Rolf De Heer (Alexandra's project)

Erwan Desbois | 1 avril 2007
Erwan Desbois | 1 avril 2007

En France, le réalisateur néerlandais et australien d'adoption Rolf De Heer a été – relativement – remarqué pour deux longs-métrages à caractère social : l'un sur le désir sexuel chez une handicapée moteur (Dance me to my song, 1999) et l'autre sur les aborigènes – 10 canoës, 150 lances et 3 épouses, sorti en décembre dernier. A l'occasion de la sortie directement en DVD d'Alexandra's project, le meilleur de ses films à avoir atteint notre pays, il a répondu pour nous à quelques questions afin de mieux le cerner.

 

Quelle a été l'origine de ce scénario au concept pour le moins inattendu ?
Mon idée de départ consistait à réaliser un film à petite échelle, avec un budget très faible, presque artisanal, dans lequel je pourrais être impliqué à tous les niveaux. J'avais eu l'idée que si une partie du film était réalisée en vidéo puis vue via un écran lors du tournage proprement dit, alors le coût de ces scènes pouvait être très faible (puisque tous les plans filmant l'écran vidéo seraient fixes et réalisés en une seule prise). La question qui s'est alors posée était : que mettre sur cet écran ? Comment l'utiliser ? J'ai eu une image (qui finalement n'est pas dans le film) qui m'est venue, d'une femme parlant à une caméra vidéo, et cela m'a servi de point de départ pour le développement de l'histoire. Je me suis posé des questions… Qui est cette femme ? Que fait-elle à parler à une caméra ? Est-elle heureuse ou malheureuse ? A ce stade, le film aurait encore pu être une comédie… Cette femme aurait pu, par exemple, être une comédienne répétant un sketch. Mais finalement il semblait plus intéressant et plus riche en potentiel dramatique si elle était malheureuse. La question est alors devenue « Pourquoi est-elle malheureuse ? », et le scénario est parti de là.

 


Le personnage d'Alexandra a-t-il été édulcoré (ou au contraire endurci) au cours de l'écriture puis du tournage ?
Pour moi, ces deux phases sont sensiblement une seule et même chose, elles participent toutes deux à la réalisation du film et je ne fais pas de réelle distinction entre elles.
Il ne s'agissait pas tant d'édulcorer ou d'endurcir Alexandra, mais plutôt de parvenir à conserver l'équilibre entre les deux personnages, et de ne pas favoriser l'un par rapport à l'autre. D'ailleurs, de nombreux spectateurs pensent que j'en ai favorisé un des deux, mais ils ne sont pas d'accord sur lequel ! Ceci m'amène à penser que l'équilibre que je recherchais a probablement été atteint.

 

Vous êtes-vous servi d'influences visuelles particulières ? Le traitement de la maison comme lieu d'insécurité et de danger fait penser entre autres à Lost highway
Je n'ai pas vu Lost highway, mais c'est la deuxième fois en une semaine que l'on me pose une question y faisant référence donc je suis impatient de le regarder. Plus généralement, j'essaye de ne pas m'inspirer directement de films en particulier. Chaque film est unique en termes de contenu et doit être traité comme tel. J'essaye de créer sur des bases nouvelles le langage et l'aspect visuel de chaque film que je fais, ainsi que les sensations qu'ils engendrent, en cherchant à éviter toute influence visuelle de quelque provenance que ce soit.

 


Plus généralement, quels sont vos films et réalisateurs favoris, qui vous inspirent dans votre travail ?
Question délicate. Il y a tellement de films que j'aime, et encore plus que je considère comme ayant un intérêt certain. Je ne réfléchis pas vraiment en termes d'œuvre d'un metteur en scène, je préfère voir les films en les dissociant de leur réalisateur, ce qui conduit le plus souvent à mieux en profiter. Par exemple, en tant que tel Les infiltrés est un bon film, mais pour un Scorsese c'est fade et sans intérêt. Et c'est injuste pour Scorsese : pourquoi n'aurait-il pas le droit de réaliser « juste » un bon film ?
Concernant l'inspiration, il y a de nombreux films qui m'ont inspiré d'une façon ou d'une autre en trente ans de cinéphilie : de 1900 à Vol au-dessus d'un nid de coucous, de La grande illusion au film soviétique The stud farm…

 


 
 

 


A titre personnel, à qui va votre sympathie, au mari ou à la femme ?
Pour ce genre de film, il m'est nécessaire d'aimer en partie tous mes personnages, ou au moins de comprendre ce qui fait qu'ils sont ce qu'ils sont (et donc de ne pas les désavouer). Si je ne les aime pas, cela signifie presque obligatoirement que je ne les comprends pas, et si je ne les comprends pas, je ne devrais pas être en train de les écrire. Dès lors, je comprends le point auquel et le mari et la femme en sont arrivés dans leur vie et dans leur couple… ce qui permet au tragique de la situation de prendre forme. Lorsqu'arrive le dénouement (attention spoiler), je suis désolé pour Steve, car son sentiment est qu'il a tout perdu, et je suis heureux qu'Alexandra ait réussi à s'évader de sa prison psychologique. C'est injuste, mais en même temps dans des situations telles que celle décrite dans le film la vie est presque toujours injuste.

 

 

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