Peter Greenaway : d'Eisenstein à Rembrandt une carrière entre Eros et Thanatos

Jean-Luc Hassaique | 8 juillet 2015
Jean-Luc Hassaique | 8 juillet 2015

Malgré une œuvre foisonnante et d’une richesse graphique exceptionnelle, Peter Greenaway est loin d’être un des auteurs britanniques les plus (re)connus chez nous. C’est que son œuvre semble sur le papier particulièrement diverse, voire éparpillée. Mais à mieux y regarder, c’est un corpus lumineux et très cohérent qui nous apparaît, dont la focalisation sur Eisenstein qu’il propose aujourd’hui avec son nouveau film semble parfaitement logique.

Quel rapport entre Meurtre dans un Jardin Anglais et Que Viva Eisenstein ? Quelles sont les passerelles entre un polar venu d’outre-Manche et le faux biopic délirant d’un cinéaste soviétique devenu une légende du Septième Art ?

 

La création au cœur du dispositif

Si Meurtre dans un Jardin Anglais est une sorte d’enquête morbide menée par un peintre chargé de réaliser douze tableaux d’une propriété anglaise (chacun lui valant de coucher avec la maîtresse des lieux), c’est bien l’acte créatif qui est au centre du récit. Le geste de l’artiste, qui dévoile une vérité cachée – ici un assassinat – tout en se faisant moteur de l’intrigue.

Il en va de même dans La Ronde de Nuit, passionnante digression autour d’un tableau de Rembrandt, dont l’analyse dévoilerait le secret d’un meurtre. À nouveau, l’artiste, le plasticien, révèle une vérité cachée, enfouie, par ses seuls actes et l’analyse de ceux-ci.

C’est la même logique qui anime The Pillow Book, où le tatouage et la calligraphie ne servent pas tant à décorer la peau qu’à en souligner les passions, qu’à en précipiter les pulsions. Enfin, dans Que Viva Einsenstein, cette idée prend finalement tout son sens. Que se cache donc derrière le film avorté et jamais terminé du maître soviétique ? Et si son grand œuvre perdu à jamais n’était qu’un mirage dissimulant un plus grand secret ?

Ainsi, si Eisenstein ne peut achever Que Viva Mexico ! c’est parce qu’en lieu et place d’accomplir un film, il accomplit sa vie et se révèle à lui-même.

 

Mort à l’arrivée

Thanatos n’est jamais bien loin chez Peter Greenaway, ou comme évoqué plus haut, la mort rôde toujours aux côtés de la création. Ainsi, l’enfant miraculeux de Baby of Mâcon ne peut que naître dans le contexte d’une épidémie monstrueuse, tandis que derrière chaque tableau, c’est toujours un meurtre qui se dissimule ou se révèle.

Une idée peut-être héritée de la fascination des années 70 pour l’image manipulatrice, dont la réalité se dérobe au fur et à mesure que l’œil de la caméra/spectateur s’y plonge. On pense ainsi au photogramme de Blow up, au reflet trompeur des Frissons de l’Angoisse. L’image cache toujours une petite mort.

Le concept grandit encore avec Que Viva Eisenstein, où le héros découvre littéralement Le Jour des Morts au cœur du Mexique. Une plongée dans la ritualisation du trépas qui, paradoxalement va l’entraîner vers ses propres pulsions de vie, ses élans et la découverte de son corps.

 

Eros triomphant

On pourrait croire à lire ce qui précède que Peter Greenaway est essentiellement un théoricien plastique, un explorateur de l’histoire de l’art. Mais ce serait faire l’impasse sur une dimension essentielle de son cinéma : le corps, sa jouissance, la prise de pouvoir par Eros.

Une des images les plus iconoclastes et réjouissantes de Que Viva Eisenstein est ainsi un drapeau Soviétiques fièrement planté dans le postérieur de l’artiste. The Pillow Book aura fait frissonner de sensualité un petit paquet de cinéphiles, tandis que le récent Goltzius et la Compagnie du Pélican parlait essentiellement de la représentation de l’érotisme. Chez Greenaway, les costumes, les poudriers et les collerettes n’ont pas le temps de prendre la poussière, ils ne sont que les ambassadeurs d’un temps où la création, la réflexion et l’art pouvaient encore être au centre du monde. Des temps mythologiques où le réalisateur est libre de laisser travailler son imagination jusqu’à provoquer de véritables catharsis sensuels.

 

Ainsi, on comprend que l’arrivée d’Eisenstein dans sa filmographie est d’une cohérence parfaite. Artiste de l’image, aux créations matricielles pour des générations de réalisateurs, il demeure un homme impénétrable, un mystère. On soupçonne sans pouvoir tout à la fait la corroborer son homosexualité, on devine derrière ses échecs et aventures autant de bouleversements intérieurs.

Rien de surprenant dès lors à ce que Peter Greenaway, comme il l’expliquait à Télérama en mars 2015, envisage de consacrer une trilogie au réalisateur, ainsi qu’un quatrième film organisé sous forme de sketch narrant les rencontres du maître avec différents artistes au cours de sa carrière.

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