Guillermo Arriaga (Trois enterrements)

Vanessa Aubert | 22 novembre 2005
Vanessa Aubert | 22 novembre 2005

Écrivain, scénariste, producteur, réalisateur, acteur, Guillermo Arriaga multiplie les scénarios dont l'humanité étonne et la structure déroute. Alors que Babel, actuellement en tournage, signe sa quatrième collaboration avec Inarritu, il songe déjà à adapter et produire son roman Le bison dans la nuit, et à en confier la réalisation au mexicain Jorge Hernandez. Confortablement installé dans le fauteuil moelleux d'une suite de l'hôtel George V, Guillermo Arriaga savoure le Prix du Scénario qu'il a reçu en mai dernier à Cannes pour Trois enterrements.

Ce projet est-il vraiment né autour d'une partie de chasse ?
Oui, un jour, Tommy Lee Jones m'a appelé pour me proposer de faire une partie de chasse sur son ranch car c'est une passion que nous partageons tous les deux ; pour moi, c'est la meilleure manière de comprendre la vie. On s'est tout de suite bien entendu. Pendant que nous chassions, il m'a demandé si je souhaitais faire un film avec lui, j'ai accepté tout de suite.

Quelle fut son influence sur le scénario ?
Il m'a autorisé à écrire ce que je voulais. Je lui ai parlé d'émigrés mexicains clandestins, de la relation entre le Mexique et le Texas. Lui m'a raconté l'histoire d'un mexicain qui s'est fait descendre par accident. Au bout d'un an, j'avais écrit un scénario, il y a apporté quelques modifications mais à la base c'est l'histoire que j'ai écrite. Tommy Lee m'a aidé à ressortir toutes mes possibilités de scénariste.

Pensez-vous que les femmes soient essentielles dans le film ?
Je pense qu'elles sont capitales. Elles donnent la vie, elles s'en occupent et c'est ça qui les rend complexes. Dans ce film, elles sont ancrées dans la réalité et elles savent ce qu'elle représente. C'est vrai que c'est une histoire d'hommes mais sans elles, leur vie n'aurait pas de sens. C'est elles qui le donnent même s'ils ne les traitent pas toujours correctement.

Le nom de Melquiades Estrada est particulièrement romanesque.
Pourtant il est bien réel : c'est un très bon ami à moi ! Au Mexique, je faisais de la chasse avec lui. Aujourd'hui, il habite aux États-Unis, c'est un immigré clandestin. Mais effectivement, j'ai déjà utilisé son nom dans l'un de mes romans Le doux parfum de la mort, écrit il y a 14 ans. J'ai donné le nom du frère du vrai Melquiades à la femme de Melquiades dans Trois enterrements. J'essaie ainsi de leur rendre hommage.

L'absence de linéarité de vos scénarii semble inspirée de la littérature. Comment influence-t-elle leur écriture ?
C'est vrai que j'écris le scénario exactement comme si j'écrivais un roman, je prends soin de la structure, de la forme, des personnages, de l'histoire. Mais je ne fais aucune différence effectivement.

Ce qui paraît déroutant est la place de la mort dans la vie. Cela vous paraît-il normal ou souhaitiez-vous bousculer les idées reçues ?
La mort est une de mes obsessions, je ne peux pas l'expliquer. Elle est toujours présente dans mes romans mais aussi dans 21 grammes. Pourtant, je crois que c'est moins une obsession de la mort que de la vie. On vit dans une culture qui dénie totalement la mort. On n'a pas le droit de vieillir, d'avoir des rides, de la cellulite, de perdre ses cheveux, d'être gros, c'est quelque chose qui est mal perçu. C'est une obligation de l'écrivain, de l'artiste, de rendre la vie plus puissante et parfois c'est à travers la mort que l'on réussit.

Le corps de Melquiades qui côtoie Pete Perkins est une image forte !
C'était une décision délibérée. S'il y avait un squelette dans cette pièce, nous serions surpris, un peu déroutés mais si c'était un cadavre nous serions complètement sous le choc. Sa présence serait beaucoup plus menaçante. Il nous fait nous confronter à nous-mêmes, nous fait réfléchir sur la vie.

