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Alien Romulus : pourquoi ce titre (et pourquoi il est parfait pour cette suite)

Par Judith Beauvallet
8 septembre 2024
MAJ : 20 novembre 2024
Cailee Spaeny dans Alien : Romulus © Canva Disney

Ce n’est un secret pour personne que la saga Alien fait régulièrement référence à la mythologie grecque, quitte à s’en inspirer parfois largement. C’est aussi le cas d’Alien : Romulus de Fede Álvarez, qui se tourne vers la mythologie romaine et ne porte pas le nom du fondateur de Rome pour rien. Petite analyse d’un titre bien choisi.

Lors de la sortie d’Alien : Romulus, plusieurs membres de la rédac attendaient beaucoup du film, que ce soit par adoration aveugle de la saga ou grâce aux premières images diffusées. Plusieurs se méfiaient aussi, parois pour les mêmes raisons. Les avis de l’équipe furent aussi divisés que ceux du public, entre les personnes conquises, comme Antoine ou Déborah qui ont proposé les critiques écrite et vidéo du film, et les personnes catastrophées, comme Geoffrey (qui veut qu’on arrête de toucher à son xénomorphe chéri).

Grosse prise de risque : ici, on va tout simplement accepter que le film a des qualités et des défauts.

Mais le sujet de cet article sera surtout de s’attarder sur un élément en particulier du film de Fede Álvarez qui est son sous-texte mythologique, résumé dans son titre. Explication de pourquoi “Romulus”.

Judith qui arrive avec son article de 15 000 signes

Mise en (mini-)bouche

Si je vais parler à la première personne dans cet édito, nouveau format qui permet de s’exprimer d’un point de vue plus personnel comme l’a précédemment fait Geoffrey, c’est parce que je peux difficilement ignorer les liens entre la réflexion que je vais produire ici et le travail que j’ai déjà pu faire hors Ecran Large sur cette question.

Parmi les personnes qui nous lisent, certaines savent peut-être que je tiens par ailleurs une chaîne YouTube et Twitch appelée Demoiselles d’Horreur, sur laquelle je propose des critiques et analyses centrées sur les films d’horreur portés par un personnage féminin. Ceci sera donc le prolongement d’une analyse consacrée à Ripley parue sur ma chaîne personnelle en 2021, et d’un stream critique consacré à Romulus la semaine de sa sortie en salles. Ces précisions faites, attaquons.

Au commencement, il y avait Ripley

S’il y a bien une chose qui me chagrine dans les suites faites au premier Alien, avant le retour de Scott avec Prometheus et Covenant, c’est bien l’abandon total du sous-texte mythologique qui, selon moi, fait du premier opus un chef-d’œuvre. Il est vrai qu’à l’époque, la référence était moins tartinée dans la figure du public puisqu’aucun nom grec ou romain ne venait faciliter l’identification de thèmes mythologiques dans l’histoire.

Ce qui ne veut pas dire que la chose n’avait jamais été relevée à l’époque, mais disons que c’est avec l’arrivée de Prometheus, de son titre évocateur et de sa réécriture pas très subtile du mythe de la création de l’homme, qu’il est devenu difficile d’ignorer la chose. Pourtant, le mythe de Prométhée était déjà fondamental dans le premier Alien. C’est toute la démonstration de ma vidéo, dont je ne vais pas retranscrire l’entièreté ici, mais au moins l’essentiel qui permettra de mieux comprendre le cas Romulus.

Ouvrir une page Wikipédia le soir sur son portable

Prométhée, c’est qui ?

Rappelons qu’il ne s’agit pas de dire que l’histoire d’Alien et celle de Prométhée sont superposables, car ça n’est absolument pas le cas. C’est la résonance des grandes thématiques et des enjeux, qu’il faut voir. Pour ce faire, petit rappel de ce qu’est, dans les grandes lignes, le mythe de Prométhée.

Ce bon Propro est connu pour trois choses en particulier, ici grossièrement résumées :

