Bai Ling (Nouvelle cuisine)

Patrick Antona | 30 janvier 2006
Patrick Antona | 30 janvier 2006

C'est une charmante Bai Ling qui nous avait donné rendez-vous dans un célèbre hôtel parisien, pour nous parler avec passion de son rôle de Tante Mei dans le film de Fruit Chan, Nouvelle cuisine. Sexy et séduisante en diable, mais extrêmement lucide sur son rôle, elle n'a n'éludé aucune de nos questions, parlant autant de son inspiration en tant qu'actrice que de ses aspirations spirituelles, tout en évoquant sa vie personnelle. Émouvante et prolixe, drôle et surprenante, elle est la preuve manifeste que beauté ne rime pas qu'avec futilité.

Qu'est-ce qui vous a attiré dans le rôle de Tante Mei ?
Tout ! C'est un esprit libre, sauvage, courageux, c'est quelqu'un de direct, qui mène sa vie selon son bon sens à elle, elle n'hésite d'ailleurs aucunement à faire la leçon aux autres ! Mais elle dégage une certaine spiritualité, issue d'un esprit qui a connu beaucoup d'expériences, et qui en fera profiter les autres, par le biais de sa cuisine. Je ne la vois pas du tout comme une sorcière mais plutôt comme une prêtresse, ou encore comme une forme de guide d'une sagesse universelle ! Elle me ressemble d'ailleurs beaucoup, par sa vision de la vie et le fait de profiter du moment, sans trop de soucier de ce qui peut se produire le lendemain. C'est un personnage qui est venu comme un cadeau dans ma vie, et je l'ai interprété avec bonheur. Cela a d'ailleurs été un challenge de rentrer dans ce personnage, il est à la fois très graphique, très coloré et en même assez difficile à cerner. De plus, il fallait conserver cette part de mystère, du moins au début, on ne sait pas d'où elle vient, quelles sont ces motivations. Et puis petit à petit, Tante Mei s'est incarnée en moi, et malgré son côté un peu maléfique, j'ai recherché au fond de moi ce que cette femme si particulière a dû vivre avant, et donc j'ai fini par ressentir beaucoup de passion pour elle, et à vraiment l'aimer, comme avec un amant !

 


De quoi vous êtes-vous nourrie pour étoffer ce caractère ?
Pratiquement de rien. Le scénario la décrivait comme un caractère fort, ce que j'ai pu lui apporter, c'est une forme de sensualité, de séduction qui est en moi et aussi une façon particulière de se mouvoir et de se comporter « naturellement ». En fait, c'est sur l'instant que se manifestaient les idées que j'avais pour une scène ou une autre. J'aime particulièrement ces moments de vulnérabilité où l'acteur doit prendre la défroque de son personnage et faire véhiculer des émotions. Et l'émotion, dans Nouvelle cuisine, est particulièrement rythmée ! J'adore être sur le plateau et faire ressortir sur l'instant toutes les humeurs. On peut dire que je ne joue pas, un peu comme font les enfants, j'essaie de retrouver cette forme d'innocence et d'honnêteté que le réalisateur réussira à capter pour coller au mieux afin d'illustrer son film. Il fallait laisser un peu de côté la logique, laisser aller l'esprit et capitaliser sur l'humeur particulière qui régnait sur le tournage. En fait vous êtes obligé d'être honnête sur le moment, car la caméra ne vous ratera pas !

 

Est-ce que pour vous, Tante Mei est une figure romantique ?
Totalement ! Son côté extrême et libre mais néanmoins ouvert aux autres, et qui me ressemble beaucoup, la classe définitivement dans les personnages romantiques.

Connaissiez-vous l'œuvre de Fruit Chan avant de tourner pour lui ?
Non, c'est le producteur Peter Chan qui un jour m'a appelée pour me proposer le rôle, en me présentant d'abord Nouvelle cuisine comme un film d'horreur. Cela ne m'a pas d'abord tellement attirée, et puis il m'a narré toute l'histoire au téléphone et mon intérêt a commencé à grandir. Et puis Fruit Chan m'a appelée, il m'a dit que Christopher Doyle serait à la photo, et puis je n'avais pas fait encore de film à Hong Kong, c'était donc l'occasion de marquer le coup pour une première fois.

Avez-vous votre propre recette particulière de ravioli chinois (Dumplings) ?
Lorsque j'étais enfant, en Chine, ma grand-mère m'avait appris, donc à l'écran, je prépare vraiment les plats ! Je n'ai pas l'air comme ça mais je suis une bonne cuisinière, même Fruit Chan avait été surpris de mes aptitudes, après m'avoir demandé si je pouvais faire les scènes où Tante Mei prépare les plats. Et puis le fait que l'on montre que mon personnage fait vraiment la cuisine est indubitablement un plus.

