Michel Muller

Vincent Julé | 18 janvier 2005
Vincent Julé | 18 janvier 2005

Sa vie est prétendument plus belle que la vôtre. Ni une, ni deux, nous sommes allés le vérifier chez lui, à sa maison de production. Et là, au sous-sol, il n'a pas seulement répondu à nos questions. Car derrière le poil à gratter du PAF se cache un touche-à-tout, qui après des études d'ingénieur et un poste de prof de maths s'est lancé dans l'aventure du one-man-show, sans savoir où tout cela le mènerait. D'ailleurs, il cherche encore, expérimente, se pose les bonnes questions, ou ne s'en pose pas du tout. Cette rencontre a été ponctuée de nombreuses digressions, tentatives d'éclaircissement, de « Euh…. » ou « C'est que… », et il a fallu couper – à coups de hache. Mais une partie de l'essentiel est dans ce qui suit…

À quel moment et qu'est-ce qui t'a donné envie de passer le pas et de faire un film ?

Déjà à l'époque du one-man-show, je me suis retrouvé un jour dans un café où l'on m'a donné un chèque – un vrai – pour écrire un « traitement ». Premièrement, je ne savais pas ce que c‘était, et je me suis surtout rendu compte de l'enfer que c'était d'écrire une histoire. Comme tout « sprinter » du café-théâtre ou de la télé, j'avais plus une capacité à être dialoguiste. Donc j'ai d'abord laissé tomber. Et quand on m'a fait cette proposition d'une captation vidéo, en studio et sur trois jours, j'ai mis de côté mes projets en cours et je me suis tourné, plutôt instinctivement d'ailleurs, vers cette idée de « vrai film ». Or j'avais participé à des premiers films en tant que comédien, et j'avais perçu cette tension, cette chape de plomb qui tombe sur les épaules du jeune réalisateur qui passe du court métrage à un budget de 20 millions de francs. Moi, j'avais envie d'aller vers ce à quoi ressemble le film aujourd'hui, bien que tout n'était pas conscient et pensé. L'idée n'était plus de travailler en studio, mais en extérieur sur dix-huit jours – grâce à une rallonge financière –, et la forme faux reportage cadrait à cette économie réduite. Et je me suis dit, si le film est une grosse merde, je le sors en DVD. Par contre, si c'est pas mal, on verra.

Concernant le concept du film, proche du docu-fiction ou du « documenteur », d'où t'est venue cette idée ?

Quand j'ai démarré mon spectacle au Splendid, un réalisateur a demandé à me suivre dans le cadre d'un documentaire sur les nouveaux comiques. Je l'ai ainsi vu débarquer porte d'Aubervilliers, et il me suivait toute la journée. Et après six heures, je me suis demandé s'il fallait que je fasse quelque chose. Que je mange bizarrement, peut-être. Au bout de deux jours, on n'est déjà plus le même. La question que je me posais était de savoir ce qu'il cherchait. Est-ce que la vie des gens du spectacle est si intéressante ? Et puis, c'est vrai que tu sens chez les gens qui matent dans la rue un fantasme sur ce que doit être notre vie. J'ai tourné avec Jean Reno ! Et Jean Reno, ce n'est pas un mec qui doit marcher de la même manière que tout le monde. Mais bon, je ne veux pas les décevoir.

Mais où s'arrête la réalité et où commence la fiction ?

Je me sers du docu comme prétexte, pour noyer un peu le poisson, mais cela ne tient pas la distance comme pouvait le faire C'est arrivé près de chez vous. À la fin, en noir et blanc, on passe franchement dans la fiction.

On peut penser que vous avez voulu faire un peu comme tous les comiques télé, surtout ceux issus de Canal +, qui après quelques apparitions au cinéma réalisent leur propre film.

Si j'avais vraiment voulu faire un film, j'aurais pu, et avec plus de moyens. C'est juste que je suis trouillard et que je sentais que j'allais faire une grosse merde. Une des choses que je trouve dramatique au cinéma, c'est quand le film ne correspond à ce que voulait le réalisateur. Moi, j'ai réalisé un « truc » qui au premier montage était très long, très noir, avec des gags à la Fallait pas, ce qui au final désamorçait le tout, et j'ai bien mis un mois et demi à oser tailler dans le vif, pour arriver à une vraie unité.

Le film est-il beaucoup écrit, ou avez-vous plutôt le champ libre à l'improvisation ? Parce qu'à vrai dire c'est l'impression que ça donne.

