Pascal Bonitzer (Petites coupures)

Didier Verdurand | 25 janvier 2005
Didier Verdurand | 25 janvier 2005

Auteur digne de ce nom, il n'était pas évident que Pascal Bonitzer fasse preuve d'autant de talent dans la réalisation. Avec Petites coupures, il confirme tout le bien que l'on avait pensé de lui avec Rien sur Robert. Ancien critique des Cahiers du cinéma dans les années 70, il se prête très facilement au jeu de l'interview.

Bien que vous soyez vous-même réalisateur, vous continuez à écrire pour d'autres metteurs en scène. N'est-ce pas déstabilisant ?
Ce n'est peut-être pas le cas le plus fréquent, mais je ne suis pas le seul. Claude Sautet, entre deux films, faisait ce qu'on appelle du doctoring - réécriture - pour d'autres scénarios, parfois d'ailleurs pour des raisons alimentaires ! De mon côté, je travaille surtout avec Jacques Rivette, avec qui j'ai une grande complicité. Il a une manière bien particulière de travailler, en écrivant sur le tournage, ce qui est angoissant et très excitant, très amusant. Je n'ai pas envie de renoncer à cette collaboration : chaque film avec Rivette est une aventure pour l'esprit !

Et ce n'est pas frustrant de ne pas intervenir dans la mise en scène ?
Non, parce que tout d'abord j'ai un immense respect pour celle de Jacques. Mais c'est vrai que si je n'étais pas devenu réalisateur un jour, j'aurais été globalement frustré. J'ai toujours eu le sentiment que scénariste était moins qu'écrivain. Bien sûr, cela n'engage que moi, Jean-Claude Carrière serait peut-être choqué d'entendre ça ! Je ne pouvais pas en tout cas, ne rester que dans la peau d'un scénariste.


Vous choisissez déjà vos comédiens au stade de l'écriture ? Vos dialogues leur paraissent si naturels...
Je pense à des comédiens qui peuvent correspondre, mais je ne m'en fixe pas un en particulier. Déjà parce que je ne suis pas sûr de pouvoir compter sur lui, mais aussi parce que je suis trop pris par ma propre histoire. Daniel Auteuil faisait partie des comédiens auxquels je pensais. Après avoir lu le scénario, il m'a fait la remarque : « Comment me connais-tu aussi bien ? » Tant mieux, mais ce n'était pas prévu ! Mes personnages peuvent parler de manière littéraire, mais ensuite il faut que cela soit corrigé par quelque chose de trivial. Les dialogues me provoquent un grand plaisir, c'est probablement ce que je préfère dans l'écriture.

Petites coupures marque le retour de Kristin Scott-Thomas dans un film français, après des expériences parfois déroutantes quand on connaît son immense talent !
(Rire.) A vrai dire, elle était dégoûtée du cinéma français ! Son dernier film date de 1997 (Amour et confusions de Patrick Braoudé, Ndlr.) et pourtant elle vit en France.

Vous l'avez réconciliée avec le cinéma français !
J'espère ! Le rôle lui a vraiment plu, elle s'est amusée avec ce personnage, et moi je m'amusais à la regarder jouer, c'était tellement dans l'esprit que j'avais imaginé... Comme avec Daniel aussi, ce sont des comédiens qui ont une grande intelligence intuitive. Ce n'est pas seulement un bonheur de travailler avec eux, c'est aussi un repos d'une certaine façon ! J'ai déjà lu que j'étais un excellent directeur d'acteurs, mais j'ai plutôt l'impression de peu diriger.


Vous faites des répétitions avant le tournage ?
En l'occurrence, non. J'ai fait une lecture globale de mes deux premiers films, mais je n'aime pas cela, c'est source de stress.

J'ai lu que Jean Yanne avait dispersé des anti-sèches un peu partout sur son bureau !
Je crois qu'il est coutumier du fait. C'est quelqu'un qui vit sur plusieurs continents à la fois, il n'est pas facile à saisir. Il a lu et aimé le scénario, surtout qu'on ne lui propose plus des personnages fascistes que de maire communiste, et cela devait l'amuser de rentrer dans le chou d'Auteuil ! Je ne l'avais pas vu avant le tournage. C'est quelqu'un qui a un énorme charisme et une présence très forte, mais il peut avoir des trous de mémoire donc il a besoin de petits papiers. L'essentiel est que cela ne se voit pas. Mais ceci dit, cette pratique est fréquente !

Vos personnages féminins sont particulièrement étonnants, et pourtant, on peut les croiser demain dans la rue. Vous avez du avoir des expériences personnelles pour le moins amusantes !
(rires) Ne vous attendez pas à ce que je vous fasse des confidences ! Les situations peuvent déraper dans l'insolite, mais les personnages sont ordinaires, avec un peu de folie. J'ai besoin que les femmes aient du caractère, d'autant que là, il fallait qu'elles se différencient les unes des autres, il y en a au moins quatre avec qui Daniel a une relation intime, même si éphémère.


