La prisonnière du désert, 50e anniversaire
À l'occasion du cinquantième anniversaire de la réalisation de La prisonnière du désert, western culte de la longue collaboration (vingt-quatre films) entre John Ford et John Wayne, Warner Bros en sort ce mois-ci une édition DVD (testée ici) proposant une image parfaitement restaurée. Cette sortie a été accompagnée d'une projection spéciale lors du Festival de Cannes 2006 dans le cadre de Cannes Classic, à l'issue de laquelle nous avons eu l'extrême privilège de rencontrer Dan Ford (petit-fils de John Ford), Ned Price qui a supervisé la restauration numérique (déjà auteur au même poste de celle de King Kong 1933) et surtout Peter Bogdanovich, biographe du cinéaste (il est l'auteur du commentaire audio présent sur le DVD malheureusement non sous-titré) et lui-même réalisateur à ses heures.
Dan Ford
À propos du film
Quels souvenirs gardez-vous du tournage du film au cur du désert de la Monument Valley ?
Dan Ford : Mon grand-père adorait tourner à Monument Valley.
C'est à plus de deux cents kilomètres de tout, avec aucune possibilité
de communiquer avec les studios. Il était donc complètement
responsable, puisqu'il ne recevait pas de règles précises et gérait
tout. C'était un peu un père sur le tournage du fait de cet isolement.
C'était vraiment un endroit difficile pour tourner, sans compter le peu
de moyens qu'ils avaient à l'époque. Peut-être d'ailleurs maintenant le
cinéma a trop de moyens
À l'époque ils étaient obligés de se
concentrer sur l'essentiel.
Peter Bogdanovich : Ils habitaient dans des caravanes. Le
soleil tapait fort, c'était poussiéreux. Ils y ont passé pas loin de
douze semaines peut-être
ce qui n'est finalement pas tant que ça. Ford
aimait conclure à la première prise. Le film a été tourné plus vite que
ce qu'on pourrait croire, peut-être même moins de douze semaines en
fait.
John Wayne a-t-il participé à l'écriture du scénario ou à l'élaboration de son personnage ?
Peter Bogdanovich : Wayne jouait comme il le sentait, et la plupart du temps ça convenait à Ford. C'est un des films préférés de Wayne d'ailleurs.
Peter Bogdanovich
Ford et Wayne semblaient-ils accorder une importance particulière à ce film au cours de sa production ?
Dan Ford : Certes ils sentaient que ce qu'ils faisaient étaient
particulier mais je pense que ce n'est pas le film qui en dit le plus
sur la personnalité de John Ford. Il est magnifique mais ce n'est pas
le film essentiel. D'autres reflètent beaucoup mieux ce qu'il était
vraiment. Pour lui cétait quand même en premier lieu une commande de
studio, un film commercial.
Peter Bogdanovich : Ford se plaignait qu'on avait mis trop de musique dans le film en réalité !
Et quelle fut leur réaction face à l'accueil réservé de la profession (aucune nomination aux Oscars) ?
Dan Ford : Les westerns n'ont jamais été un genre très respecté.
Ce n'était pas pris au sérieux et c'était souvent très critiqué.
C'était populaire, pourtant, et les nouvelles générations continuent de
découvrir le film.
Peter Bogdanovich : En réalité ils ne s'attendaient pas à
recevoir un Oscar, puisque c'était un western. Wayne et Ford formaient
une vraie équipe
. De toute façon les Oscars reviennent très souvent
aux mauvaises personnes, même aujourd'hui.
Ned Price
À propos de la restauration
Quand vous et votre équipe avez-vous décidé de restaurer le film ?
Ned Price : En 1991 en fait quand Warner a décidé de ressortir
le film en salles puis en Laserdisc, on était parti du négatif original
qui avait déjà pourtant pas mal souffert. Par la suite on du dans un
premier temps « reconstruire » le film en prenant des bouts de négatifs
plus ou moins intacts au sein des archives du Studio ou dans
différentes cinémathèques à travers le monde. Le film ainsi reconstitué
on en a tiré un nouvel interpositif que l'on s'est mis alors à
restaurer car tout de suite on s'est rendu compte que l'image avait
beaucoup de grain à la suite de la reconstruction. Pour la restauration
en elle-même nous avons utilisé les dernières technologies numériques à
date soit l'encodage en 4K, c'est à dire ce qui se fait de mieux. À tel
point que le résultat obtenu a permi de créer un nouvel interpositif
35mm qui repose dorénavant dans les archives du Studio.
Est-ce que la restauration a été longue à partir du moment où vous avez pu vous procurer des outils numériques ?
Elle a duré neuf mois. Le plus long a été d'enlever la poussière du
film à l'aide de produits chimiques. On l'a fait manuellement, sans
outils automatiques. On a vraiment essayé de reproduire l'effet
original du film à sa sortie mais c'est impossible d'arriver à la
perfection mais c'est le plus proche que l'on pouvait atteindre.
Et pour le son ?
Ce n'était pas très difficile en fait, on avait la bande son originale.
On a appliqué des produits chimiques pour détendre la bande magnétique,
puis on a nettoyé. Ce n'est pas exactement comme dans les cinéma de
l'époque, le son passe maintenant par des hauts-parleurs mieux
répartis, le son ne dépend plus de la pièce. Mais là encore on essaie
de recréer les conditions de la première sortie du film.
Combien de fois avez-vous vu le film pendant ce travail ?
(rires) Des centaines de fois ! En plus on le travaille morceau
par morceau et scène par scène ! Je suis toujours surpris après toutes
ces fois par la réalisation. C'est fou d'arriver à manoeuvrer la caméra
avec tant de fluidité dans un endroit pareil, hors studio. Ils devaient
faire avec ce qu'ils avaient amené et c'est tout.
Propos recueillis par Vincent Julé
Traduit de l'anglais par Coralie Bru
Autoportraits par leur auteur respectif