Robert Guédiguian

Didier Verdurand | 9 février 2005
Didier Verdurand | 9 février 2005

Pour s'attaquer aux derniers mois de la vie de François Mitterrand, il fallait un sacré culot et un talent non moins spectaculaire pour éviter les nombreux pièges et s'en tirer avec les honneurs. Robert Guédiguian, réalisateur de l'inoubliable Marius et Jeannette et autres fables marseillaises, a accepté de nous rencontrer pour parler du film événement de février, Le Promeneur du Champ de Mars. Avec l'accent marseillais, s'il vous plaît.

Quel était votre état d'esprit en 1981, le soir de l'élection de Mitterrand ?
C'était une période d'autant plus excitante pour moi que je présentais à Cannes dans la même période mon premier film, Dernier été, que j'avais coréalisé avec Frank Le Wita, aujourd'hui producteur à l'origine du Promeneur du Champ de Mars. Le soir de l'élection, nous étions tous les deux à la Bastille. Nous étions contents parce que c'était une très forte manifestation populaire ce jour-là, mais nous avions déjà des doutes sur les possibilités du socialisme en France. Frank et moi avions notre carte du parti communiste et l'arrivée des socialistes au pouvoir ne nous a finalement pas été particulièrement favorable, à l'instar des socialistes de gauche comme par exemple Chevènement.

Comment pensez-vous que les futures générations se rappelleront de Mitterrand ?
On se souviendra de Mitterrand dans un siècle en parlant d'un président de la République qui a failli être à l'origine d'une rupture très forte avec le système capitaliste. Il a failli. Le capitalisme n'est pas le seul avenir de l'homme. Je suis persuadé que c'est un mode de reproduction qui disparaîtra comme les précédents. La question d'un meilleur partage des richesses se pose encore, et modestement, à travers mon film, j'ai voulu la reposer.

Quelles étaient vos motivations ?
Je n'avais pas lu Le Dernier Mitterrand à sa sortie, mais quand Frank m'a parlé d'adapter ce livre, j'ai tout de suite accepté car le travail sur la mort m'intéressait, je voulais parler d'un homme en train de mourir et qui parlait de ce qu'il laissait. Mitterrand était devenu un spécialiste de comment étaient mortes de grandes personnalités historiques. Je trouve que c'est une assez belle manière de dire qu'il va contrôler ce phénomène. Il incarnait la maîtrise. Le rapport entre le maître et l'élève, dans la tradition des dialogues philosophiques, me motivait aussi. J'ai pensé à Jaques le fataliste, de Diderot, Narcisse et Colmoune, d'Hermanès, qui est un roman que j'adore... Après avoir été interpellé par ces thèmes universels, je me suis demandé ce que j'allais foutre avec une figure historique comme celle de Mitterrand, et je me suis dit que le mieux était d'en faire une allégorie, en me mettant à la place de quelqu'un qui parlait de Mitterrand dans un siècle. Enfin, pour que je change de troupe de théâtre, il fallait que je reçoive une proposition surprenante, très différente de celles que je reçois habituellement.

Vous êtes donc arrivé sur le projet déjà bien avancé. Cela vous a-t-il touché au début ?
Une fois que j'ai accepté le projet, je suis immédiatement devenu le chef d'orchestre, d'où mon titre de coproducteur. Si j'ai changé d'acteurs, j'ai quand même gardé toute mon équipe, donc je restais en terrain familier. Le choix de Michel Bouquet m'allait parfaitement, et c'est l'une des raisons qui m'ont convaincu de le faire. Il était le seul acteur français de cet âge qui me semblait capable de dégager une telle aura. J'aime d'autres comédiens de sa génération, comme Piccoli, mais je ne pouvais faire ce film qu'avec Bouquet.

Et vous en avez profité pour vous débarrasser d'Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin...
Comme je changeais de théâtre, je devais changer de troupe. Si on avait vu Ariane, Dada ou, encore pire, Gérard Meylan à l'écran, ça y est, vous sortiez du film pendant un quart d'heure ! Cela aurait été une erreur absolue.

Le jeu de Michel Bouquet ne se limite pas à une imitation, il en est d'ailleurs loin.
On a voulu rester sur une reconstitution imaginaire et non maniaque ou factuelle. Bouquet et moi étions d'accord là-dessus, c'était une évidence : Michel n'allait pas regarder des films sur Mitterrand pour le singer. Je n'avais jamais rencontré Mitterrand de près, juste dans des meetings. Je crois plus en la subjectivité assumée, au travail de la mémoire. Le fait qu'il ait existé nous oblige à faire attention de ne pas faire de contresens, mais nous ne sommes pas rentrés dans le détail pour savoir comment il s'asseyait ou marchait ! D'ailleurs, d'anciens proches qui ont vu le film nous font remarquer que Bouquet ne ressemble pas à Mitterrand et on leur répond qu'on s'en fout, la question n'est pas là ! Il y a des interviews d'Elkabbach pour ça !

Vous êtes en effet très loin de Nixon, d'Oliver Stone.
J'ai trouvé ce film très mauvais, il ne m'a pas du tout intéressé.

