Jackie Chan (New police story)

Stéphane Argentin | 30 juin 2005
Stéphane Argentin | 30 juin 2005

De passage à Paris pour un hommage que lui rendait le festival Paris Cinéma (voir aussi notre news du 14 juin dernier) ainsi que pour la présentation en avant-première de son nouveau film, New police story, nous avons eu la chance de rencontrer l'une des figures les plus emblématiques du cinéma hongkongais : Jackie Chan. Autour de la table, une douzaine de journalistes. Lorsque Jackie pénètre dans la pièce, accompagné de son manager, Willy Chan, ce ne sont pas moins d'1h30 d'interview avec la star qui nous attendent. Une durée très confortable pour évoquer en sa présence une carrière déjà plus que bien remplie.

Que ressentez-vous face à cet hommage qui vous est rendu ici en France au cours de ce festival ?
Je suis habitué à recevoir toutes sortes de prix à Hong-Kong, à Singapour, à Taiwan, en Malaisie… Mais chaque fois que j'en reçois un en dehors de l'Asie, c'est toujours un grand honneur pour moi.

Comment est né le projet New police story ?
Après plusieurs comédies aux États-Unis (Rush hour 1&2, Shanghai kids 1&2, Le tour du monde en 80 jours), j'ai créé JCE, ma propre compagnie de production car je n'ai malheureusement plus beaucoup de temps pour faire des films à Hong-Kong, donc je les produit. C'est à ce moment-là que Benny Chan est venu me parler de ce New police story pour lequel il hésitait entre Jackie Chung et Tony Leung Ka-Fai pour le premier rôle. Je lui ai répondu qu'il n'y avait qu'un seul super flic : moi ! J'ai hésité quelques temps puis, sur les conseils de mon manager, je me suis dis qu'un retour à un sujet aussi dramatique serait bon pour moi et j'ai fini par accepter. Le budget du film est alors passé de 2 à 15 millions de dollars US.

  
  

Ce rôle peut-il être comparé à celui que vous aviez dans le film de Kirk Wong, Crime story ?
Les deux personnages sont différents. Dans Crime story, j'incarne un super flic qui ne s'arrête jamais, qui ne doute jamais. C'est pratiquement un surhomme. Tandis que dans New police story, mon personnage est plus humain car précisément, il doute en permanence. En fait, au cours des dix dernières années, j'ai essayé un peu tous les genres : des comédies, des cartoons avec des films tel que Nicky Larson, Gorgeous… Je veux devenir en quelque sorte le Robert De Niro asiatique en diversifiant ainsi mes rôles. Je viens de terminer The myth qui est un film d'heroic fantasy, puis j'enchaînerai avec un rôle de gentil bad guy dans une comédie et je travaille également sur un script que j'espère tourner l'an prochain et dont l'action se déroulera au Cambodge. C'est un sujet à la fois très choquant et dramatique dans lequel je jouerai. J'en ai parlé à Zhang Yimou et il est d'accord pour le réaliser.

  

Si vous recherchez la diversité, pourquoi continuer à faire autant de suites, notamment les Rush hour, Shanghai kid ?
Je vais être honnête avec vous, si j'accepte de faire ces suites, c'est tout simplement pour l'argent et parce que ces films m'aident à me faire connaître à travers le monde. Avec ces deux atouts là en poche, je peux alors revenir à Hong-Kong pour faire et soutenir plus facilement les films qui me tiennent à cœur. Les États-Unis sont un passage quasi-obligé si vous souhaitez toucher le plus de monde sur la planète avec vos films, car les américains possèdent les ressources et le savoir-faire promotionnels. À mes yeux, la série des Police story est bien meilleure que celle des Rush hour mais les premiers ne sont pas aussi facilement vendables que les seconds. C'est pourquoi les Police story sortent directement sur le marché de la vidéo tandis que les Rush hour, même s'ils sont mauvais, sont d'abord exploités en salles. Tant que ces films marcheront et qu'ils me demanderont d'en faire encore d'autres et bien je continuerais : Rush hour 3, 4, 5, Shanghai night, Shanghai noon, Shanghai dawn, Shanghai evening… (rires). Mais j'ai également de nombreuses suites dans ma carrière à Hong-Kong : Police story, Drunken master, Armour of god, Le Marin des mers de Chine… Aux États-Unis, ils veulent surtout du Rush hour tandis que dans d'autres pays tels que la France, le public attend plutôt du Drunken master. Le problème, c'est que je ne peux pas être partout à la fois.

  
  

Est-ce pour vous permettre de faire toutes ces suites que vos personnages ne meurent jamais ?
J'ai déjà essayé de mourir ! Depuis longtemps même. Mais mon parrain s'y oppose. Je lui ai demandé : « Pourquoi ? Alain Delon meurt dans beaucoup de ses films ? » Mais il ne cesse de me répondre : « Non, tu ne peux pas mourir ».

