Dany Verissimo (C'est Gradiva qui vous appelle)

Julien Dury | 9 mai 2007
Julien Dury | 9 mai 2007

Dans Gradiva, Dany Verissimo a un rôle pour le moins laconique. Je frémissais donc à l’idée qu’elle reste aussi silencieuse en interview. Rien de plus glaçant que s’entretenir avec quelqu’un de taciturne à relancer en permanence… Fort heureusement il n’en a rien été, la discussion sur le film se lançant d’elle-même. À peine eus je le temps d’allumer au vol le dictaphone pour n’en rien perdre. Avouons-le, j’avais déjà été amadoué par l’offre d’un verre de vin, moyen le plus sûr de gagner la confiance de l’auteur de ces lignes…

 

Tu fais un peu le grand écart, entre Banlieue 13 et ce nouveau film…

J’avais dit que jamais je ne ferais de cinéma d’auteur, tout simplement parce que je trouvais ça chiant et que je commence généralement à m’endormir au bout de dix minutes. Si j’ai tourné dans le film d’Alain Robbe-Grillet, c’est donc que ça valait vraiment le coup. La première fois que j’ai lu le script, je n’ai rien compris. Je n’étais pas rentrée et je me suis dit que le mec avait dû prendre du LSD… Je ne voyais pas où il voulait en venir. En y repensant, je me suis dit que ça valait peut-être une seconde lecture, et cette fois-ci, j’ai pleuré.

 

 

 

 

Finalement, tu as très vite accroché à ton rôle.

On me proposait à ce moment-là un autre rôle, mais devant le producteur j’y suis allé franchement. J’ai demandé s’ils avaient trouvé quelqu’un pour le personnage de Belkis et il m’a répondu par la négative. J’ai exigé de passer les essais, ce qui l’a un peu décontenancé même s’il a reconnu que le rôle me conviendrait parfaitement… Restait à convaincre Alain. C’était un dimanche après-midi, je me suis déplacé jusque chez lui. Il a accepté que je participe aux essais, mais je pense que sa décision était prise dès l’entretien.

 

La rencontre s’est donc bien passée…

Bah oui. Forcément, il m’a testée. Je portais une petite jupe en jean avec une tunique un peu transparente et il m’a demandé si je pouvais me déshabiller devant lui. Je l’ai regardé et j’ai fait « Oui, je pourrais mais ce ne serait pas très gracieux ». Et là, j’ai marqué un point, comme c’est quelqu’un assez à cheval sur l’esthétisme. Par contre, je lui ai dit que je pouvais lui montrer mes pieds, ce qui l’a immédiatement séduit puisqu’il m’a avoué qu’il voyait le personnage de Belkis se déplacer pieds-nus. J’ai enlevé mes bottes et j’ai levé mes jambes pile sous son nez !

 

 


 

 

Au point que tu joues plusieurs rôles.

Quatre jours avant mon départ pour le tournage au Maroc, on m’appelle pour me demander de faire des essais perruque. J’ai appris que finalement, j’interpréterais aussi le rôle qui était prévu pour moi au départ ! On n’avait trouvé personne pour me remplacer et Alain a trouvé que c’était un parallèle intéressant. Durant le tournage, je reviens deux jours à Paris et à mon retour sur le plateau, tout le monde me demande ce que ça me fait de devoir être peinte tout en noir. Je vérifie si c’est une blague mais non, j’allais aussi jouer l’Odalisque Noire. Il trouvait que la comédienne d’origine avait la poitrine trop flasque… Du coup, je joue trois rôles.

 

Et pourquoi cette volonté absolue de jouer Belkis ?

Je pense que dans toutes les fantasmagories du héros, il y a différents types de femmes dont chacun correspond plus à ce que tu aimerais être. C’est Belkis qui me touchait le plus, et les gens qui me connaissent vraiment trouvent que je lui ressemble. J’ai tendance à être extravertie au quotidien comme le personnage de Joujou, mais je peux être quelqu’un de très fermé qui garde pour elle ce qu’elle ne veut pas dire. C’était un challenge de jouer un rôle pratiquement muet. Malgré tout, reste une montée dans le récit d’un certain amour qui permet de passer par une grande palette d’émotions sans que ce soit jamais vraiment décrit.

 

On peut la voir comme le personnage central du film…

Je ne pense pas que ce rôle était le plus important par rapport à celui de Gradiva. Alain m’a pourtant confié que ma présence charnelle lui avait donné une ampleur inattendue à l’écran. Au point qu’il m’a convoqué un soir alors que j’étais en train de dîner. Il voulait me demander ce que Belkis devait faire dans la séquence où elle est au lit avec le héros qui entend le chant de Gradiva. Il ne parvenait pas à la mettre en scène et voulait mon avis quant aux positions dans lesquelles devaient se trouver les corps.

 

 


 

 

C’est un homme relativement âgé, un académicien. Est-ce que le rapport est différent d’avec un autre réalisateur ?

