Jean-Jacques Beineix (L'Affaire du siècle 2)

Didier Verdurand | 17 février 2006
Didier Verdurand | 17 février 2006

Retrouvailles avec Jean-Jacques Beineix (relire notre premier entretien) à l'occasion de la sortie du deuxième tome de sa bande dessinée L'Affaire du siècle, tiré d'un scénario – lui-même adapté d'un roman de Marc Behm – qui n'a pas encore vu le jour sur grand écran malgré un acharnement qui force le respect. En attendant de voir le rêve de ce cinéaste résolument hors normes se réaliser, savourez le plaisir d'une bonne récréation inanimée mais qui n'en est pas moins inspirée.

Le tome 1 est-il un succès ?
Il semblerait. Obtenir des chiffres de Glénat, c'est envoyer des lettres recommandées pour pratiquement finir devant le tribunal ! Cet éditeur n'est pas très performant sur ce point mais on n'a fini par savoir qu'il y aurait entre 9 000 et 10 000 exemplaires vendus. Pour un premier album, c'est plus que satisfaisant. On a probablement plus vendu à des gens qui aiment mes films qu'à de purs amateurs de BD, et cela me convient.

Lors de notre premier entretien, vous m'aviez parlé des intégristes du milieu de la BD, qui ne vous voyaient pas d'un très bon œil…
Il n'y a pas de râleurs que dans la BD, on en trouve aussi dans le cinéma, la pétanque, etc. Je suis rentré dans un univers qui m'étais proche, je me suis toujours intéressé à l'image, le cadre, l'ellipse, le mouvement dans le plan, l'harmonie ou la dissonance des couleurs, le montage, l'enchaînement, le rythme… Quant à Bruno de Dieuleveult, il dessine depuis qu'il est sur Terre ! Ce qui peut gêner certaines personnes, c'est le côté aventure cinématographique et graphique hors normes, ça fait quand même plus de vingt ans que je m'intéresse à ce scénario.


On a du mal à imaginer certaines scènes sur un écran, comme celle où le vieux vampire Brandt tombe d'un gratte-ciel de 400 étages avec son sexe coincé dans le derrière d'une statue de femme, suivi de près par un masque de pizza qui atterrit sur le visage d'un flic !
Pourtant, aujourd'hui, c'est faisable, mais cela vous explique aussi pourquoi le film ne s'est pas fait plus tôt ! Et vous n'avez rien vu car cette histoire est exponentielle, ça sera doublement plus compliqué dans le troisième tome et quintuplement dans le quatrième ! Il n'est pas dit qu'il n'y en ait pas un cinquième parce que je me libère petit à petit des interdits du cinéma pour me permettre tous mes fantasmes : une poursuite en hélicoptère avec des chauves-souris, des scènes de cul qui ne plaisaient pas à Hollywood… Si on ne finit pas par faire ce film, cela voudrait dire qu'on n'aurait plus les capacités de relever les défis de l'impossible que nous demandent les spectateurs. Et comme j'y crois, je reste serein. On a un trésor entre les mains, c'est encore mieux que de posséder des actions de Google !

Des producteurs vous ont-ils contacté ?
Non, pour la simple raison que je produis tous mes films donc je me suis contacté moi-même, j'ai réuni mon conseil d'administration pour lui dire que le projet n'était pas totalement abandonné. Il y a quatre ans, nous avions réuni 170 millions de francs en quelques jours, soit 25 millions d'euros. Malheureusement, ce n'était pas assez suffisant. Pour ce prix-là, le film qu'on voulait faire à Paris coûtait le double voire le triple aux États-Unis. Les films plus exactement, car je vendais un concept avant le triomphe de la trilogie de Peter Jackson. Seulement je suis atteint d'une maladie qui s'appelle la mégalomanie, j'ai vu les choses en trop grand. À la sortie de Diva, j'avais lu dans Le Monde un papier signé Jacques Siclier qui parlait déjà de ma mégalomanie... Alors si Le Monde le dit ! (Rire.) Ajoutez une bonne dose de paranoïa et vous avez les ingrédients pour faire les choses en avance.

Pour en revenir à Brandt, son côté obsédé sexuel vient de vous ?
Bien sûr. C'est présent chez tous les hommes. Nous sommes des étalons. Des reproducteurs. Et devons couvrir un maximum de femelles pour reconstituer l'espèce. Les femelles doivent se faire bourrer par un maximum de mâles.


Un caniche dit à un moment, en parlant d'un pitt-bull : « Zut ! Une caillera ! » Un clin d'œil à Sarkozy ?
Il y a peut-être eu quelques actualisations... Il y a presque trente ans de strates dans cette BD !

La bande-dessinée vous prend du temps ?
Beaucoup. Et j'écris un livre qui raconte toute la genèse de ce projet qui occupe mes esprits depuis si longtemps. Il ne sera pas nécessairement tendre pour tout le monde.

