Enzo G. Castellari

Flavien Bellevue | 13 juillet 2006
Flavien Bellevue | 13 juillet 2006

Réalisateur phare du cinéma italien d'action, le bon vivant Enzo G. Castellari s'est confié à Ecran Large à l'occasion du dernier festival de Valenciennes où le cinéma bis italien était à l'honneur. Avec nostalgie, le réalisateur de Keoma revient une carrière faste et n'hésite pas, pour l'occasion, à nous mettre l'eau à la bouche concernant son futur projet…

Que pensez vous de la redécouverte du public pour le cinéma de genre italien ?
J'ai l'habitude maintenant de ces hommages et rétrospectives dans le monde entier car cela paraît nouveau aux yeux du public. Le cinéma que l'on faisait à l'époque n'est plus possible aujourd'hui parce que les jeunes metteurs en scène d'aujourd'hui ne connaissent pas ou très peu les métiers d'assistant réalisateur et de monteur alors que cela devrait être la base. Aujourd'hui, tu écris une bonne histoire et tu deviens metteur en scène donc une majorité de jeunes réalisateurs manque d'expérience et fait des films moyens ou mauvais. Rares sont ceux qui s'en sortent bien. À l'époque quand je sortais un film, il se vendait dans le monde entier y compris aux Etats-Unis, aujourd'hui pour un jeune réalisateur italien, c'est difficile. Il n'empêche que cette jeunesse regarde les films italiens des années 60-70 avec admiration.

Les polars et westerns italiens de la fin des années 60 et 70 sont sujets d'un retour en grâce aux yeux de la critique, qui les a beaucoup déconsidéré à l'époque. Cela vous fait-il plaisir ?
Oui, j'aime beaucoup. À chaque fois qu'on me demande si je peux venir pour un festival, j'accepte avec un grand plaisir car j'aime voir les spectateurs « découvrir » mes films de cette époque. Merci à Quentin Tarentino ; l'an dernier, je l'ai rencontré au festival de Venise car il veut faire un remake d'un de mes films de guerre. Il était venu assister à la projection de ce film avec Joe Dante. D'ailleurs, à la fin de la projection, il s'est levé et a crié : « My master ! My master ! ». (rires) Son film s'intitulera Inglorious bastard comme vous le savez.

Quel souvenir gardez-vous du tournage de La grande débandade (Le Avventure e gli amori di Scaramouche, 1975) avec Aldo Maccione en Napoléon et Ursula Andress en Joséphine ?
C'est un film très amusant, le tournage a été fantastique. Je me rappelle de Michael Sarrazin, d'Aldo Maccione…mais je garde un mauvais souvenir du tournage en Yougoslavie car avant mon arrivée, le gouvernement mettait à disposition beaucoup de militaires ou de chevaux pour la figuration et lorsque je suis arrivé là, ce n'était plus possible. Il a fallu aller très loin pour chercher des chevaux, il n'y avait même pas d'hôtel, c'était un cauchemar. Cela dit, dans l'ensemble, j'en garde un bon souvenir.

La violence représentée dans le film a une certaine parenté avec les films de samouraï des années 70. Vous en êtes vous inspiré ?
Oui, bien sûr ! Je m'inspirais des ralentis comme on pouvait en voir dans Les Septs samouraïs par exemple. Chaque fois qu'un samouraï mourait, c'était au ralenti et je trouvais ça fantastique ! Avec le ralenti, on peut voir tous les détals de la mort du personnage, ce qui donne une émotion très forte. J'aimais ces films japonais à l'époque et j'en regarde toujours aujourd'hui.


Une autre inspiration pour le ralenti que l'on peut noter, c'est Sam Peckinpah…
Oui !! La Horde sauvage surtout car j'ai fait une copie de chaque photogramme du film. (rires). Il n'y a pas un morceau de ce film que je n'ai pas copié. (rires). Le montage était génial, on aurait dit une danse…

L'avez vous rencontré ?
Oui une fois. Il était venu en Italie pour faire un film en tant qu'acteur ; c'était un western de Monte Hellman (Ndlr amore, piombo e furore ou connu aussi sous le nom Gunfire (1978)). On m'a présenté à lui comme étant son double italien et lorsqu'on s'est serré la main, il n'était plus « là ». À cause de l'alcool, il m'a à peine répondu. Quel dommage ! Vous imaginez mon idole que je rencontre enfin et il peut à peine me répondre.


Referez-vous un film un jour avec Franco Nero (plus de 6 films ensemble) ?
Oui ! Nous sommes en train de faire un western qui aura en cameo Tomas Milian, Quentin Tarentino, Robert Rodriguez, John Landis (Ndlr, dans une récente interview pour notre site, ce dernier nous a totalement démenti son implication dans ce projet) et Dario Argento. Le tournage a lieu à Almeria en Espagne.