Après une période assez terne, le cinéma hongkongais est à nouveau en plein essor. Est-ce que les accords du CEPA facilite cette renaissance ?
(CEPA : Closer Economic Partnership Arrangement, accords passés entre Hong-Kong et la Chine visant à partager et ainsi faciliter, entre autres, le financement et la distribution des films, NDR).
Ces accords ont également été bénéfiques pour le tourisme en permettant une plus libre circulation des gens. Outre l'aspect financier, le CEPA permet donc d'avoir accès à un panel d'acteurs beaucoup plus vaste. Donc, oui, ces accords facilitent grandement la mise en place de nouveaux films. Ce qu'il faut voir également, c'est que de nombreux longs-métrages en préparation sont financés par les américains, ce qui donne ainsi accès au marché international beaucoup plus facilement. Seul, le marché hongkongais est en train de mourir, essentiellement à cause du piratage. À peine un film est-il sorti que le soir même on le retrouve partout dans les rues. Le piratage est un véritable fléau.

Les productions hollywoodiennes se sont énormément inspirées des films hongkongais au cours de ces dernières années. L'utilisation de capitaux américains pour faire des films hongkongais à domicile avec de la main d'œuvre locale n'est-il pas un moyen de montrer que vous êtes les seuls à posséder le vrai savoir-faire pour réaliser de tels films ?
Les américains ne raisonnent pas ainsi. Ils sont conscients d'avoir atteint un pic sur leur propre territoire en terme de box office. La Chine et ses 1,3 milliards d'habitants représentent un marché potentiel formidable à leurs yeux. Ils ont l'argent mais pas le savoir-faire nécessaire pour réaliser des films aussi bons que les nôtres. Ils financent donc à moindres frais des films 100% chinois qui leur reviendraient beaucoup plus chers s'ils étaient réalisés aux États-Unis. Ils distribuent ensuite ces films dans les salles, puis en vidéo, sur leur propre territoire, puis à l'échelle mondiale et rentrent ainsi très vite dans leur frais. Pour l'instant, le marché chinois est un bonus pour eux jusqu'à ce que les réseaux télévisés se soient développés et qu'ils revendent alors ces mêmes films aux grands groupes de diffusion. Tout n'est que business à leurs yeux. Mais ils possèdent également un savoir qui nous fait défaut : la promotion. Les américains sont très forts pour promouvoir les films, y compris les plus mauvais. L'échange est donc bénéfique et réciproque.

Vous avez pourtant pris part à l'une des plus belles affiches du cinéma hongkongais avec Sammo Hung et Yuen Biao dans Le marin des mers de Chine ?
Je sais faire des films, jouer la comédie, le drame, faire des cascades… Mais une fois le film achevé, j'ignore comment le vendre auprès du public. Pour cela les américains sont numéro un. Lorsqu'ils m'ont demandé de venir faire Rush hour, je suis allé et une fois le film terminé, je n'étais pas satisfait. Je déteste les films que je fais à Hollywood car il ne me ressemble absolument pas. Je pensais que Rush hour serait un flop et pourtant, il a fait un véritable carton car ils ont su le promouvoir partout dans le monde aussi bien en salles que sur le marché de la vidéo. Donc, j'ai enchaîné avec un deuxième, puis l'an prochain avec un troisième. Les américains cherchent les marchés potentiellement rentables. C'est pourquoi de nombreuses productions font aujourd'hui appel à des chorégraphes hongkongais et mélangent les arts martiaux aux effets spéciaux, ou encore que Disney vient d'implanter une filiale à Hong-Kong avec dans l'idée de produire des dessins animés chinois.

Pourquoi, malgré l'explosion des effets numériques, vos films continuent-ils à privilégier les cascades en direct ?
Mon public s'attend à ce genre de prouesses physiques de ma part et de plus, l'industrie cinématographique hongkongaise est traditionnellement pauvre financièrement parlant et n'a pas les moyens d'avoir recours à des effets aussi onéreux. J'ai cependant déjà eu affaire à des tournages de ce genre aux États-Unis sur lesquels on me disait : cours, ait l'air effrayé… Effrayé par quoi ? Il n'y a rien derrière moi si ce n'est un fond bleu ! J'ai beau essayé, c'est quelque chose que je ne sais pas faire. Pour cette raison, j'admire des personnes telles que George Lucas ou Steven Spielberg qui ont un esprit visionnaire incroyable. J'ai d'ailleurs un vieux projet de film muet en noir et blanc car je souhaiterai revenir à cette simplicité du cinéma. De quels films se souvient-on plusieurs années après ? La mélodie du bonheur, West side story. Aujourd'hui, lorsque vous allez voir un film qui va à 100 à l'heure avec plein d'effets spéciaux et une bande son tapageuse, à peine êtes-vous sortis du cinéma que vous l'avez déjà oublié.

