Benoît Poelvoorde (Du jour au lendemain)
Malgré la fatigue de la promotion et d'une nuit parisienne bien arrosée, Benoît Poelvoorde ne faillit pas à sa réputation. Aussi drôle, sympathique, chaleureux et bavard que la rumeur le prétend, le comédien aura donné de sa personne et de son temps (1h40... Merci !) pour évoquer Jour au lendemain , la nouvelle comédie de Philippe Le Guay dont il est le héros. Un héros ordinaire et complètement flippé à l'arrivée inopinée du bonheur dans sa vie !
N.B. : Cette interview a été réalisée avant la cérémonie des César !
François, votre personnage, a peur du bonheur. Pensez-vous qu'il soit parano ou éternellement insatisfait ?
Mais c'est qu'elle attaque direct la petite ! Il va falloir que je
trouve un truc intelligent à dire
Alors, François devient parano mais
n'est pas insatisfait. Son problème, c'est que contrairement à la
masse, il ne vit pas dans le mensonge. À notre époque, on nous inonde
de préceptes débiles du genre « Apprenez à être juste avec votre corps
» ou « Soyez généreux et heureux. » Cette recherche perpétuelle de
mieux créé des individus angoissés et anxieux de ne pas trouver ce que
la société veut leur imposer.
Le problème de François, c'est qu'il ne comprend pas pourquoi tout ce succès lui arrive subitement.
Je crois surtout qu'il refuse qu'on attende trop de lui. C'est en cela
que le film pose moralement des questions. Au fond, François se dit : «
Je ne suis pas à la hauteur de ce que vous attendez de moi. Et je
préfèrerais ne pas m'engager plutôt que de décevoir. » Sa vie est
orchestrée au millimètre près, et il refuse de bouleverser cet ordre
établi. Et, comme il est aussi un peu immature, il préfère prendre la
fuite. François craint la pression sociale et préfère se contenter de
ce qu'il a. Contrairement à ce que dit Philippe le Guay, il ne suffit
pas de vouloir le bonheur pour l'avoir. Parfois, il vous tombe dessus.
Pour vous, c'est quoi le bonheur ?
Même si on essaie de le réduire à l'argent, la propriété ou l'amour, le
bonheur est une chose impalpable. Aujourd'hui, le problème de notre
société est qu'elle impose aux gens une vision unique du bonheur sans
tenir compte du fait que nous avons tous des envies différentes.
Pour vous, le bonheur c'est être nominé aux César ?
Je te le fais pas dire !!! Tout le monde sait que j'adore les prix, les
décorations et les récompenses. J'ai d'ailleurs fait la fête hier soir
pour arroser ça. Tu vois le résultat : j'ai une tronche de cul depuis
ce matin. Mais je tiens à dire officiellement que Xavier Beauvois en
tenait une pire que moi !!! Donc, plus sérieusement, j'ai grandi avec
les César. Comme pour l'Eurovision, je suivais chaque cérémonie et je
donnais des points. J'adorais ça. Aujourd'hui, je regarde les gens dans
la salle pour voir qui est à côté de qui. Mais la soirée est très très
longue. Je t'envie : toi, tu seras peinarde sur ton canapé, avec une
pizza, un coca, ton mec et tu pourras appeler tes copines pour leur
faire remarquer à quel point un tel ou un tel a grossi. Je faisais ça
avant. Et d'ailleurs, je n'ai pas perdu toutes mes bonnes vieilles
habitudes puisque je continue à parier sur le palmarès.
Vous avez parié sur vous ?
Quand même pas. J'ai misé sur Gilles Lellouche pour l'espoir. Pour l'acteur, je pense que ce sera Romain Duris ou Bouquet pour récompenser sa carrière. Quand j'ai été nominé pour Podium, je pensais avoir une chance. Je me suis bien planté sur ce coup-là.
L'Académie n'est pas réputée pour son amour des comédies.
Exact. D'ailleurs, le grand oublié de ces César, c'est Jean Dujardin pour Brice de Nice.
Ce qu'il fait dans ce film, je défie pas mal d'acteurs d'y arriver. Les
culs serrés se disent que faire rire est fastoche. Qu'ils mettent une
perruque ridicule et un tee-shirt jaune pour voir
Il y a un fossé entre une certaine intelligentsia et les comédiens qui eux sont unanimes sur la difficulté de faire rire.
La comédie répond à des critères de rythme et de vitesse très précis et
à un tempérament : il ne faut surtout pas se prendre au sérieux.
