FIF de Saint-Jean-de-Luz : Rencontre avec Charlène Favier, réalisatrice de Slalom

Christophe Foltzer | 10 octobre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 10 octobre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Si vous suivez nos compte-rendus du Festival International du Film de Saint-Jean-de-Luz, vous savez que Slalom, le premier film de Charlène Favier, nous a fait forte impression. Mais c'était aussi l'occasion d'en parler avec elle. Rencontre avec une jeune réalisatrice qui a beaucoup de choses à dire.

 

EcranLarge : Pourrais-tu nous raconter la génèse de Slalom ?

Charlène Favier : Je suis entrée à l’atelier scénario de la Femis en 2014, dans le but d’écrire un premier long-métrage. J’y suis entrée sans avoir le sujet de ce film, je n’y avais pas du tout pensé, j’avais juste quelques idées. En 2015, il fallait quand même que j’écrive quelque chose puisque c’est le but de l’atelier, et là je me suis demandé ce que j’avais au fond de moi de suffisamment fort pour me donner la force de m’accrocher pour faire un premier film.

Je me posais les questions de façon rationnelle mais en même temps de façon très instinctive et plusieurs choses sont sorties : les montagnes où j’ai grandi et que j’avais très envie de filmer. Pour moi, la première chose qui entre en compte, c’est un décor, un endroit, un lieu. Il faut que je sois happée par un décor. J’ai passé mon enfance au Val d’Isère et je me suis dit que c’était là qu’il fallait que je tourne. C’est tellement cinégénique, ça représente tellement de choses pour moi. Evidemment, il y avait aussi le ski. J’ai fait du ski de compétition, pas au même niveau que Lyz (le personnage interprété par Noée Abita), mais j’avais envie de mettre du sport, qu’il y ait une dynamique, de la vitesse, pour ouvrir le film à un plus large public. Le sport, c’était une bonne manière d’y arriver.

Il y avait aussi le rapport entraineur-entrainée, que j’ai connu, et l’emprise, que j’ai connu aussi, d’ailleurs dans d’autres milieux que le sport, dans ma vie de jeune femme. Le consentement, la sexualité, le désir, tout ça, ce sont des choses qui m’habitent et me questionnent depuis un bout de temps.

 

photoNoée Abita

 

 

E.L. : Slalom touche un sujet délicat, les violences sexuelles dans le sport, mais, en même temps, son traitement est très ambigu, sans parti-pris clairement établi...

C.F. : Ce n’est pas du tout un film à charge mais ce n’est pas non plus un film manichéen. Et c’était très important pour moi parce que, ce qui m’intéresse, c’est la complexité des êtres, l’ambivalence des choses. Je n'aime pas les personnages trop lisses, les choses trop simples, les discours trop normés. Ce qui m’intéresse, c’est le côté retors, caché, où on y dit ça mais on fait l’inverse, on ressent ça mais on agit d’une autre manière. Souvent, dans la vie, si on se regarde un peu en face dans un miroir, c’est souvent comme ça et le cinéma permet, justement, d’explorer toutes ces zones d’ombres et cette palette de couleurs qui est, en fait, l’âme humaine.

Et puis je pense aussi que, si on aborde toujours la question des violences sexuelles dans le sport de manière manichéenne, avec un serial abuseur et une victime, on s’empêche en fait de réfléchir pleinement à ce sujet vaste et complexe. J’avais envie de montrer que c’est en réalité beaucoup plus compliqué que ce que l’on a tendance à en dire et que, souvent, la victime n’est pas que victime, et, surtout, l’agresseur n’est pas qu’un monstre cauchemardesque. Ca peut aussi être un homme ou une femme comme tout le monde qui peut déraper à un moment, se sentir coupable….

 

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E.L. : Ce traitement non-manichéen a-t-il eu une incidence sur la préparation du film ? As-tu rencontré des barrières particulières ?

C.F. : Il y avait toujours ce truc de dire, notamment pour les grandes chaines de télévision, que ce n’était pas assez à charge, le méchant n’était pas assez méchant et la victime, pas assez victime. C’est un film qui a été peu financé en fait : il y a l’avance sur recette, Rhône-Alpes Cinéma et Ciné +. Pas de Sofica, pas de Canal +, pas de France 2, pas de France 3. C’est un million d’euros de budget, 5 semaines de tournage et on me disait souvent, à la lecture du scénario, que c’était super bien écrit, vachement intéressant, mais non, on ne va pas y aller. Parce qu’en fait, ils avaient peur. Ce scénario, c’était un peu la patate chaude que tout le monde se balançait sans vraiment savoir quoi en faire.

Avant Metoo, avant Sarah Abitbol (patineuse artistique qui a dénoncé les violences sexuelles subies dans son milieu), avant Adèle Haenel, personne n’avait envie de déterrer la hache de guerre, personne n’avait envie de parler de ça. Et personne ne savait comment en parler en fait. Aujourd’hui, heureusement pour toutes les victimes et pour le film, ça a surgi dans les médias et ça permet à ce que cette société soit préparée à voir ce film et à parler de ces sujets. Ce film serait sorti il y a 3 ans, potentiellement, je ne suis pas sûre qu’il aurait connu la même mise en avant.

 

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E.L. : Pourquoi, selon toi, la société actuelle n'arrive pas à élaborer une pensée complexe, notamment sur ces sujets ?

