Christian Carion (Joyeux Noël)

Ilan Ferry | 15 mai 2006
Ilan Ferry | 15 mai 2006

Fort du succès de son précédent film, Une hirondelle a fait le printemps, Christian Carion signe avec Joyeux Noël une histoire bouleversante sur un pan méconnu de la guerre 14/18 : la fraternisation entre les soldats alliés et allemand le soir du réveillon de Noël 1914. Le film sort ce mois-ci dans une édition double DVD luxueuse, l'occasion de revenir avec le réalisateur sur ce projet hors normes.

 

 

Comment est né le projet de Joyeux Noël ?
Il y a 14 ans, j'ai découvert un peu par hasard dans un livre d'histoire, qu'il y avait eu des fraternisations le soir de Noël 1914. Ayant voulu en savoir plus, j'ai commencé une enquête avec un historien et au fur et à mesure de mes découvertes sur le sujet, l'envie de raconter cette histoire au cinéma est devenu de plus en plus grande.

 

Combien de temps a duré la préparation du film depuis l'écriture du scénario ?
L'enquête en elle-même a commencée en 1993 et a durée 2 ans. Puis j'ai mis tout ça de côté pendant un moment et lorsque j'ai repris le dossier, cela m'a pris 4 ans entre l'écriture du scénario et la sortie du film. Joyeux Noël ayant fait le tour du monde, j'ai passé beaucoup de temps à l'étranger.

 

Quels films aviez-vous en tête durant la préparation du film ?
J'ai surtout vu des films avant le tournage car je ne voulais pas être influencé outre mesure dans mes choix de mise en scène. Parmi eux, j'ai revu Les Sentiers de la gloire, qui, quelque part, se termine là où Joyeux Noël démarre. La fin du film de Kubrick véhicule la même idée d'émotion passant par le chant. J'en ai vu d'autres comme À l'ouest rien de nouveau et Les Croix de bois, mais surtout La Ligne rouge qui est mon film de chevet.

 

 


 

Les personnages du film sont-ils tous inspirés de personnes ayant réellement existées ?
Oui, ils sont tous inspirés de personnes réelles dont j'ai appris l'existence lors de mon enquête par l'intermédiaire de multiples documents tels que des rapports ou encore des lettres de soldats à leurs familles…

 

Pourquoi avoir choisi comme angle d'attaque la fiction et pas le documentaire ?
Je suis cinéaste et non documentariste. De plus, j'avais envie d'apporter un certain lyrisme à cette histoire, ce qui n'est pas forcément l'objet d'un documentaire.

 

Le choix de Dany Boon est plutôt surprenant…
Pas pour moi (Rires). Comme tout le monde, je connais Dany Boon par ses spectacles, mais j'ai toujours vu en lui un personnage derrière lequel se cachait beaucoup d'émotions et pas seulement l'acteur comique. C'est pourquoi j'ai eu envie d'ouvrir la porte et de voir ce qu'il y avait derrière et je n'ai pas été déçu.

 


 

A quels problèmes se trouve t-on confronté quand on décide de montrer trois points de vue différents ?
Mon principal problème était de faire en sorte que le public ressente la même affection pour chacun des personnages, quelque soit la couleur de leur uniforme. Ensuite, il fallait tisser, entrelacer tout ça afin que chaque histoire ait son propre parcours.

 

Quelles furent les réactions devant l'image que vous donnez de l'Église?
Selon moi, il y a deux images de l'Église dans le film : il y'a d'abord l'homme de terrain celui qui est véritablement capable de porter le message du Christ, s'il existe, et puis il y a la face obscure qui est en fait un pouvoir politique (donc engagé) dans une cause qui est celle de la guerre. Il faut savoir que le discours fait par l'évêque n'a pas été inventé, en le lisant j'ai trouvé choquant qu'un homme de Dieu tienne ce genre de discours, c'est pourquoi je l'ai mis au banc des accusés, ce qui m'a valu pas mal de réactions négatives. J'ai du expliquer que ce type de discours a véritablement été prononcé et pourrait l'être encore aujourd'hui puisque les mêmes termes de croisade du Bien contre le Mal ont été réutilisés par Georges Bush. Je pense que ce type de propos s'inscrit dans ce que la religion chrétienne peut produire de plus minable. De plus, cela m'intéressait de montrer qu'aucun texte religieux (dont la Bible) ne pouvait échapper à ce type de manipulations.