Heinrich Fueger peint sa version de Prométhée apportant le feu à l’humanité (détail), 1817
  • La création de l’Homme : au moment où son frère un peu impulsif (et un peu concon) Epiméthée est chargé de créer des formes de vie sur Terre, cet incapable donne tout aux animaux pour survivre (fourrure, griffes, crocs, ailes…), tant et si bien qu’il ne lui reste rien à donner aux hommes, absolument pas conçus pour survivre dans la nature. Prométhée, plus intelligent et réfléchi, créé alors lesdits bonshommes à partir de boue (état premier qu’il m’arrive personnellement de retrouver quand j’essaye de me lever le matin), et lui donne le don de pouvoir se tenir sur ses deux jambes.
  • Le vol du feu : toujours dans l’idée de favoriser les Hommes qu’il trouve super attachants (allez savoir pourquoi), Prométhée vole le feu aux dieux pour l’offrir aux humains. Ainsi, ces chers bipèdes vont pouvoir apprendre la métallurgie et développer la technologie qui fera leur spécificité et leur puissance. De quoi compenser la faiblesse physique des Hommes suite à la bourde d’Epiméthée.
  • Le foie bouffé par un piaf : Zeus, à la suite de nouvelles offenses dont je vous épargne le récit, commence à en avoir sérieusement marre du titan qui semble vénérer les Hommes plus que les dieux. C’est pourquoi il le condamne à être enchaîné à un rocher pour l’éternité, et à se faire dévorer chaque jour le foie par un aigle (l’organe repoussant à chaque fois pour mieux être de nouveau arraché le lendemain). N’hésitez pas à dire en commentaire si vous avez aussi déjà usé de ce châtiment sur les gens pénibles. Rassurez-vous : Prométhée sera plus tard délivré par Héraclès.
Ripley aussi se barre avec la flamme sacrée

Quel rapport avec Alien ?

L’histoire du foie est la plus gore et la plus fun, mais c’est aussi celle qui nous intéresse le moins ici, à part si on choisit d’y voir un clin d’œil dans l’image des bébous xénomorphes qui percent des cages thoraciques. Mais revenons à nos moutons extraterrestres : dans Alien, il est facile de voir dans le gentil mais imprudent Dallas une incarnation d’Epiméthée, et dans la stratégique et rationnelle Ripley, une version de Prométhée. Le capitaine et sa seconde sont responsables de leur équipe et, par la suite, du sort de l’humanité face à la possibilité que l’alien puisse finir par arriver sur Terre.

L’opposition de leurs deux caractères est évidemment résumée au mieux dans la fameuse séquence où Dallas veut faire entrer l’expédition contaminée dans le vaisseau et que Ripley s’y oppose. Après que le capitaine a échoué à protéger son équipage et l’avenir de la planète, c’est Ripley qui prendra pour assurer la survivance de l’espèce, tout comme Prométhée. A la suite de la longue course-poursuite au centre de laquelle figure le feu sacré au bout du lance-flamme de Ripley, subsistance de défense technologique dans un environnement devenu entièrement hostile et organique, il y a le fameux affrontement final qui résume tout l’enjeu d’un Prométhée.

Dallas fait n’imp, comme d’hab

Ripley, quasiment à poil, symbolise la vulnérabilité totale du corps humain, là où les nombreux inserts sur les griffes et les dents du xénomorphe planqué représentent son statut de super-prédateur ultra-adapté à la survie dans la nature. En revêtant sa combinaison de cosmonaute, dont le montage met les tuyaux en parallèle avec le corps noueux du xénomorphe, Ripley se pare de ce qui représente le pouvoir technologique de l’homme, sa capacité d’apprentissage, sa rationalité… En somme, tout ce qui a été apporté aux humains comme moyens de défense par le feu offert par Prométhée.

Ainsi, Ripley se débarrasse du xénomorphe, et assoit la puissance des humains et leur survie, dans un final où elle est à la fois le créateur Prométhée et l’objet de sa création qui naît au monde. Lorsqu’elle lève les yeux vers le hublot qui lui montre les étoiles, on pense à ce qu’Ovide écrivait au 1er siècle dans Les Métamorphoses, au sujet de la création des Hommes par le titan :

L’homme, distingué des autres animaux dont la tête est inclinée vers la terre, put contempler les astres et fixer ses regards sublimes dans les cieux. Ainsi la matière, auparavant informe et stérile, prit la figure de l’homme, jusqu’alors inconnue à l’univers.

Ripley fixe ses regards sublimes dans les cieux, là

Et Romulus, dans tout ça ?

Et c’est enfin là que je vais faire le lien avec Romulus. Oui, désolée, ce fut un peu long. Toutes les personnes ayant vu Romulus auront remarqué la lééégère tendance du film à faire très subtilement référence aux autres opus de la saga, notamment lors de la confrontation finale entre Rain et l’Offspring, qui reprend presque plan par plan ce fameux climax entre Ripley et le xénomorphe dans le film originel. Si le procédé peut sonner très fan-service et s’avérer quelque peu pesant, il faut reconnaître qu’il a thématiquement beaucoup de sens.

