Fernando Trueba (Le miracle de Candeal)

Shamia_Amirali | 11 juillet 2005
Shamia_Amirali | 11 juillet 2005

Profitant de la sortie de son documentaire social Le miracle de Candeal, nous avons eu l'occasion de rencontrer Fernando Trueba, à l'ombre des plantes du patio de son hôtel. Pendant près d'une demi-heure, le réalisateur espagnol, qui parle très bien le français, est revenu sur la favela de Candeal (Salvador de Bahia au Brésil) et son héros, le musicien Carlinhos Brown.

Comment s'est passé votre rencontre avec Carlinhos Brown ?
Je l'ai rencontré à Madrid, il était venu pour un concert et je connaissais déjà sa musique, ses disques et j'avais déjà lu ce qu'il faisait à Candeal. Une chose curieuse s'est passée, qui était un peu prémonitoire. Je suis allé le voir en concert à Madrid, nous avions dîné avant et après le concert, nous sommes sortis. Bebo Valdès jouait dans un club ce même soir et j'y ai emmené Carlinhos Brown. Quand on est arrivé, Bebo venait de finir et avait rangé ses partitions. La salle était encore pleine. Quand ils se sont serrés la main, je les ai convaincu de jouer ensemble. Ils se sont lancés dans une improvisation formidable, Carlinhos a commencé à chanter et danser et Bebo était au piano. Les gens qui étaient dans le club n'en croyaient pas leurs yeux. C'était magique. C'est arrivé bien avant que j'ai l'idée de faire ce film et d'y intégrer Bebo.

Justement, quand avez-vous pris cette décision ?
J'ai fait plusieurs voyages à Candeal pour essayer de donner forme au film, pour connaître les habitants, leurs problèmes. Le plus important fut de faire le voyage seul car à un moment tu te dis que si tu veux vraiment connaître les gens, tu ne peux pas y aller avec des membres de la production. Je voulais passer les journées à m'asseoir dans la rue, entrer dans la maison de quelqu'un, à parler avec les enfants, les personnes âgées. C'est pendant ce voyage que je me suis rappelé que Bebo Valdès m'avait confié qu'il avait envie d'aller à Salvador, le seul endroit au monde qu'il voulait à tout prix connaître avant de mourir. Je me suis dit que ce serait bien d'utiliser Bebo comme fil rouge et l'accompagner dans son voyage et que le film réalise son rêve. Quand je lui ai proposé, il a accepté tout de suite.

Lors de votre premier voyage à Candeal, quels sentiments avez-vous ressentis ?
Je me rappelle y être aller tout seul, le taxi m'a laissé juste à l'entrée de Candeal. J'ai marché dans la rue sans savoir où j'allais et j'ai vu tout à coup l'orchestre d'enfants qu'on voit dans le film, en train de répéter avec un professeur au milieu de la rue. Je me suis assis sur une pierre et j'ai écouté. Je me suis dit que je n'échangerai ma place pour rien au monde. J'étais tellement heureux de voir ces enfants qui avaient entre cinq et dix ans en train de jouer. C'était une image de bonheur pour moi. Il n'y avait rien de mieux que cela.

À quel moment avez-vous pris connaissance des actions de Carlinhos Brown dans la favela ?
Je savais qu'il faisait un travail de récupération sociale, qu'il travaillait avec les enfants, qu'il enseignait la musique et tout ça. J'avais déjà entendu des gens qui en parlaient comme on peut parler de toute autre action. Mais je ne connaissais aucun détail. Quand j'étais à Candeal, j'ai vu sur place les fruits de son travail et cela m'a beaucoup touché. Et j'ai ressenti le besoin de faire un film sur cela.

Parlez nous un peu de la musique de Carlinhos Brown.
Les gens connaissent d'abord Carlinhos comme une espèce de chanteur pop, afro pop ou brésilien ou quelque chose comme cela. C'est très difficile de réduire Carlinhos dans un style, il fait tellement de choses. Les gens ne savent pas que c'est aussi un compositeur à succès au Brésil. Beaucoup de chanteuses et chanteurs font appel à lui pour écrire leurs chansons. Il a un style vraiment à part qui n'a rien à voir avec ce qui existe comme la bossa nova. Il ne fait pas de paroles poétiques comme c'est le cas en général, il est entre les percussions et la peinture. Il me rappelle souvent des poètes surréalistes. Il utilise les mots phonétiquement et il en invente, c'est un créateur de langage. Mais il utilise aussi les mots comme des couleurs. Ses paroles sont très, très spéciales.
Mais c'est aussi un des grands maîtres de la percussion dans le monde. C'est aussi un chanteur et un leader social et un expérimentateur. Carlinhos est toujours partant pour essayer de nouvelles choses. Il ne s'arrête jamais, si tu suis Carlinhos pendant une semaine, il te faut deux mois de vacances après pour te remettre. C'est une force de la nature. Mais il crée aussi des mouvements socio-musicaux, il est impliqué dans des travaux communautaires qui sont parfois musicaux. C'est un visionnaire fou et carnavalesque.