Alors comment en trouver pour monter le projet au cinéma ?
Je n'en ai pas fait ma priorité, la BD a pris le dessus. Avec les années, je suis devenu patient, vous n'avez pas idée. Mais je vais y arriver, vous verrez. Ce projet devient obsédant, peut-être suis-je en train de devenir fou.

Reproduction interdite est sorti de votre esprit ?
Pas du tout ! Du tout !! Son problème est qu'il est totalement politiquement incorrect. Le héros est un juge qui d'une simple histoire de mœurs, va creuser jusqu'au fond et s'apercevoir que de nombreux notables sont impliqués. Il découvre qu'un réseau de proxénétisme cachait une opération militaire de déstabilisation de tout un continent et de toute une filière industrielle. Je viens d'obtenir une aide à l'écriture. En gros, il faudrait que je fasse encore trois films. Je vais commencer par en faire un très vite, petit mais costaud, qui parlera de peinture.


Tournage prévu… ?
En 2007. J'ai acheté les droits d'un livre qui s'intitule Longtemps je me suis couché de bonne heure. Un polar fantastique. Ensuite, je ferai Reproduction interdite et L'Affaire du siècle. Alors, je pourrai tirer ma révérence.

Vous irez voir Orange mécanique avec Isabelle Pasco ? (l'héroïne de Roselyne et les lions) ?
Bien entendu, je suis très content pour elle. Elle mérite beaucoup. Le DVD de Roselyne et les lions sortira bientôt. Il a l'avantage d'avoir été tourné sans effets spéciaux. À part les vieux Tarzan que je vous conseille de revoir, rares sont les films qui montrent de vrais fauves.

Son échec, vous l'avez digéré ?
Grâce au temps, aujourd'hui j'en ai rien à foutre, en effet. Je sais que plein d'enfants l'ont adoré, l'histoire que raconte Roselyne est magnifique. En lisant entre les lignes, les adultes peuvent voir un film sur le cinéma, l'art, Hollywood... Vous savez, quand je vois aujourd'hui que Lautner est considéré comme un réalisateur de films cultes, alors qu'à la sortie de ses films, il se faisait agonir d'insultes et d'injures... C'est magnifique, « everything is possible ! »

Vous avez vu qu'une vampiresse a pris la tête du box-office US fin janvier ?
Non, c'est intéressant !

Selene, dans Underworld : Evolution.
Tant mieux, c'est du sérieux, ça ne rigole pas ! J'ai la hantise qu'Hollywood sorte une comédie avec une vampiresse…


Les années passent et les castings changent, dans votre imaginaire…
Cameron Diaz a eu peur d'interpréter Cora à une époque et quand le film se fera, elle pourra interpréter une grand-mère. Bien fait pour elle ! J'en connais, qui pouvaient incarner Brandt, et qui sont morts ! D'autres même sont morts, et on ne leur a pas dit. Je raconterai dans mon livre un voyage à Vancouver que j'ai effectué pour rencontrer Stallone… L'histoire de cette BD pourrait en soi être un film.

J'aimerais avoir votre opinion sur l'empire Besson, qui s'étend jusqu'à Hollywood justement, où Le Transporteur 2 a bien marché.
J'ai envie de dire : tout ce dont j'ai rêvé, Besson l'a fait. Mes rêves de réussite, de puissance , de gloire… En revanche, je poursuis dans ma vocation d'artiste tenace, besogneux et grincheux. Je suis très admiratif de sa réussite, je n'aurais pu l'accomplir et en même temps, voir ses propres limites et ne pas abdiquer sa mégalomanie dans une direction purement artistique, c'est parfait en ce qui me concerne.

Votre vote, pour le césar du meilleur film ?
Je ne vous le dirai pas, ne parlons pas des absents. Mais je remarque qu'il y a de très bons films parmi les nominés. De très bons acteurs. Vraiment. Ce dont souffre le plus le cinéma français, ce n'est pas le manque de talents ou de financement. Le problème vient de notre complexe d'infériorité et je peux vous dire une chose, moi, je ne l'ai pas. Pour en revenir aux césar, tant mieux si des personnes seront heureuses d'être récompensées. J'ai passé l'âge.

37°2 le matin n'avait obtenu que le césar de la meilleure affiche…
D'une certaine manière, j'étais récompensé puisque j'avais conçu cette affiche. (Rire.) 37°2 avait été nominé à l'oscar du meilleur film étranger et un copain producteur m'avait dit que je ne l'aurais jamais. « Tu ne penses quand même pas avoir l'oscar avec un film qui s'ouvre par une scène de baise de quarante-cinq secondes ! » Les temps changent, ça serait marrant que Le secret de Brokeback Mountain gagne cette année.

Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportrait de Jean-Jacques Beineix.
extraits de L'Affaire du siècle © Cargo Films - Au Diable Vauvert
Site officiel : laffairedusiecle.com

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