D'ailleurs, il y a moins de risques d'être ridicule en interprétant un
personnage qui l'est volontairement que parfois en jouant un personnage
sérieux. Je déplore donc officiellement l'oubli Dujardin aux César.
Qu'on aime ou pas son film, il y réalise une vraie performance.
Beaucoup d'acteurs se donnent vachement moins de mal pour certains
rôles « dramatiques » : ils s'assoient dans la pièce, le regard dans le
vide, avec un air pseudo-intelligent et l'affaire est faite.
Comment justement avez-vous abordé le rôle de François. Avez-vous beaucoup improvisé ?
Non, c'était assez écrit. J'adore improviser avec certains réalisateurs
et parfois, je préfère me laisser guider. Je viens par exemple de
refaire un film avec Benoît Mariage (Les Convoyeurs attendent).
On se connaît tellement bien qu'avec lui j'adore essayer de nouvelles
choses. Nous écrivions ensemble et nous retravaillions jusqu'au moment
de tourner. C'est le top pour un acteur. Trop souvent, les comédiens se
brident et n'osent pas proposer, même quand on leur soumet des textes
abscons. Moi, je n'hésite pas et je prends souvent des petites
libertés. Certains réalisateurs, comme Nicole Garcia avec qui je viens
de tourner, préfèrent que l'on respecte à la virgule près. Un jour, sur
le tournage, j'ai changé l'ordre du texte. Je devais dire : « Où on va
? » et je disais « On va où ? » Elle m'a fait répéter jusqu'à. C'était
assez amusant. J'ai en revanche horreur des réalisateurs qui, sous
prétexte que tu es un rigolo, arrivent les mains dans les poches et te
disent : « Vas-y, tu peux improviser, ne te gêne pas » Dans ces cas-là,
autant me confier l'écriture du scénario.
Avez-vous contribué à celui du Jour au lendemain ?
Non et j'ai peu improvisé. Le scénario était bon tel qu'il était. Même
si le rendu à l'écran est très différent de ce que j'avais lu. Sur le
papier, le film durait 1h20 et après le tournage, 2h30. Philippe a
beaucoup coupé.
Et si, comme pour François, tout changeait pour vous du jour au lendemain ? Si le succès vous abandonnait?
Je préfère ne pas y penser. Si plus personne ne voulait de moi, je tournerais tout seul.
Vous seriez le nouveau Alain Cavalier ?
J'adore ce type, mais je ne crois pas que je pourrais aller si loin. Je
ferais quand même du cinéma dans mon coin. Mais ce n'est pas perdre le
succès qui m'angoisse, c'est perdre mon enthousiasme et ne plus avoir
goût à rien.
François, lui, a-t-il goût en quoi que ce soit ?
Il a le goût du quotidien et de l'ordinaire. C'est d'ailleurs la seule
chose que je partage avec lui. C'est dans le rien et le banal que je
définis mon équilibre. Même si j'ai la chance que, n'a pas François,
d'être extraverti et d'avoir un métier qui me permet de venir de temps
à autre à Paris m'éclater au Luna Park. (Rires.)
Pouvez-vous nous parler du prochain Astérix ?
Je serai Brutus, le fils d'Alain « César » Delon dans Astérix et les jeux Olympiques.
À mon avis, mon arrivée dans le film va tout péter. J'arrive à cheval
avec deux énormes lions à mes côtés, et un faucon qui se pose sur mon
bras
avant de me faire tomber de selle. Le scénario est très drôle, et
j'ai vraiment hâte. Nous allons tourner à partir de juin en Espagne,
dans les plus beaux studios d'Europe. Le seul problème, c'est la
chaleur. Je la déteste, elle me rend malade. Mais je ne compte pas
foutre le nez dehors. De toute façon, j'ai couvert mes arrières. Quand
je tourne un film, la première question que je pose, c'est : « Qui est
l'équipe médicale ? ». Je n'ai pas envie de tomber malade. J'aime
prendre des risques dans mon métier mais il y a des limites !
N'en avez-vous pas marre d'être autant sollicité dès qu'un de vos films sort ?
Un acteur n'est pas tenu de faire la promo par contrat. Il la fait par
gentillesse envers le réalisateur ou par délicatesse avec le
distributeur... s'il a envie de retravailler avec lui un jour. Et dans
mon cas parce que j'adore parler de moi toute la journée ! (Rires.)
Propos recueillis par Marilyne Letertre.