Mike Norton (le personnage interprété par Barry Pepper) semble retrouver son humanité en étant déshumanisé, traité comme un animal.
Je ne crois pas qu'il soit considéré comme un animal mais on le met à la place de celui qu'il a tué. Il vit chaque étape qu'un clandestin doit vivre pour passer la frontière : il faut nager pour traverser la rivière, marcher dans le désert sous le cagnard, supporter le froid la nuit et parfois les coups des américains. C'est à travers ce voyage qu'il parvient à comprendre ce que c'est qu'être humain. Pourtant ce n'est pas un film sur la vengeance mais sur la justice.

Une autre valeur religieuse prédomine dans vos scénarii et romans, la rédemption.
D'abord je ne suis pas religieux, je suis athée. Je n'ai pas eu d'éducation religieuse, je n'ai pas grandi dans la culture du péché et je ne crois pas à une instance supérieure qui nous regarde. Pour moi, il s'agit d'assumer les conséquences de ses actes. La société actuelle nous empêche de le faire. Ce n'est donc pas une histoire de spiritualité mais d'humanité. C'est la condition humaine.

Pourtant il y a des signes religieux dans 21 grammes et Trois enterrements ?
Quand Mike Norton se met à genoux, ce n'est pas religieux, c'est pour être pardonné. Pour le personnage de Benicio Del Toro dans 21 grammes, ce qui m'intéressait c'était d'explorer un personnage primitif. C'est marrant parce que beaucoup de gens me disent que je suis religieux mais je ne le suis pas et je ne l'ai jamais été.

 


La vieillesse est également un thème capital du film… Comment vous est venue l'idée du vieil homme aveugle ?
La grand-mère du vrai Melquiades était aveugle. Elle vivait dans un hameau isolé et s'est retrouvée seule après la mort de sa fille. J'ai le souvenir de cette vieille femme qui allait et venait dans sa maison et à laquelle j'expliquais les feuilletons qui passaient à la télévision. C'est une image qui m'entête depuis des années au point que j'avais déjà intégré un personnage aveugle dans l'un de mes romans.

 

En voyant l'univers de certains réalisateurs, avec lesquels souhaiteriez-vous travailler?
Almodovar est l'un d'entre eux. Marc Forster, Fatih Akin, Michael Haneke, Wim Wenders.

Beaucoup d'Européens !
C'est vrai mais il y aurait aussi des mexicains ! Et des américains comme Eastwood, Scorsese, Coppola…

Vous jouez dans Trois enterrements est-ce exceptionnel ou cela peut-il se renouveler?
C'est vrai que c'est un rôle capital !!! (rires)… J'ai d'abord été acteur ; j'ai fait du théâtre jusqu'à l'âge de 21 ans puis je me suis plus consacré à l'écriture. Mais si quelqu'un souhaite me faire jouer, dîtes bien que je suis disponible !

Il y a une vingtaine d'années, alors que vous étiez à Cannes avec votre frère, vous lui avez dit « Un jour je serai là ». Pensiez-vous y être en tant qu'acteur à l'époque ?
Non, je pensais déjà à l'écriture. Quand j'ai reçu le Prix du Scénario, je nageais en plein bonheur. Pour moi, c'est le maximum de ce que je pouvais espérer. Cannes, c'est le rêve ultime !

Trois enterrements développe l'idée selon laquelle on peut tous disparaître en un claquement de doigt. Si c'était le cas, qu'espéreriez-vous que l'on retienne de vous ?
S'il fallait qu'il y ait une fin, je souhaiterais que l'on se souvienne de moi comme un bon ami, un bon père, un bon mari, un bon fils. Mais à l'image d'une de mes nouvelles que j'ai adaptée en court-métrage, je crois plutôt que je m'en foutrais complètement, je sortirais de ma tombe, et je serais de retour !

 


Propos recueillis par Vanessa Aubert.
Autoportrait de Guillermo Arriaga.

 

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