Là où Alien parlait de la naissance de l’humanité en soi (symboliquement et non pas chronologiquement, bien sûr), Romulus arrive pour s’emparer cette fois-ci de la mythologie romaine et parler du stade suivant de l’évolution : l’apparition de la civilisation. C’est d’ailleurs posé dès l’introduction du film qui prend le temps, pour la première fois dans la saga, de nous montrer à quoi ressemble la société humaine (et autoritaire) de l’univers d’Alien à terre. C’est donc le mythe de Romulus et Rémus qui vient servir de sous-texte à ce discours nouveau mais dans la continuation logique de celui du premier film.

On vit dans une société

Petit résumé grossier de ce pourquoi Romulus et Rémus sont connus (en tout cas les éléments qui nous intéressent), afin de mieux comprendre le sens du film :

  • Les fils de Vulcain le coquin : les jumeaux Romulus et Rémus sont les rejetons d’une vestale, Rhéa Silvia, et du dieu Mars ou de Vulcain (selon les versions). Une chose est sûre : plusieurs de ces variantes mentionnent que la conception des enfants se fit alors que le père, Mars ou Vulcain, donc, s’est “manifesté” à la mère sous l’apparence… d’un chibre volant. Ne boudant pas son plaisir de tomber sur un sextoy gratuit, la vestale se serait alors unie au braquemart magique et serait tombée enceinte.
  • Élevés par une louve : le tonton des jumeaux, craignant que ceux-ci ne lui piquent son trône à l’âge adulte, aurait ordonné de les jeter dans les eaux du Tibre. Mais les marmots, recueillis par une louve, seront protégés et allaités bien au chaud. Dans d’autres versions (elles sont nombreuses), la louve serait même la mère biologique des jumeaux.
  • Romulus tue son frangin : à l’âge adulte et lors d’une dispute précédant la fondation de Rome, Romulus aurait tué Rémus. Dans d’autres versions, Rémus est tué par quelqu’un d’autre, mais c’est cette hypothèse qui est ici la plus pertinente.
  • Romulus fonde Rome : le jumeau restant aurait bâti les fondations de l’actuelle capitale italienne à l’endroit où son frère et lui auraient passé leur enfance, et en aurait fait une cité pour les esclaves et les mendiants cherchant une vie nouvelle. Rome (quitte à créer un patelin, autant l’appeler d’après soi-même) serait ainsi devenue la ville des hommes libres, et de fait un certain renouveau de la civilisation, si ce n’est le point de départ de la civilisation moderne.
La Louve du Capitole allaitant Romulus et Rémus, emblème de Rome

Quel rapport avec Alien : Romulus ?

C’est avec beaucoup de regret que j’annonce directement que le détail du manche flottant n’a pas vraiment d’importance pour comprendre Alien : Romulus, si ce n’est que ce détail révélateur de la teneur souvent très sexuelle des mythes gréco-romains trouve un écho dans l’érotisme pervers incarné par les xénomorphes. Ce qui m’intéresse davantage, c’est la mention de la louve qui, à part le mérite d’avoir nourri et protégé les deux mioches, fait surtout office de symbole dans cette histoire.

Tout du moins, dans la version la plus répandue selon laquelle il s’agit bien d’une louve, et non pas d’une prostituée. La louve représente une puissance animale redoutée par les ennemis étrusques et deviendra donc l’emblème de Rome. C’est là que les choses deviennent intéressantes (enfin, je crois), parce que si cette double origine de Romulus et Rémus, nés humains mais élevés par une louve, est au fondement de la civilisation moderne selon la mythologie, dans Alien : Romulus, l’idée de grossesse et de naissance croisée entre humain et xénomorphe est au cœur du récit.

Film d’horreur ou scène d’accouchement ? Les deux, mon capitaine.

Comme je l’expliquais un peu plus haut, dans le premier film et notamment lors de son climax, l’alien représente la force naturelle et animale ultime face à la technologie de l’homme. La puissance du xénomorphe et de la louve se répondent donc, et peuvent être vues comme l’antinomie de l’humanité ou comme son parent, comme sa chance d’être complétée. C’est exactement ce que cherche à faire la Weyland-Yutani, notamment dans ce Romulus, où l’accent est encore davantage mis (en comparaison de Résurrection) sur les possibilités d’allier ADN Alien à ADN humain.

Certes, l’intervention de l’animalité auprès de l’enfant se fait durant la grossesse via l’injection du sérum, et non pas à l’allaitement comme avec la louve, puisque la jeune Kay se retrouve à accoucher dans une flaque de sang d’un monstrueux bébé qui deviendra l’Offspring en moins de temps qu’il ne faut pour dire “le droit à l’avortement est une mesure sanitaire”.