Avez-vous eu l'occasion de voir Tony Jaa dans le film thaïlandais Ong-bak ?
Oui. Ce film revient à ce que Sammo Hung et moi faisions dans les années 80 avec des cascades très violentes mais également très douloureuses pour nous lors du tournage. Mais passé un certain âge, je me suis assagi. De plus, il y a de plus en plus d'enfants parmi mon public et je ne souhaite plus leur donner à voir des images trop violentes. C'est pour cette raison que je me suis progressivement orienté vers des scènes d'actions plus « cartoonesques ». Il y a déjà suffisamment de violence comme ça dans le monde sans en rajouter. Je ne comprends d'ailleurs absolument pas cette fascination qu'exercent les combats d'ultimate fighting auprès du public. C'est de la violence totalement gratuite. New police story comportent certes de nombreuses scènes de violence, mais celle-ci sont totalement justifiées au sein de l'histoire. J'ai d'ailleurs toujours privilégié avant tout l'histoire, la dramaturgie et les personnages. L'action pour moi ne vient qu'en tout dernier. De plus, les arts martiaux sont à la base un moyen de défense et non d'attaque.

Que pensez-vous des derniers films de Stephen Chow ?
J'aime beaucoup ce qu'il en a fait. Il est le parfait exemple d'une personne à Hong-Kong qui a su utiliser les capitaux et les effets spéciaux américains pour les besoins de ses propres films.

De plus en plus de films sont des coproductions entre plusieurs pays asiatiques. Comment se passent ces collaborations ?
Depuis plus de 30 ans, les spectateurs voient toujours les mêmes têtes : la mienne, celle de Sammo Hung… Ces coproductions leur permettent de voir de nouveaux visages, de découvrir de nouveaux talents tout en resserrant nos différentes cultures. Car l'Asie n'a pas échappé à l'américanisation et pratiquement tous les jeunes aujourd'hui vivent à l'américaine : MTV, Mac Donald, Pizza Hut… Ce type de projet, comme The myth dans lequel j'ai pour partenaire des stars coréennes et indiennes, permet donc de nourrir cette culture asiatique tout en ouvrant les films aux différents marchés qui, pris individuellement, sont trop faibles et peu rentables.

Votre nom a également été associé à des projets faisant intervenir de jeunes talents. Est-ce pour vous un moyen de transmettre votre savoir ?
Je cherche en effet à montrer au public de nouveaux visages, à aider de jeunes acteurs et de jeunes cinéastes très prometteurs. J'ai rencontré Daniel Wu au cours d'une soirée et je le soutiens depuis ce jour là, de même que Stephen Fung, un réalisateur pour lequel j'ai produit Enter the Phoenix dans lequel joue Daniel Wu. L'autre problème est lié au fait que de nombreuses personnes ne font plus parties de la profession et à présent, dès que vous avez plusieurs films qui se tournent simultanément à Hong-Kong, vous manquez de main d'œuvre. Donc il nous faut de nouveaux talents. C'est pour cette raison que j'ai pour projet de fonder une école d'arts martiaux pour le cinéma. Afin de former des personnes aux différents corps de métiers du cinéma.

  

Avez-vous prévu un jour de refaire un dernier grand film d'arts martiaux ?
J'ai effectivement un projet en ce sens que j'aimerai réaliser. J'ai aussi un projet de série télé documentaire sur les arts martiaux à destination des occidentaux où je montrerai les origines et les différentes facettes de cet art. En dehors de cela, j'ai également un projet de guide touristique vidéo où je ferais découvrir au reste du monde des villes telles Singapour, Bangkok… Puis, à destination du marché chinois cette fois, la même chose mais avec des villes telles que Paris, Londres…Où aller, quoi manger… ? Car les gens en Chine me font confiance. Je suis un businessman moi aussi.

Avez-vous déjà eut des propositions de réalisateurs français ?
J'attends que le fameux réalisateur français qui a déjà fait des films avec Jet Li, comment s'appelle-t-il déjà ?

Luc Besson ?
Oui ! Luc Besson. J'attends. Pourquoi il propose à Jet Li et pas à moi ? (rires)

Quels sont vos projets immédiats ?
Je vais démarrer un projet intitulé… (il se tourne vers son manager Willy Chan qui dit alors : « C'est un secret »). C'est donc un projet gardé secret pour le moment. Puis en mars 2006, je vais tourner le film de Tony Ching Siu-Tung (intitulé pour le moment The sword searchers) et après Rush hour 3.

Propos recueillis par Stéphane Argentin.

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