Comment le projet du Miracle de Candeal a vu le jour ?
C'est un documentaire qui a beaucoup de niveaux, qui raconte beaucoup de choses en même temps : le travail que les habitants de Candeal font pour améliorer leur ville et leur vie, le voyage de Bedo Valdès qui part à la découverte de ses racines africaines au Brésil, la rencontre de ces deux cultures soeurs qui ont été séparées par l'histoire et dès qu'elles sont réunies, de très belles choses se passent. C'est l'histoire d'amour entre le Brésil et Cuba. C'est aussi un film choral, il n'y pas de protagoniste. J'aimais beaucoup l'idée de mélanger musique et vie. C'est pour cette raison que les numéros musicaux sont faits au milieu de la rue, dans des endroits normaux, jamais en studio.

Quelles étaient les conditions de tournage ?
Les gens ont été formidables du point de vue du travail, je ne cherchais par un cadre de travail comme pour un film classique. Je ne voulais pas altérer la vie de Candeal. Je voulais que notre équipe fasse partie des gens qui habitent là pour qu'ils puissent s'ouvrir à nous, se donner avec liberté et naturel.

Quels sont les messages que vous avez voulu faire passer à travers ce documentaire ?
J'ai cru voir dans Candeal une sorte de réserve de l'humanité. J'ai voulu transmettre un amour de la vie, c'est un film optimiste, dansant alors qu'il n'y a parfois aucune raison de l'être. Je n'ai pas voulu contribuer à la dépression générale mais apporter un souffle d'air et une bouffée d'espérance aux gens à travers l'exemple des habitants de Candeal, qui sont très humbles, qui n'ont pas beaucoup de moyens extérieurs mais qui se sont organisés, ils ont pris leur destin en main pour essayer d'améliorer leur vie. Je suis content de voir ce que le film a apporté à la communauté, des bonnes choses sont déjà arrivées comme un projet d'école.

Quelles sont les autres retombées du film ?
Le film a été montré en Afrique pour Un-habitat, l'agence de l'ONU chargée de la reconstruction des villes détruites par les guerres. Ils ont aimé le film et ils m'ont demandé s'ils pouvaient le diffuser lors d'un sommet de ministres du développement à Nairobi. Ils veulent aussi des copies pour les donner à des communautés pour pousser les gens à agir et montrer comment l'éducation, la culture, l'art peuvent être des moteurs de transformation sociale. Cela me fait penser que je n'étais pas fou de faire ce film. J'ai découvert des gens formidables, l'expérience humaine est pour moi incroyable. J'ai tellement d'amis à Candeal maintenant.

Vous avez d'autres projets avec Candeal et ses habitants ?
Non. Quand j'étais là bas, je me disais que j'aimerai bien faire un film avec des enfants, comment ils parlent de la vie, les rapports qu'ils ont entre eux mais pour un film comme ça, il faut passer un an à vivre avec eux. Maintenant, on s'est surtout impliqué dans les projets concrets qu'ils avaient déjà, on les aide donc à les développer. Ils n'avaient pas d'école pour les enfants et donc les femmes ne pouvaient pas travailler. L'école en construction est fondamentale pour eux. À travers la société de Sauter, on va financer la reconstruction du lieu de répétitions des jeunes, ils n'ont qu'une chambre insalubre, on va leur faire une place pour répéter, enregistrer avec tout l'équipement. Le film provoque beaucoup de choses, pour moi c'est très beau de faire un film qui peut changer la réalité, qui a une influence directe. J'en suis très fier.

Et pour le cinéma ?
Je collabore en ce moment à un scénario avec Jean-Claude Carrière, un film de fiction avec une histoire très belle que je rêve de faire depuis quelques années. C'est l'histoire d'un vieil artiste durant l'occupation.

Vous êtes très attaché à l'art dans vos films ?
Je vois le monde à travers cela. L'art est pour moi, une façon d'entendre le monde et le comprendre, c'est une façon de regarder. C'est un miroir. L'art doit permettre aux gens de mieux voir. Cela aide à vivre. Lire Balzac permet de comprendre la France de l'époque, celle d'aujourd'hui. Tout est là.

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