C.F. : Tout simplement parce qu’on n’a pas envie de réfléchir et d’explorer nos propres zones d’ombre. Si on veut vraiment parler des choses, il faut accepter que l’on ne soit pas soi-même immaculé. C’est beaucoup plus simple de dire « il y a des méchants, mais c’est pas moi » ou « il y a des victimes, c’est moi. ». Parce que d’un seul coup, on existe, dans cette position. Ce qui n'est pas bon non plus.

 

E.L. : Comment faire alors pour faire évoluer notre façon d'aborder ces sujets ?

C.F. : Je ne suis pas sociologue mais si on ne remet pas en question notre manière de penser les choses, ça va devenir compliqué. Il faut absolument repenser pleins de choses. On pourrait parler d’écologie, on pourrait parler de politique mais, et c’est ce que raconte le film, il faudrait déjà parler du rapport à l’intime. Déjà être capable de se parler les uns les autres, en toute franchise, en mettant toutes les cartes sur la table, les noires et les blanches, plutôt que de se montrer du doigt et de se cataloguer. Pourquoi on n’échange pas autour de ça pour essayer de se comprendre ? Ce film, je l’ai fait pour ouvrir le dialogue, pour créer un débat de société. Ce n’est pas un film qui dit : « lui c’est un méchant, elle c’est une victime et je vous donne une leçon. » Pas du tout. C’est un film où on entre dans la peau de Lyz, où l’on ressent ce qu’elle ressent et, ensuite, on va se demander ce qui s’est passé. Et si on en parlait tous ensemble ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qu’on a ressenti ? Et, moi, personnellement, qu’est-ce que j’ai vécu ? Qu’est-ce que j’ai expérimenté ? Et de cette manière-là, on peut parler des choses. Je n'ai pas du tout envie de cloisonner les choses, je ne suis personne pour donner une leçon, par contre j’avais envie, par l’émotionnel, de poser une question : Qu’est-ce qui s’est passé entre eux et en nous ?

 

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E.L. : Pour en revenir au film lui-même, quelles ont été tes inspirations artistiques et quels interdits t'es-tu imposé pour aborder ton histoire ?

C.F. : Je fais énormément de mood-boards que je partage très en amont avec Yann Maritaud, mon chef-opérateur. En général, il y a peu de scènes de films, il s’agit plus de références artistiques comme Hopper, Todd Hido, qui est un photographe américain, Bill Viola, qui fait des installations artistiques, pleins de choses qui n’ont pas grand-chose à voir avec le cinéma mais plutôt avec du visuel. Comme ça, quand on arrive sur le tournage, on a vraiment les couleurs du film, tout est un peu décidé et, à partir de là, on essaye de dessiner ce que sera l’esthétique du film.

J’aime les choses radicales, engagées aussi dans la forme et, du coup, j’aime bien les dogmes et je me suis donc décidée à être tout le temps dans le point de vue de Lyz, je me suis interdite de filmer autrement. J’adore ça, parce que la contrainte pousse la créativité et, du coup, les scènes de sexe, par exemple, sont filmées de la même manière que les scènes de ski. C’est le corps émotionnel qu’on filme. Et, à chaque fois, on est dans la tête de Lyz. Tout ce que ne vit pas Lyz ne m’intéressait pas, justement pour être dans cette radicalité de forme. Et puis, en termes budgétaires, ça arrangeait tout le monde aussi parce qu’on n’avait pas les moyens de filmer ce qu’il y avait autour.

 

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E.L. : A ce titre, l'utilisation de la musique dans le film est particulièrement intéressante...

C.F. : Ca a été un gros travail avec LoW Entertainment (collectif de compositeurs français). On a mis du temps à trouver la bonne tonalité. Il y avait un côté lyrique qui se prêtait à cette histoire, au fond un peu romanesque, et en même temps ça nous emmenait dans un truc un peu pathos, ce que je craignais. Le côté trop électro était pour moi trop connoté nappes d’aujourd’hui où c’est un peu toujours pareil. Je suis revenue finalement à ce que j’aimais, à cette tonalité années 80, j’adore les Pink Floyd, j’adore les guitares électriques, la b.o. de Midnight Express… Je leur envoyais ça et, en même temps, je leur balançais du Liszt et du Chopin. Tout comme il a fallu trouver la musique de Lyz mais aussi celle de la montagne, des éléments. Ca a vraiment été un gros travail.

 

Un grand merci à Charlène Favier pour sa disponibilité.  Slalom sera sur tous les écrans de cinéma à partir du 4 novembre prochain.

 

Affiche française

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commentaires
Debunk soft
10/10/2020 à 17:46

un ptit coup d'oeil sur sa page bio Charlene favier si c'est bien la même personne et des mots clé:
voyages/investissment Parlemnt europeen jeunes/exil Londres/Hymne aux marginaux/
jeunes quartier prioritaires/centre d'art contemporain/Femis/
"communaute hippie sur le Progres ...
donc déjà on comprends tout, mdr: et on anticipe déjà la trajectoire
parler de me too dans l'interview sans parler de la resolution des procedures a coup de dizaines de millions de dollars, me fait doucemenr rigoler quand on lit peu ,
Parler d'aimer les choses radicales quand on s'inscrit à fond dans la pensée des mondialistes, est tres radical en effet mdr
je me suis bien marrer en lisant la bio puis l'interview sur ecran Large, merci pour ce moment de detente