Par contre Jack Palance que vous avez aussi dirigé, avait une réputation d'être plutôt difficile…
On m'avait pourtant prévenu avant de tourner avec lui qu'il avait cette réputation mais ce n'est pas vrai. C'est un homme fantastique, avec ma femme, nous sommes allés en boîte danser et chanter…je n'ai eu aucun problème. C'est un homme très cultivé, à chaque fois qu'il y avait un temps de libre sur le plateau, il lisait. C'était aussi un grand amateur de peinture. Non, je n'ai eu aucun problème, c'est un grand acteur et un grand ami. Cela a été la même chose avec Erik Estrada de la série Chips dont on me disait qu'il était pas facile parce qu'il est porto ricain et qu'il vient du Bronx mais ce n'est pas vrai. Les acteurs ne sont pas difficiles, ils sont soit intelligents ou idiots. Lorsqu'ils sont intelligents, on peut arriver à un accord avec eux très facilement dans le cas contraire c'est difficile. À partir du moment où l'on a lu avec l'acteur le scénario et évoqué ensemble les problèmes avant de tourner le film, il y a moins de problèmes.

Keoma regorge de trouvailles visuelles et dispose d'un scope somptueux. C'est le film sur lequel vous avez bénéficié de plus de moyens ?
Non parce que le producteur, Manolo Bolognini, Franco Nero et moi même avions décidé de faire le film avec très peu d'argent. Le western était en déclin au moment où nous voulions faire le film donc nous ne pouvions pas nous permettre d'avoir un gros budget. Nous avons donc utilisé des ruines de la ville de Rome et lorsque l'on a annoncé que je voulais faire un western, beaucoup de gens sont venus à moi pour faire le film bénévolement. De tous mes films, Keoma reste mon préféré.


Dans les années 80, pourquoi avez-vous fait ces copies de New York 1997 (Les Guerriers du Bronx 1 & 2) ou de Jaws (La Mort au large) qui ont été préjudiciable au cinéma B d'action à l'italienne ? Est-ce qu'il y avait moins de liberté qu'avant ?
À ce moment là, le producteur des Guerriers du Bronx m'avait appelé une première fois pour faire Zombie 2 mais comme je n'aime pas ce genre de films, j'ai refusé. Après cela, j'ai donc fait La Mort au large et le producteur m'a demandé de faire Les guerriers du Bronx. On est parti dans le Bronx et ça a été fantastique. À première vue, c'est un quartier hostile mais lorsqu'on a rencontré les gens, ça s'est très bien passé. La suite a été plus facile à faire que le premier.


Oui mais pourquoi il y a-t-il eu autant de copies à l'époque ?
Parce que c'était des films que tout le monde attendait…et je me rappelais, à l'époque, que tout le monde, dans le cinéma, rêvait d'être dans les 50 premiers films de l'année dans le magazine Variety. Les guerriers du Bronx a été à la cinquième place pendant quelques semaines, ça été un succès incroyable ; après quoi, les américains m'ont appelé pour travailler avec eux. J'ai travaillé pendant 15 ans à Wilmington en Caroline du Nord dans les studios de Laurentiis. On m'envoyait le scénario, les acteurs etc. en Italie et j'allais aux Etats-Unis seulement pour tourner. C'était fantastique !


Mais est-ce que ceux qui ont essayé de vous suivre dans ces copies de films américains, ont nui au cinéma italien de genre ?
Ce n'est pas tellement la question…si tu penses qu'est-ce que le public veut voir au cinéma à l'époque, c'était les films américains. Ce n'était pas une habitude du cinéma italien de copier mais pour moi, ce n'était pas un problème de le faire car chaque film était mon film avec mon propre style. La différence que j'avais avec mes collègues italiens, c'était que je copiais les films américains et que eux copiaient mes films. (rires)

Que pouvez vous dire sur The big racket (qui est passé fin avril à la cinémathèque) avec Fabio Testi?
D'une part, j'espère que les lecteurs ont vu le film, c'est un de mes films préférés dans ma filmographie. Ce que je peux en dire ce qu'il y a une scène avec Fabio Testi dans une voiture qui tombe dans un précipice et il est vraiment à l'intérieur. Je n'ai jamais vraiment révélé comment j'ai fait cette scène et tu ne sais pas combien de collègues m'ont posé la question…Comme j'ai fait des études d'architecture, mettre au point un système technique, c'est facile pour moi surtout que j'ai un œil de monteur également donc ça facilite les choses. Ma femme d'ailleurs a monté un des célèbres Mondo Cane. Si tu connais bien le montage, la mise en scène et le cadrage, c'est une scène facile à faire mais jamais je révèlerai comment je l'ai fait. C'est amusant car à chaque fois, je dois inventer quelque chose de différent et de plus énorme pour me justifier du style : « j'ai fait venir un ingénieur d'Allemagne qui a construit une grande roue énorme en acier…». (rires) J'aime beaucoup ce film que Tarentino considère comme étant le meilleur film italien d'action.


Propos recueillis par Flavien Bellevue.
Autoportrait de Enzo G. Castellari.
Remerciements à l'équipe d'André-Paul Ricci et aux organisatrices du festival de Valenciennes: Patricia Lasou, Sylvie Lemaire et Patricia Riquet.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.