Parmi elles, Ludivine Sagnier, dont la carrière est promise à des sommets...
Plus que promise, elle est lancée ! Ce genre de rôle secondaire risque d'ailleurs d'être derrière elle. C'est une fille charmante, très fraîche, très vive, drôle, intelligente...Je l'ai remarquée dans Gouttes d'eau sur pierres brûlantes ou elle était éblouissante. Elle avait des scènes très audacieuses dont elle se tirait avec une légèreté et une pétulance formidables. Pour Petites coupures, j'ai fait des essais vidéo avec de nombreuses comédiennes, et mon choix s'est naturellement porté sur Ludivine.

Quel est votre avis sur la date de sortie ?
C'est une date qui correspondait à celle de la sortie de Rien sur Robert, et cela lui avait été plutôt favorable. Nous allons profiter du passage au Festival de Berlin. C'est une période très encombrée, le Spielberg sort le même jour, et il est probable qu'il sera un gros aspirateur pour le public, mais bon...

Etes-vous serein avant la compétition à Berlin ?
Je ne veux pas y penser, je ne sais pas du tout comment le film peut être accueilli. Le fait qu'il soit très dialogué pourrait être un handicap. J'imagine que si mes dialogues ont du sel, une partie peut se perdre lors de la traduction avec les sous-titres. Ce sel n'est pas forcément très exportable. Mais je suis heureux d'être pour la première fois en tant que réalisateur en compétition officielle dans un festival international.


Quel est le budget ?
35 millions de francs. (Un peu plus de 5 millions d'euros, Ndlr.) Ce n'est pas cher vu l'importance des comédiens, mais c'est mon plus gros budget jusqu'à présent. Le financement n'a pas été très simple parce que les budgets moyens sont de plus en plus difficiles à financer. Les producteurs s'en sont sortis grâce à une co-production anglaise en raison de la présence de Kristin, mais sinon, je ne sais pas si cela aurait pu aboutir. Enfin je n'ai pas eu de soucis, ce sont mes producteurs qui ont ramé !

L'affiche est particulièrement réussie !
J'en suis ravi d'autant que je souhaitais une affiche graphique. J'ai le sentiment que les affiches avec photo ont moins de caractère. Flock a beaucoup aimé le film qui lui a fait penser au peintre René Magritte. Je ne sais pas si l'affiche est vendeuse mais je la trouve très belle et elle correspond à l'esprit du film avec beaucoup de subtilité, de mystère.

Pouvez-vous nous parler des titres de vos deux derniers films ?!
Rien sur Robert était un titre arbitraire, avec tous les risques que cela représente. Après le relatif succès d'Encore, les producteurs ont tout de suite voulu signer avec moi, même sans histoire. A cette époque, je ne trouvais pas les livres que je cherchais sur l'écrivain Robert Desnos, d'où ce titre. Je ne pensais pas garder le titre pour ses côtés absurdes, provocants, et négatifs aussi. Mais j'aimais bien l'alittération, et je n'ai pas trouvé d'autres titres, donc on l'a gardé. Pour Petites coupures, c'est le contraire d'une certaine façon. J'ai fini par avoir un scénario après des tentatives infructueuses, nombreuses et épuisantes, mais je n'avais pas de titres. Mon producteur Jean-Michel Rey et Jackie Berroyer, à qui j'avais fait lire le scénario, m'ont dit séparément que je devais l'appeler Petites coupures, donc je l'ai adopté.


On sent que vous êtes attiré par le fantastique.
Je me suis lancé d'ailleurs dans un projet délibérément fantastique, avec une intrigue qui plonge dedans.

Vous faites penser à Bunuel par moment...
C'est très flatteur, j'aime énormément Bunuel. Mais cela m'étonne car je n'ai pas le sentiment de jouer de manière aussi délibérée dans l'insolite et dans le fantastique. C'est vrai cependant qu'il y a une part de comédie bourgeoise et une autre très onirique que l'on retrouve dans mes films, mais je suis surpris de la comparaison, sans que cela me déplaise non plus.

Vous êtes intéressé par le DVD qui représente la seconde vie d'un film ?
Oui, absolument. Je détestais la cassette en tant qu'objet, et pour sa médiocrité. Sans oublier l'usure. Le DVD m'a tout de suite séduit avec un maniement plus pratique et multiple. Je suis pour les bonus, et je déplore leur absence dans celui de Rien sur Robert. Le DVD de Petites Coupures sera plus fourni avec notamment un making-of.

Propos recueillis par Didier Verdurand en février 2003.

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