C’est un personnage. Tu apprends beaucoup à son contact. Tu as des actrices comme Arielle Dombasle ou Marie Espinosa qui peuvent immédiatement être à l’aise avec lui. Moi, j’ai dû créer mon monde pour dialoguer avec lui. Je n’ai pas du tout la même formation que ces deux charmantes demoiselles. Je n’ai pas une grande culture, comme mon père je lisais les livres que je retrouvais à la poubelle… C’est après avoir rencontré Alain que je me suis vraiment intéressée à la littérature même si j’ai développé un univers que je pense plus simple que le sien.

 

Dans quelle atmosphère s’est déroulée le tournage ?

Tu oublies le côté cérébral quand tu rentres vraiment dans les images. À le revoir, j’ai l’impression d’un rêve, que Belkis est quelqu’un d’autre. Même à la lecture, je ne savais pas ce que ça allait donner, tous ces mondes parallèles. Le contexte du tournage a aussi joué sur l’atmosphère. C’était en plein Ramadan donc tu imagines la tension avec une actrice qui joue la plupart du temps nue, alors que l’équipe était à moitié musulmane. Je trouve que c’est un beau film. Certains ne l’aiment pas parce qu’on ne sait pas où le classer. C’est amusant de penser que quelqu’un d’aussi scientifique qu’Alain arrive à faire un film léger comme une bulle de savon, avec cet aspect sentimental. Il trouve dans ses fantasmes une logique de mondes parallèles incontrôlables mais organisables.

 

Ca m’a l’air d’une grande expérience. D’autres projets ont suivi pour tourner la page ?

Tu penses bien qu’après un film aussi sérieux, je vais faire le grand écart. Je pense repartir vers un blockbuster. Il y a ces deux côtés chez moi. Je fais partie de la génération Besson donc j’ai ingurgité tous ses films, mais je me suis aussi intéressée aux comédies musicales des années 1940. Je choisis une œuvre quand je sais que je pourrai apporter une âme au personnage que je suis censé jouer.. Pour le moment, j’ai le choix entre un long-métrage totalement barrée avec des zombies ou une comédie à la Ben Stiller. Le défi dans ce genre d’humour un peu bas du plafond, c’est de rester crédible et sérieux sans devenir burlesque. Je préfère jouer un rôle qui doit garder son sang-froid sans perdre son contrôle par rapport au décalage et au délire des autres. Ce genre de films me fait un peu respirer le cerveau… C’est peut-être pour ça que j’ai voulu jouer Belkis. Il n’y avait pas à réfléchir, juste à ressentir. Je dois tomber amoureuse de tous mes personnages. D’ailleurs, j’entends souvent dire qu’Ally Mac Tiana était un pseudonyme choisi pour le porno. C’est faux, c’est un personnage que j’ai créé et que j’ai interprété pendant quatorze mois.

 

 

 



Tu n’as donc rien tourné depuis Gradiva ?

Si, j'ai tourné dans une série policière Section de Recherche sur TF1. Je jouais une fille peu fréquentable, ancienne dealeuse aux amis peu fréquentables. L’an dernier, j’ai traversé une période assez dure où je n’ai pas travaillé. L’univers des castings est très cloisonné et comme je suis assez typée, j’ai du mal à trouver certains rôles. Il faut arrêter de dire qu’une braqueuse est forcément noire ou arabe et qu’un directeur de banque doit être blanc. Je ne vois pas les choses de cette façon et je pense vraiment à quitter provisoirement la France pour le cinéma anglo-saxon. Si je devais comparer les offres étrangères qui me sont faites par rapport aux offres que l'on me fait ici, je pourrais dire que l'on m'attend là bas à bras ouverts. Ca m’énerve car j’aime mon pays et je sais que beaucoup de jeunes cherchent à faire bouger les choses. Tous mes amis qui ont monté des courts-métrages l’ont fait sans l’aide du CNC. Je crois que le CNC n'apprécie pas trop les films de genre pourtant on y découvre de belles pépites françaises et le public a l'air de prendre du plaisir à visionner des films pop-corn. Je me demande qui ils peuvent bien aider.

 

Dernière question, est-ce qu’il faut croire Arielle Dombasle lorsqu’elle affirme que tu as été la secrétaire de Luc Besson ?

J’ai été son assistante. Peu après le tournage de Banlieue 13 en mars 2005, je me suis retrouvée brutalement dans une situation précaire. C’est Luc qui m’a alors trouvé un emploi. J’ai beaucoup appris au contact du monde de la production. Certains comédiens ne connaissent que le monde du tournage. Grâce à cette expérience, j’ai pu prendre conscience de l’avant et de l’après et j’aurais pu continuer en tant que productrice si j’avais voulu. Pour le moment, je préfère rester devant la caméra. Ce qui m’ennuie avec cette histoire, c’est qu’on fasse un amalgame entre la fin de ma carrière porno et mon entrée chez Luc. Ca n’avait rien à voir, je n’étais pas là en tant que faire-valoir, j’ai dû gérer des dossiers assez lourds. Notre relation était purement platonique. Il m’a juste donné un coup de main, et je connais peu de monde qui en aurait été capable. Je pense aussi qu’il ne voulait pas me laisser abandonner le cinéma. J’avais envie de tout lâcher et c’est lui qui m’a rattrapée.

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