénario écrit de A à Z. Parmi les scénarii que j'ai reçus, il y
avait un qui s'intitulait « Linger » et sans me poser la question si
l'histoire était bonne ou pas, je me suis lancer le défi de faire le film
« normalement ». Il s'avère
que suivre un scénario intégralement écrit n'est pas ce que j'aime le plus.
Comment s'est passé le tournage de la
production de Tsui Hark The Big Heat,
sachant qu'il y a eu beaucoup de changement de réalisateurs et que vous avez
par la suite travaillé d'égal à égal avec Tsui Hark sur Triangle ?
J'apprécie
Tsui Hark qui est un réalisateur qui a beaucoup fait pour le cinéma de Hong
Kong depuis les années 80. A cette époque, il m'avait proposé de faire avec lui
The
Big Heat mais nous n'étions pas au final sur la même longueur d'onde.
Il avait beaucoup d'idées et changeait sans cesse le scénario jour après jour,
comme je n'arrivais plus à suivre, j'ai préféré renoncer. Ce n'est pas pour
autant que nous avons rompu notre amitié ; je le connais avec Ringo Lam
depuis notre formation à la TVB. Nous aimons toujours parler de cinéma et que
nos collaborations soient des réussites ou des échecs, n'a pas d'importance au
final. Aujourd'hui, je respecte toujours autant Tsui Hark qui reste une
référence pour la jeune génération de cinéastes hongkongais.
La fin d'Election 2 laisse une porte ouverte avec le fils du personnage de
Louis Koo, avez-vous pensé à une suite d'ici 10 à 15 ans ?
Evidemment,
on peut voir cela sous cet angle. En fait, j'ai placé ce personnage comme une
métaphore sur le devenir des Triades à Hong Kong qui, à mon sens, seront, dans
un futur proche, contrôlées par le gouvernement chinois. Mais l'avenir étant
incertain, le petit garçon ne sait pas non plus où aller.
Que pensez vous de toute l'histoire à
scandale des photos publiées des ébats du jeune acteur Edison Chen ?
Est-ce que cela pourrait vous inspirer pour faire un film ?
Pour
un film pourquoi pas mais ça ne sera pas signé par moi. Ce scandale est une
petite histoire mais elle nous démontre que nous sommes dans une nouvelle ère
marquée par l'avènement de l'Internet. Les gens qui avaient l'habitude de
s'informer via la presse écrite et la télévision ne réalisent pas la puissance
de ce nouveau média. Le bon côté de cette histoire, c'est qu'elle pose la
question sur le bon ou mauvais rôle de l'Internet. La réflexion qui en sort est
au final beaucoup plus intéressante que l'histoire en elle-même, et
malheureusement Edison Chen et ses copines n'ont pas eu beaucoup de chance et
sont devenus des pionniers en la matière.
Où en est votre projet avec Alain
Delon ?
Alain
Delon est une des idoles de ma jeunesse et je l'ai enfin rencontré récemment.
Nous avons discuté d'éventuels projets mais il n'y a pas encore un scénario
assez fort pour partir tout de suite sur un projet. Mon désir de tourner avec
lui reste intact pour autant.
Que représente pour vous la
rétrospective de votre carrière à la Cinémathèque Française ?
Lorsqu'on
m'a annoncé cette idée au début de l'année 2007, j'ai été très surpris et
heureux. C'est une étape importante pour moi et cela représente aussi l'image
d'un couteau qui scinde ma carrière en deux parties. Ma carrière va sûrement
s'orienter vers quelque chose de nouveau et pour moi, il y aura un avant
rétrospective et un après. J'espère que dans vingt ans, il y aura une seconde
rétrospective pour attester de tout
cela.
Remerciements à Tristan Tramoni de CTV International et à Elodie Dufour de la Cinémathèque Française.