Julian Fellowes (Separate lies)

Vanessa Aubert | 28 mars 2006
Vanessa Aubert | 28 mars 2006

Choisi par Robert Altman comme conseiller et scénariste de Gosford Park, Julian Fellowes marque par son flegme so british. Acteur dans une cinquantaine de films, cet heureux oscarisé, fils d'un diplomate anglais réitère son coup de maître en installant le trio Wilkinson-Watson-Everett au centre d'une intrigue policière plus que réussie. Separate Lies, sa première réalisation, nous donne l'occasion de discerner le vrai du faux dans l'interview d'un auteur pince-sans-rire à suivre.

Vous aviez ce projet avant Gosford Park. Comment est-il né ?
Après avoir écrit des séries pour enfants à la BBC, je n'aspirais qu'à une chose : écrire des films. J'ai commencé à écrire, à recevoir quelques commissions mais rien ne se faisait. J'ai alors cherché le genre d'histoire que j'aime. Et soudain j'ai lu ce roman qui, à l'origine, est un poème, The Way through the woods. Il avait ce que je recherchais. J'aime dans les films quand on se surprend à s'intéresser à quelqu'un auquel on ne prêterait probablement pas attention dans la vraie vie. À la base, le personnage principal, James, n'est pas sympathique. Il est vieux jeu, traite sa femme avec condescendance mais quand il apprend ce qui s'est passé, on commence à éprouver de la sympathie pour lui. Dans le livre, il avait une attitude qui ne m'intéressait pas vraiment : celle d'un « mari complaisant » (NDLR : en français). Je l'ai modifié mais tout le reste est dans l'histoire originale. J'ai écrit le script et je voulais que Tom (Wilkinson) le fasse. Je le connaissais et j'avais travaillé avec lui trois ou quatre fois comme acteur. Mais même si sa carrière était meilleure que la mienne à ce moment-là, on savait qu'on ne parviendrait pas à le faire.

Pourquoi ne pas vous être attribué le premier rôle en tant qu'acteur ?
Je ne crois pas être assez attirant physiquement. Tom peut jouer ce genre de gars. J'avais plutôt envie de jouer Simon, le collègue de bureau mais porter différentes casquettes est trop difficile. Je m'y suis refusé et j'ai eu raison car John Warnaby joue cela très bien.

L'Oscar a donc fait avancer les choses !
On s'est revu avec Tom à la cérémonie des Oscars (il était nominé pour In the bedroom et moi pour Gosford Park) et il m'a dit : « Tu penses vraiment que l'on va y arriver ?» Et on y est arrivé ! Avoir un Oscar est tellement différent de tout le reste, l'une des conséquences étant que toutes sortes de choses vous viennent à l'esprit. Mais je savais déjà quel film je voulais réaliser. Quand j'ai reçu l'Oscar, ce fut une excellente soirée pour moi ! Je me souviens surtout du lendemain et ce réveil unique. J'ai vu cette statuette devant moi et je me suis dit, à partir de maintenant tout va être meilleur ou pire mais ce qui est sûr c'est que tout va changer. Et ça a changé.

Film policier, drame… Comment définiriez-vous le film ?
C'est un drame sur l'amour et la connaissance de soi. Le crime est l'élément qui renverse tout qui fait sortir les protagonistes de leur boîte et après il leur est difficile d'y retourner. La scène dans la cuisine qui se passe essentiellement en trois actes, où Anne prend conscience qu'elle ne peut pas retourner à une vie normale, est dans un sens une scène clé du film parce qu'elle fait le chemin du mensonge à la vérité.

Gosford Park est un scénario original, Separate Lies l'adaptation d'un roman. Quel travail d'écriture préférez-vous ?
Avec une adaptation, le récit a déjà existé dans une autre forme. Avec un scénario original, vous devez l'inventer donc il est plus ardu de savoir ce qui va marcher. Bien sûr si vous écrivez un script original et qu'il fonctionne, vous avez un sentiment de réussite beaucoup plus fort. Ce fut le cas pour moi et c'est quelque chose qui vous transporte.


Gosford Park Separate lies

Pouvez-vous expliquer le choix des acteurs ?
Tom est un comédien incroyable qui a le don rare d'être capable de jouer différents sentiments en un. L'autre point est son air très sec, peu sentimental or je voulais un acteur qui n'ait pas besoin d'être apprécié. C'est le cas au début et c'est important que cela soit bien transmis. Concernant Emily, j'ai toujours voulu travailler avec elle. En fait, il s'est passé une chose étrange lorsque je l'ai vu dans Hilary and Jackie : j'ai été complètement obsédé par cette actrice. Sa prestation m'a bouleversé. Quant au personnage de Bill, il ne tergiverse pas, il est direct, il ne s'apitoie pas, il s'en fout ! Je voulais donc quelqu'un capable de tout qui inspire le danger. Rupert a ce côté sauvage en lui. Je le trouve fabuleux.

 

Justement Bill est un personnage très ambivalent. Il est beau, riche, tout lui réussit et il semble être amoral.
Ce n'est pas une personne horrible, il ne se réjouit pas de l'accident mais, pour autant que ça le concerne, c'est arrivé un point c'est tout. Il se demande plutôt comment réagir. Ce n'est pas la même chose qu'être totalement mauvais. D'ailleurs comme le dit Anne il sait reconnaître les choses bien faites ce qui n'est pas le cas de James.

Pour quel personnage prendriez-vous parti malgré ses imperfections ?
J'aime James parce qu'il essaie de faire de son mieux. Je ne pense pas qu'il soit terriblement distrayant et je n'aimerais pas dîner avec lui (rires) mais je ne crois pas qu'il soit mauvais. Dans la vie, vous le découvrirez quand vous serez aussi âgé que moi. Il y a des choses pires que d'être ennuyeux. Vous avez des amis qui le sont en fait (rires) mais ils sont généreux et ces qualités sont au dessus de tout. Lorsque James voit Anne au pied de l'immeuble, ce qu'il fait est extrêmement difficile à faire et sa réaction est complètement généreuse.

Est-il vrai que vous n'avez raté aucun moment du tournage de Gosford Park ?
C'est vrai. Quand Rob est venu à Londres en novembre 2000, des gens venaient lui demander « Comment peux-tu oser faire un film sur la classe britannique, tu veux être crucifié ? ». Il m'a demandé d'être sur le plateau pour être sûr de ne pas faire d'erreurs. Cela m'a particulièrement touché. Il pensait que les détails sur le mode de vie de l'époque, que peu de gens connaissent finalement, devaient correspondre à la réalité pour apporter l'authenticité qu'il cherchait pour son récit.

Avez-vous ressenti dans votre réalisation l'influence de Robert Altman ?
En tant qu'acteur, j'avais bien sûr une idée sur la manière dont je les dirigerais moi-même. Mais ce qui m'a beaucoup intéressé chez Rob, c'est son amour des acteurs. Ce n'est pas le cas de beaucoup de réalisateurs qui considèrent la direction d'acteurs comme le travail le plus ennuyeux. Face à leurs multiples questions, Rob disait : « Je veux être surpris. Et comment pourrais-je l'être si je vous disais ce qu'il faut faire ? » C'est une chose dont je me suis souvenu. Quand on réalise la première fois, il y a beaucoup d'éléments qui créent la panique. Parfois il aurait été plus facile de dire ce qu'il fallait faire, mais j'ai essayé de résister à cela. Et de faire en sorte que les acteurs s'approprient vraiment le rôle.

Propos recueillis par Vanessa Aubert.
Autoportraits de Julian Fellowes.

 

 

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