 


Après une carrière exclusivement américaine (The Crow, Red Corner, She hate me), le fait de revenir vers le cinéma chinois, est-ce la volonté d'un nouveau départ ?
Non, je n'ai aucun plan de carrière défini. Je prends les choses comme elles viennent, comme mes rôles d'ailleurs. Je considère ma vie comme un voyage, d'ailleurs très heureux, et j'essaie d'avoir l'esprit le plus ouvert. Peu m'importe le genre, que ce soit un drame fantastique, une comédie ou un film de SF, que je suis prête à aborder, je vais un peu là où le vent me porte, si bien sûr le caractère à interpréter éveille un certain intérêt en moi.

 

Votre partenaire masculin dans Nouvelle cuisine, Tony Leung Ka-Fai, est mondialement connu comme étant L'Amant de Jean-Jacques Annaud. Quelle était votre sentiment avant de tourner avec une superstar comme lui, surtout pour « la » scène de sexe ?
Je ne savais pas qu'il était aussi célèbre en Asie ! (Rire) En fait je ne me soucie pas, au moment de la scène, du statut de l'acteur qui est face à moi. Il n'y a que la manière de travailler qui importe, je fais complètement abstraction du reste. J'ai bien vu que Tony Leung est un bel homme élégant et attirant et cela aide bien sûr sur l'instant. Pour la scène d'amour que nous avons, nous ne connaissons rien l'un de l'autre, comme dans la vraie vie, nous n'avions qu'à jouer de manière instinctive, et quasi animale et c'est ainsi que la scène y gagne en crédibilité et en intensité.

D'ailleurs dans cette scène, Tante Mei ressemble plus à un animal qu'à un être humain !
Oui, elle est comme revenue à un état primitif, où elle titille, teste, tourne autour de sa proie et est en même temps très provocante. Sur le tournage, nous étions très silencieux, nous jaugeant du regard en faisant attention l'un à l'autre, tout en ne se parlant que très peu, comme dans la scène en fait, et cela se ressent. C'est comme dans la vie, le moment le plus délicieux lorsque l'on rencontre quelqu'un que l'on désire, c'est dans tous ses moyens de l'approcher et lorsque l'on fait jouer sa séduction. Et la séduction est aussi un des thèmes centraux de Nouvelle cuisine, et cette scène est une de mes préférées dans le film. J'ai beaucoup apprécié de cuisine, je me suis rendu compte que je choquais un peu les gens car que je portais alors une minijupe ! Du coup, j'ai décidé, en accord avec le costumier, que la tenue de Tante Mei serait un mélange entre la mode moderne (avec ses panty colorés à rayures et ses tee-shirts) et l'ancien avec des hauts talons et son ombrelle. Cela devait faire ressortir aussi son côté je m'en foutiste vis-à-vis des conventions et de la morale. Mais elle démontre par là sa capacité d'adaptation. Ceci dit, ce côté « mélange des genres » se retrouve aussi dans le film, qui est à la fois critique, drôle, sexy,cruel, et dans mon rude personnage, tout ceci s'incarne parfaitement.

 


En France, on appellerait Tante Mei une « faiseuse d'anges » …
An Angel Maker… cela sonne très bien ! En tout cas, pour elle, le fait de commettre des avortements est quelque chose de positif, c'est retirer d'un côté une source de problèmes et de l'autre fournir de l'espérance. Mais à un moment, lorsque la balance va se déséquilibrer, la situation va devenir critique, et elle devra alors faire un choix crucial pour son existence…

 

Une autre chose que vous semblez avoir appréciée, c'est d'assumer le côté profondément amoral de Tante Mei …
La morale pour Tante Mei c'est plutôt de la logique. Si vous voulez retrouver votre jeunesse, il faut commettre certaines actions pour, et voilà, pas de fioritures ni de tergiversations. Elle a les pieds sur terre. Sur ce point, je me considère un peu comme une sœur jumelle de Tante Mei. Comme moi, je la sens particulièrement en connexion avec la Terre. Personnellement, je considère que la Nature se sert de moi, comme d'un outil pour exprimer des sentiments, véhiculer des émotions qui sont des éléments que je ressens comme le Feu ou l'Air. Vous savez, je vis un peu comme une Bohémienne, je ne peux pas dire que j'ai un foyer fixe aux USA, je vis un coup à l'Ouest, un coup dans l'Est, et je suis capable de prendre l'avion n'importe où dans le monde en me décidant très vite !