Chérie, on fait un enfant ?

Dispute entre frère et sœur

On est loin du tableau presque bucolique de la douce louve qui léchouille des joues potelées, et on est évidemment beaucoup plus dans une réécriture torturée, horrifique et sanglante de la manière dont se télescopent humain et animal/monstrueux (il fallait bien, d’ailleurs, après avoir tant essoré le mythe de Prométhée, que la saga tente de nouveau de représenter un tel monstre né de l’hubris des hommes, tout comme Mary Shelley l’avait fait avec Frankenstein, sous-titré “Le Prométhée moderne”).

Ce qui importe, c’est le fait que le film pose la question de ce choix d’une nouvelle forme de vie, et, alors que les personnages tentent de fuir vers la liberté et une planète nouvelle (l’équivalent futuriste de Rome), ce choix d’une nouvelle forme de civilisation. Comme deux faces d’une même pièce marquée par une rencontre douloureuse entre humain et xénomorphe, Rain et l’Offspring s’affrontent donc comme étant les deux chemins que l’humanité peut emprunter à ce moment-là, exactement comme dans le premier film.

La rencontre humain/monstrueux version Jeunet

Mais il s’agit ici de deux enfants (dans le sens où Rain est très jeune et déterminée par son statut d’orpheline, et que l’Offrspring vient de naître et est encore le seul de son espèce) dont l’enjeu est la civilisation plutôt que l’existence. Pour rappel : je disais au début que cet enjeu de la civilisation est explicité dans la séquence d’introduction, et à mon sens, ces premières images agissent en sous-texte de toutes les actions qui se déroulent dans la dernière partie.

Cet affrontement final entre Rain et l’Offspring peut donc, il me semble, être vu comme une réminiscence du combat qui entraînera la mort de Rémus (l’Offspring) et conduira Romulus (Rain) à construire la cité des hommes libres.

Le Rain de Romulus est arrivé

En conclusion

Tout comme pour Prométhée et le premier film, il ne s’agit pas de chercher à faire correspondre tous les points de l’histoire, comme si le scénario copiait la mythologie dans ses moindres recoins. Ça n’est absolument pas le cas.

Il s’agit de dégager les grandes thématiques qui entrent en résonance pour mieux comprendre l’intention profonde du film, et la manière dont les œuvres d’aujourd’hui sont pétries des histoires qui ont conditionné notre compréhension du monde depuis des siècles. La présence du mythe n’est pas que théorique dans le film de Fede Álvarez, puisque la statue de la Louve du Capitole est représentée sur l’une des portes de la station et apparaît clairement à l’écran, et que cette station est scindée en deux morceaux jumeaux, l’un appelé Romulus et l’autre Rémus.

On vit dans une société

La dualité, la gémellité, la symétrie dans la différence sont donc recherchées dans la nature même du décor, avant que ces thématiques ne deviennent le fond de tout le dernier acte.

Je concède volontiers qu’Alien : Romulus souffre de nombreux défauts qui n’étaient pas le sujet de cet article, et parmi ces défauts figure évidemment l’avalanche de références et de fan-service. Mais parmi ces redites, celle de la fin du premier film possède, je pense, un véritable sens. Redite oui, mais continuation aussi.

C’est cette compréhension des véritables enjeux du film de Scott et cette intégration véritable de la mythologie dans son récit qui font que, selon moi, si Romulus n’est pas le meilleur film de la saga post-Alien, il en est bien la meilleure “suite”, car à la fois la plus cohérente et la plus pertinente vis-à-vis de son sens profond.

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robindevaux

Pour le coup je suis vraiment en désaccord. J’ai été très déçu par ce film qui ressemble plus à une attraction à thème qu’à une oeuvre. Tout ce fan service ma laissé exangue! Chouette chronique cela dit 🙂

batmalien

Soit c’est la raison du titre, soit il fallait juste un titre en 7 lettres pour le 7ème film.
 ㅤㅤㅤㅤㅤㅤㅤ 
Le 8ème film s’appellera donc ALIEN: RECYCLES, comme ça il y aura 8 lettres et les intentions du films seront plus honnête ♻️

FranckD

C’est vraiment en marge de l’article, mais il vient d’ou le running gag « on vit dans une société » ? j’arrive pas à trouver et je le vois souvent (comme dans cet atircle)
J’ai l’impression d’avoir loupé un truc..

Marc en RAGE

Le titre aurait pu être ALIEN EXODUS , l’histoire c’est RAIN et ces amis qui veulent quitter cette planète .

zurdo

Bravo Judith, édito hyper interessant, j’aime beaucoup ce format et ce type d’analyse!