Tout est écrit. Après, dans les détails, la scène avec Claude Miller est écrite au couteau. Il n'y a pas un mot de travers. Depardieu, on a changé un peu. En fait, je fais comme lorsque je suis comédien et qu'une scène ne fonctionne pas.

Mais d'où vient cette idée de pitch « Trois mecs qui se branlent… euh non, qui veulent arrêter de se branler, c'est plus subversif ! » ?

Si on me demandait de faire un film aujourd'hui, on me demanderait de faire Fallait pas le film, grosso modo. Donc, pour plaire à un producteur qui viendrait me voir, je devrais faire quelque chose dans ce style, très potache, et que je ne renie pas du tout. J'adore d'ailleurs. Ce garçon est d'une inculture totale, mais il veut montrer qu'il est autre chose qu'un comique. Il veut surtout faire du cinéma, parce qu'on lui a soufflé l'idée.

Et, à ce moment-là, il ne te ressemble plus du tout, alors ?

Tout du long, il y a un peu de moi, et de ce que j'ai vu et vécu. Dans tout ce que j'écris, il n'y a rien qui ne m'est complètement étranger. Au départ, la question était de savoir si je l'appelais Pierrot et s'il était chanteur ou acteur de théâtre classique. Mais comme c'est dans le milieu du spectacle, on m'aurait dit que c'était un peu moi, voire reprocher de ne pas l'assumer. Et puis, comme le film a été écrit à plusieurs, nous nous sommes amusés à en rajouter des tonnes.

Pour les guest stars, quel était le but ?

Pour Claude Miller, François Truffaut n'étant pas disponible, je me suis tourné vers celui qui a été son assistant pendant très longtemps. Avec Depardieu, j'ai adoré son discours sur le métier d'acteur, où se mêle distance et générosité. Je pose donc la question de savoir pourquoi il y en a qui arrive et pas d'autres, car c'est l'histoire d'un mec qui se rend compte qu'il n'a pas le talent qu'il croyait avoir.

Tu parles un peu de toi, non ?

On ne peut pas ne pas se poser cette question. Je trouve terrible dans ce métier l'aveuglement où, de temps en temps, on fait des merdes, et personne ne vous le dit. Il m'arrive parfois, par hasard, de tomber sur des rushes où je ne me trouve vraiment pas bon.

Côté cinéma, en tant que comédien…

Déjà, il y a très peu de bons films par an. Il faut donc être dedans, ce qui n'est pas forcément mon cas.

C'est que ta remarque sur Wasabi, dans ton film, est si criante de vérité…

Oui… ce n'est pas que j'aime pas le film, c'est qu'il est normal que le personnage s'interroge. En effet, si je suis honnête, s'il veut faire des films comme Truffaut, il ne peut pas aimer Wasabi. Moi, ce film est loin de me gêner. C'est un film que j'ai aimé faire, qui a marché – deux millions d'entrées, ça fait toujours plaisir –, et dont les gens se souviennent. Ce n'est pas la comédie de l'année, mais sur mon court CV ce n'est pas négligeable. Après, dans les films que j'ai vraiment aimés, il y a Train de vie, que je voulais faire absolument.

Avez-vous des attentes par rapport au film ?

Aucune. Je produis et distribue le film, donc je suis allé jusqu'au bout. La plupart des gens sont en participation, j'ai eu une aide énorme en postproduction. Tu n'imagines pas les nuits que nous avons passées dans la salle de montage, se nourrissant de pizzas et se lavant sur place. Donc, s'ils peuvent s'y retrouver un petit peu, je serai content. Et si on fait trois entrées, on sera contents de l'avoir fait. Je n'ai aucune obligation de résultat. Je l'ai fait avec le peu de sous que j'avais, ce qui me donne la liberté de me planter.

Et après, des projets en vue ?

Ouh là non ! Ça fait deux ans que je suis sur ce film – ma femme a l'impression que cela en fait cinq ! – et je n'ai pas eu le temps d'y réfléchir. Il y a bien sûr La vie est à nous, de Gérard Krawczyk, avec Sylvie Testud, où j'ai un rôle plus sérieux. Sinon, je fais de la télé (sur Cinextrême, NDLR), avec le jeune homme de la fin de mon film d'ailleurs. Je pense bien un jour écrire mon deuxième film, mais ne nous précipitons pas. Ou alors j'arrêterai. Je ne sais pas.

Propos recueillis par Vincent Julé.
Autoportrait de Michel Muller en haut de page.

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