Un peu comme une rock star des années de la glorieuse époque ?
Oui, je veux demeurer un esprit libre, dégagé de beaucoup de contingences, c'est comme passer de top model à actrice de cinéma ne me pose aucun problème. Et je préfère que les rôles viennent à moi plutôt que de les solliciter. Et cela me permet d'être sélective dans mes choix. Et le personnage de Tante Mei est arrivé à point pour faire passer des choses que je n'avais pas encore matérialisées au cinéma, le fait d'allier séduction et élégance à une figure quasi mystique et terrienne et à la fois. Je ne pensais pas que son côté amoral semblerait aussi séduisant, mais ce qui est attirant chez elle c'est aussi son innocence et son regard si particulier qu'elle a sur l'existence. Et puis rendre un personnage vénéneux aussi attirant était essentiel, elle va être le point central autour duquel vont graviter des êtres tourmentés par des peurs existentielles, comme de vieillir, de ne plus plaire, etc. ...

 


Seriez-vous intéressée par avoir un rôle dans une série TV comme Desperate Housewives ou The L Word ?
Je connais et j'apprécie Desperate Housewives, et c'est vrai que je suis ouverte à toutes les expériences, mais je ne pense pas être disponible pour incarner un personnage récurrent d'une série TV. J'ai d'autres propositions, comme être une présentatrice d'un reality show sur VH1, et d'autres envies personnelles à combler, comme de faire un album musical.

 

Quel est votre sentiment, suite à l'affaire de vos scènes de Star Wars Épisode III : La Revanche des Sith ? (George Lucas a coupé les deux scènes où elle apparaît suite à la couverture de Playboy où elle apparaissait nue avec un sabre laser, Ndlr)
Mais j'espère que ces scènes seront réintégrées dans une version spéciale à sortir en DVD ! Je suis quand même reconnaissante à George Lucas de m'avoir fait participer à cette fresque (sic), qui fait désormais partie de la culture américaine, tout comme d'avoir été sollicitée par le magazine Playboy. C'est quand même une chance qu'en 2005 j'aie pu être dans les deux à la fois. Et même si l'on peut penser que je suis déçue de ne pas figurer dans le montage final, moi je prends ceci comme n'importe quel événement dans ma vie, un événement sur lequel je n'ai pas de contrôle mais dont j'essaie de garder le meilleur. Un peu comme la météo, un jour il pleut, un autre jour il fait beau, et bien il faut faire avec ! Concernant Playboy, le fait d'être en couverture est pour moi un grand honneur, et en plus je suis la première asiatique à être aussi mise en valeur ! Mais je me suis rendu compte que cela prenait vraiment de l'ampleur lorsque j'ai vu les hommes achetant le magazine dans tous les aéroports où je passais ! (Rire.) Pour moi, c'est un plaisir extrême et une chance d'être célébrée par des photos aussi belles.

 


Êtes-vous toujours en délicatesse avec les autorités chinoises ?
Dès mon enfance, quand j'étais actrice et danseuse dans une troupe musicale en Chine, mon côté extraverti m'a été préjudiciable auprès de l'autorité ! Et puis après mon premier exil (suite aux événements de Tien An Men en 1989, Ndlr), le fait d'avoir tourné dans Red corner avec Richard Gere n'avait pas vraiment arrangé les choses. J'avais été même castée par Quentin Tarantino pour tourner dans Kill Bill, il devait tourner certaines scènes en Chine mais le gouvernement a fait pression sur lui, exigeant des excuses de ma part ou je ne sais quoi d'autre, et j'ai fini par ne pas être de l'aventure…

 

Quel dommage !
Oui, de plus j'ai encore de la famille là-bas, et parfois c'est difficile pour moi. Mais quelque part, dans toute cette adversité, le fait d'être une exilée m'a paradoxalement apporté beaucoup de choses positives dans ma vie, grâce à tout ce que j'ai pu expérimenter et dans ma carrière d'artiste et en tant que personne. Mais j'ai bon espoir en l'avenir, que la société chinoise évolue dans le bon sens, et je pense que le fait de m'être rapprochée de la Chine pour avoir tourné Nouvelle cuisine à Hong Kong, et d'avoir remporté un prix sonnera le début d'un retour en grâce.

Quels sont vos prochains films à venir, dont le plus alléchant est Southland Tales de Richard Kelly ?
Southland Tales se présente comme un film assez fou, au carrefour de la science-fiction et de la comédie musicale. Je ne saurais quoi trop vous dire dessus car cela a l'air complètement délirant. Encore une fois, c'est mon image de femme fatale qui a été sollicitée. Par contre, dans Man about town de Mike Binder – réalisateur de l'excellent Blankman – qui sortira bien avant, j'ai le rôle plus étoffé d'une journaliste qui suit de près une histoire d'adultère dans laquelle est embringuée Ben Affleck . Et puis il y aussi un autre film de SF The Gene Generation où je suis une guerrière du futur, qui tient à la fois de Lara Croft et de Nikita !

Tout à fait le genre de film que nous apprécions à la rédaction d'Écran Large !

Propos recueillis et traduits par Patrick Antona. (avec l'aimable appui de Ariane Dupleich)
Photos de Côme Bardon.

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