Scott McGehee & David Siegel (Les mots retrouvés)

Didier Verdurand | 30 janvier 2006
Didier Verdurand | 30 janvier 2006

Les rares spectateurs qui ont vu Suture, sorti en France en 1993, s'en souviennent encore tant ce thriller en noir et blanc était un véritable ofni. Huit ans plus tard, en couleurs mais toujours aussi glacial, Bleu profond a offert à Tilda Swinton une nomination au Golden Globe de la meilleure actrice dans un drame. Aujourd'hui, les réalisateurs Scott McGehee et David Siegel reviennent avec un film poétique et mystérieux, Les mots retrouvés interprété par deux stars confirmées, Richard Gere et Juliette Binoche, accompagnées de deux révélations, Flora Cross et Max Minghella. Présents au dernier Festival de Deauville, nous avons rencontré les deux brillants metteurs en scène encore trop méconnus.

Trois films en douze ans, on ne peut pas vraiment dire que vous êtes très prolifiques !
David Siegel : C'est un désolant concours de circonstances. Quand vous vous embarquez dans des projets de films, il y a un réel risque pour qu'ils ne se fassent jamais, et nous avons connu cette mésaventure avec trois films qui nous ont demandé chacun entre dix-huit mois et deux ans de travail, pour finalement ne jamais voir le jour.

Et finalement, on vous retrouve là où on ne vous attendait pas, le ton des Mots retrouvés n'a rien à voir avec celui de Suture ou Bleu profond !
Scott McGehee : Le sujet nous a attiré pour cette raison, parmi d'autres. Nous n'avions pas envie de refaire la même chose mais plutôt d'explorer un terrain inconnu. Cela dit, il y a des thèmes récurrents, notamment celui d'une famille qui traverse une crise. Nous voulions donner une vision inédite de ce sujet avec de nouveaux éléments, ce qui nous a emmené à utiliser des effets spéciaux, parler de la religion, etc…

 


Aviez-vous le final cut ?
David Siegel : Les studios sont plus respectueux des réalisateurs dès qu'il s'agit d'un film indépendant. La pression des producteurs ne serait pas la même si notre budget dépassait 50 ou 100 millions de dollars. Il n'empêche que notre budget n'était pas ridicule non plus, il était de 14 millions. La production a donc son mot à dire si elle n'est pas satisfaite du montage final mais en l'occurrence, il n'y a pas eu de problème, nous n'avons vraiment pas à nous plaindre. Les cadres de Fox Searchlight ont remarqué que notre film paraissait plus cher qu'il n'avait réellement coûté, et ils aiment ça. (Rire.)

 

Pourriez-vous être tentés par un blockbuster ?
Scott McGehee : Si le sujet en vaut la peine, avec plaisir. Pas facile d'en trouver un, aujourd'hui, des blockbusters se montent sans qu'on en voit l'utilité. Mettre en scène un film demande une implication totale, et je ne veux pas avoir l'impression de perdre mon temps.

Qui fait quoi, dans votre duo ?
David Siegel : Nous faisons tout conjointement, il n'y a pas de domaine réservé à l'un ou à l'autre. Nous travaillons ensemble depuis maintenant quinze ans, et je ne connais personne mieux que Scott. Cette symbiose nous permet de communiquer nos idées très facilement.

 


Vous ne sortez pas d'une école de cinéma et pourtant, visuellement, votre travail est remarquable.
Scott McGehee : Merci ! En fait, à la base, nous sommes des cinéphiles passionnés, nous avons toujours visionné des tonnes de films donc cela permet de se former une propre identité visuelle qui est le fruit de toutes nos influences. Nous avons également étudié la photographie, ça aide. Réaliser un long-métrage n'est pas si compliqué qu'on pourrait l'imaginer. Je ne veux pas dire que les écoles qui forment à ce métier sont inutiles, mais faire un film n'est pas comparable avec une opération chirurgicale à cœur ouvert. Il faut surtout connaître quelques bases techniques et avoir le sens de l'organisation.

 

Quels films vous ont plu récemment ?
Scott McGehee : Truman Capote m'a beaucoup plu. Le film de Liv Schrieber aussi, Tout est illuminé.
David Siegel : Caché, avec Juliette Binoche. (Rire.)

 


Elle était votre premier choix ?
Scott McGehee : Oui. Son personnage a peu de dialogues et nous voulions un visage aussi expressif que le sien pour ressentir ses émotions. Fox Searchlight, qui nous a laissé très libre pour constituer le casting, était immédiatement d'accord. Richard Gere est aussi le premier acteur vers qui nous nous sommes tournés. Sa dévotion pour le bouddhisme ces trente dernières années ne pouvait qu'être enrichissante pour son rôle. Leurs enfants, Flora Cross et Max Minghella (Le fils d'Anthony, Ndlr.), ont passé des auditions, comme beaucoup d'autres. Notre choix s'est avéré au-dessus de nos espérances tant ils se sont avérés talentueux.

 

Justement, votre rencontre avec Juliette ?
David Siegel : C'était mi-novembre 2004, à Paris. Nous avions rendez-vous dans un restaurant à 20h, et à cette heure-là, nous étions en pleine galère pour trouver la bonne adresse. Notre hôtel était sur l'île de la Cité, nous pensions trouver un taxi facilement dehors, et il a fallu courir dans tous les sens pendant vingt minutes pour en dénicher un libre ! (Rire.) Ensuite, nous nous sommes retrouvés dans un bouchon près des Champs-Élysées…
Scott McGehee : Pendant ce temps, Juliette arrive au restaurant. Il n'y avait que des clients américains ! Elle se dirige vers une table et salue deux inconnus, qui lui répondent par un grand sourire et elle s'assoit. (Rire.)
David Siegel : Le chauffeur de taxi, dès qu'il a réalisé que nous devions retrouver la comédienne Juliette Binoche, a pris les choses en main avec enthousiasme. Avec son portable, il a téléphoné aux renseignements pour avoir le numéro du restaurant, et nous avons pu parler avec Juliette. Nous n'avons compris que plus tard pourquoi elle avait éclaté de rire. Quand nous sommes arrivés, elle s'est levée de table et a salué ses compagnons d'un instant, qui lui ont lancé en français un « Au revoir, Juliette ! »
Scott McGehee : …Et le courant est tout de suite passé, ce fut une excellente soirée. L'idéal pour commencer une collaboration.

Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportraits de Scott McGehee et David Siegel.

 

 

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