 

Qu'est ce qui pousse le père Palmer (Gary Lewis) à s'engager dans cette guerre ?
À cette époque les anglais fonctionnaient selon un système de volontariat, ils partaient par villages entiers souvent suivis par des prêtres qui accompagnaient les jeunes ayant fait leurs communions, renforçant ainsi la notion, très forte, de famille. Si le père Palmer part c'est non par bellicisme mais pour accompagner Jonathan, le jeune aide de camp.

 


 

Comment le film a-t-il été reçu à l'étranger ?
Quelques soient les continents, les réactions ont toutes été les mêmes, c'étaient les mêmes émotions au même moment. C'est là que je me suis rendu compte de la portée universelle de ce projet.

 

Quelle place accordez-vous à la musique ?
La plupart des histoires de fraternisation (car il y en a eu beaucoup) ayant commencé lorsque les allemands se sont mis à chanter ou jouer de la musique autour de Noël, je voulais montrer que c'était la musique qui a fait que ces hommes ont, à un moment donné, arrêté de se battre. Pour raconter cela, il était indispensable de lui donner un place prépondérante, notamment dans cette séquence où le ténor allemand chante tandis que le soldat écossais lui répond par l'intermédiaire de sa cornemuse.

 

Benno Fürmann a t-il suivi une préparation spécifique pour son rôle de ténor ?
Lui et Diane Kruger ont été coachés pour le chant durant deux à trois mois pour non pas apprendre à chanter, mais pour comprendre ce que cela impliquait physiquement.

 


 

Pourquoi avoir utilisé des dessins pour illustrer le générique de fin ?
Des photos auraient été convenues, de plus j'aimais l'idée d'avoir un personnage utilisant le dessin comme moyen d'oublier. Au fond, les dessins représentent ce qu'il a retenu de ces fraternisations, c'est une référence à mon travail au départ. Si j'ai découvert qu'il y avait eu des fraternisations à cette période c'est grâce à des personnes, à cette époque, qui se sont donnés la peine d'écrire, voire de dessiner là-dessus.

 

Le DVD contient beaucoup se scènes coupées, dont celle très touchante montrant Madeleine, la femme du Lieutenant Audebert (Guillaume Canet)…
Concernant Madeleine, je voulais montrer la vie d'avant, la lumière de l'été 14 avant que tout ne sombre. Mais c'était aussi le plaisir de filmer dans mon village et donc, de revenir à quelque chose de plus intime. C'est la première scène que nous avons tourné et j'aurais vraiment voulu qu'elle ouvre le film.

 

Selon vous quel film parle le plus « justement » de la guerre de 14/18 ?
Cette guerre-là, je ne sais pas, en revanche concernant la condition humaine en temps de guerre je dirais La Ligne rouge. Je suis très sensible à l'univers de Malick et trouve son travail sur la voix off extraordinaire. Selon moi, ce film traite de la misère humaine confrontée à cette folie qu'est la guerre, ce qui est en soi est d'une banalité consternante, et pourtant l'exprimer n'est en rien banal. Ce qu'il parvient magnifiquement à faire et toujours avec un point de vue bien spécifique, celui de la nature qui regarde les hommes se tuer avec une espèce de dédain et de mépris que je trouve formidable. Dans Joyeux Noël, il y a une scène en référence directe au cinéma de Malick. On y voit le Lieutenant Audebert observer deux scarabés en train de s'accoupler. Je voulais montrer que, tandis que les hommes s'entretuent, la vie d'un autre côté continue, comme si la nature au fond n'avait rien à faire du destin de ces hommes.

 

 


 

Quels sont vos projets ?
Renter chez moi me reposer ! (Rires). Mon prochain film racontera l'histoire vraie d'un homme ayant travaillé au KGB à Moscou au début des années 80 et qui, afin d'offrir à son fils de 15 ans un monde plus en accord avec les principes édictés par Lénine, divulgua à l'Ouest les noms des 300 espions ayant permis à l'Union Soviétique de rester dans la course à l'armement. Cet événement marqua le début de la fin pour le communisme puisque peu de temps après le mur de Berlin fut détruit.

 

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