Quel est le budget du Promeneur du Champ de Mars ?
25 millions de francs. Je parle toujours en francs... Ça fait 3 ou 4 millions d'euros à peu près, comme Mon père est ingénieur. Seule la location de décors était plus chère. Le prix d'une location d'un appartement dans le XVIe n'est pas le même que celui d'un HLM à Marseille, mais il n'y avait personne de l'équipe à reloger à Paris donc on a récupéré de l'argent là-dessus. Je ne pense pas que je changerai un jour ma manière de travailler. Je ne ferai pas de grands mouvements de caméra, ce n'est pas mon écriture, je fais un travelling tous les dix ans. Comme quelqu'un qui n'aimerait pas rédiger des phrases de huit lignes, il continuera sans cesse d'écrire des phrases courtes. Je travaille de manière très légère, en super 16, mais j'accorde du luxe à l'étalonnage, en numérique. Le cinéaste qui dure longtemps fait du cinéma qui marche par rapport à son économie.

Vous auriez pu dépenser des millions en décors !
On a réduit le décor à quelques lignes, il est vide. Bouquet n'a vraiment qu'une scène en extérieure, c'est à Liévin. On met deux voitures noires et deux motards en pleine Bourgogne, cela suffit à mes yeux pour dire que c'est le Président ! Pareil pour les personnages secondaires, il y en a très peu.

Ce n'est pas par crainte de représailles que vous avez refusé de faire figurer des proches encore vivants ?
Il ne faut pas qu'ils le prennent mal, mais s'il était intéressant de montrer Mitterrand comme une figure historique en train de parler du socialisme, qu'en était-il de montrer son beau-frère Roger Hanin ou Michel Charasse dans le bureau en train de parler de rien ? J'aurais pu aussi montrer Chirac rentrant à l'Elysée, il y avait de nombreuses possibilités... Seulement Mitterrand était le vrai sujet.

Le Dernier Mitterrand a créé la polémique.
À cause de deux ou trois séquences. J'ai suivi la polémique de très loin, j'avais juste vu Benamou à Apostrophes. Le livre est paru peu de temps après la mort de Mitterrand, ce fut un grand succès et les proches l'ont trouvé illégitime. Il y a souvent des problèmes entre héritiers, légitimes ou non. Pour ce qui est du livre en lui-même, je ne vois pas ce qu'il a de polémique.

Michel Charasse disait encore récemment à Michel Denisot que ce livre était pour lui un déshonneur et qu'il ne verrait pas votre film malgré le respect qu'il a pour vous.
Je ne suis ni à charge, ni à décharge. Dans ma démarche de cinéaste, je me fous de ce que pense Charasse, mais je n'ai rien contre lui, il parle plutôt bien de moi !

Vous n'allez pas organiser une projection pour la famille Mitterrand ?!
Certainement pas ! Je ne veux être sous la tutelle de personne. Je suis comme le Mitterrand que j'ai montré. Indépendant, souverain et libre : je fais ce que je veux ! Après, j'écoute ce qu'on pense de mon travail. Je n'ai pas fait un film pour ou contre quoi ou quoi que ce soit.

Mitterrand dit dans le film : « Il faut le culte de l'indifférence pour avancer. »
C'est violent, je ne sais pas quoi en penser. Quand il dit ça, je crois qu'il voulait dire qu'il fallait arriver à dépasser les détails pour s'arrêter aux choses essentielles, aux grandes lignes et ne pas trop s'occuper de questions secondaires.

Vous avez fait quelques coupes ?
Deux scènes complètes, et pas mal à l'intérieur des autres. Je suis du genre à plus tourner qu'il ne faut. J'ai tendance à tout faire pour que les scénarios ne soient pas bloqués, il n'y a pas d'obligation dans l'enchaînement des scènes. Par exemple, l'hélicoptère arrive à Chartres et après on les voit à la basilique de Saint-Denis. C'est dommage pour le tourisme : certains vont croire que les Gisants sont à Chartres, les gens de Saint-Denis vont râler !

La photo est assez grisâtre, c'est voulu ?
Nous sommes en plein crépuscule, les six derniers mois d'une vie. C'est un film d'hiver, plus froid que mon univers habituel.

Vous retournez à Marseille ou vous allez revenir là où on ne vous attend pas ?
Si on me propose quelque chose d'aussi original, pourquoi pas ? En attendant, je repars dans des histoires plus personnelles. Je vais faire un film qui part de Marseille pour aller en Arménie. Le projet suivant se passera dans le sud de la France, près du Château-Neuf. Peut-être après retrouverais-je les rues de Marseille...

Les derniers films qui vous ont touché ?
Carnets de voyage, mais ce n'est pas très objectif, je connais par cœur la vie du Che, un personnage qui représentait beaucoup à mes yeux quand je l'ai découvert à 14 ans. Celui qui joue le copain du Che est génial... (Rodrigo De la Serna, Ndlr) J'ai aimé Nobody knows et Locataires, de Kim Ki-Duk... En vieux film, Voyage à Tokyo, d'Ozu.

Propos recueillis par Marion Seandréi et Didier Verdurand.
Autoportraits de Robert Guédiguian.

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