Dwayne Johnson : un nouveau shérif à Hollywood

Guillaume Meral | 27 mars 2013
Guillaume Meral | 27 mars 2013

 Il y a des acteurs comme ça, dont la simple présence sur l'affiche d'un film suffit à évoquer chez vous un sentiment de familiarité immédiat et proportionnel à la musculature hypertrophiée de l'intéressé. Ce même sentiment qui vous conduit dans la salle dudit métrage pour guetter, avec le reste d'une salle chauffée à blanc, les apparitions de la force de la nature dont la perspective du déploiement à l'écran justifie à elle seule votre déplacement. Dwayne « The Rock » Johnson fait partie de cette catégorie très restreinte de comédiens vous donnant spontanément envie d'aimer un film sur la seule foi de son évocation au générique. Celle à laquelle appartenait les action hero d'antan, et de laquelle se réclame légitimement Johnson qui, à l'instar de ses modèles (Arnold Schwarzenegger en tête), doit une grande part de sa popularité à sa capacité innée à dompter le rythme d'une scène pour imposer le sien, où à centraliser l'attention autour de sa seule personne, comme si sa présence était vectrice d'enjeux en soit. Communément, on appelle ça un voleur de scène, médiatiquement un showman inné (rappelons que le monsieur est champion de catch avant d'être acteur), et pour les cinéphiles biberonnés aux 80's en manque de mastodontes bigger than life, une raison pour laquelle la vie vaut la peine d'être vécue. A l'occasion de la sortie de G.I Joe : Conspiration,  retour sur la carrière du nouveau roi d'Hollywood, dont l'année 2013 pourrait bien signer l'avènement sur un trône qui lui revient de droit.

 

Pourtant, Dwayne Johnson faillit bien ne jamais croiser les plateaux de cinéma, si une blessure à l'épaule n'avait empêché sa carrière de footballeur professionnel de se concrétiser, à une époque où il était considéré comme un sérieux espoir universitaire. En guise de roue de secours, il emboîte les pas de son père et son grand-père en se reconvertissant dans le catch professionnel, carrière qu'il fera fructifier à travers un palmarès impressionnant, achevant de le consacrer comme l'un des lutteurs les plus populaires de la WWE, la ligue majeure de ce sport. Une notoriété qui ne tarde pas à éveiller l'intérêt d'Hollywood qui se met très vite à lui faire des appels du pied, à plus forte raison à une période où la suprématie de la plupart des vétérans du cinéma d'action des années 80 commence à être sérieusement remise en question. De fait, alors que Sly et Arnold ne font plus recette (surtout le premier), l'enjeu réside moins dans la sélection d'un successeur susceptible de perpétuer la recette que dans la recherche d'un homme providentiel, capable de relancer l'intérêt du public pour un genre auquel il commence à se désintéresser.

Dès lors, malgré les quolibets automatiques que ce genre de démarche implique, il n'est guère étonnant que les producteurs aient jeté leur dévolu sur une star du catch, dans la mesure où cette discipline-spectacle s'apparente à bien des égards à une forme de théâtre antique, dans lequel chacun des belligérants ne fait que rejouer les rivalités déchirant l'Olympe en fonction du rôle endossé. Une véritable usine de performer en somme, sorte de Saturday Night Live pour les cous de taureaux, dans lequel l'affrontement se cristallise au moins autant dans les performances scéniques que sur le ring. Se démarquant naturellement des autres, Johnson était le candidat idéal pour les producteurs, qui ne manquaient pas d'y voir la relève d'Arnold Schwarzenegger, autre force cinégénique à la stature évocatrice. C'est ainsi qu'après quelques apparitions TV (notamment dans un épisode de la série That's 70 Show, où il joue le rôle de son propre père), sa première apparition sur grand écran s'effectue avec Le retour de la momie, prototype de la suite bigger and louder (mais pas better), dans laquelle il incarne le méchant en titre. En tous cas le temps d'un prologue de 10 minutes (une doublure numérique prenant en charge sa nouvelle enveloppe corporelle lors du climax), au cours duquel son magnétisme naturel, associé à cette arrogance souveraine glanée sur les rings, suffit à rendre le test concluant pour les producteurs, qui se pressent d'annoncer un spin-off sur son personnage.

C'est le départ d'une opération de conquête du public dont le but, ostensible mais inavoué, est véritablement d'imposer Johnson comme le nouveau Schwarzy dans l'inconscient collectif. Pour cela, quoi de mieux que d'émuler le parcours du chêne autrichien pour solliciter la filiation ? Un film d'héroic fantasy pour son premier « premier rôle » (Le roi scorpion), un film d'aventures semi-parodique dans lequel Governator vient lui passer le relais en personne (Bienvenue dans la jungle), et une série B redneck (Tolérance zéro). Problème : mis à part Le roi scorpion, aucun des films ne rencontre les résultats escomptés et surtout, la feuille de route minutieusement préparée se heurte violemment à la réalité conjoncturelle à laquelle il fait face. A savoir que The Rock a beau arpenter le chemin inauguré par Schwarzy, encore faut-il mesurer le changement entre les deux époques. De fait, Le roi scorpion tient plus de Kalidor que de Conan le barbare, l'art du décalage parodique d'un True Lies est noyé au sein d'une succession de figures de style interchangeables dans Bienvenue dans la jungle, et sans la violence débridée d'un Le contrat pour éponger sa morale réac sentencieuse, Tolérance zéro se borne à son statut de bidon de lessive dont l'orientation family-friendly contredit la nature même du projet.

En définitif, la marque de fabrique The Rock se heurte aux mutations conjointes des attentes du public et de l'industrie en ce début de millénaire. Or, plutôt que de persister dans une fuite en avant qui l'aurait sans doute mené dans le purgatoire du DTV à moyen-terme, Johnson fait très vite le choix du contre-emploi en jouant un garde du corps homosexuel dans Be Cool. Dans cette suite de l'excellent Get shorty, complaisante jusqu'à la crispation envers ses numéros d'acteurs inégaux, The Rock est clairement celui qui tire son épingle du jeu, faisant preuve d'une autodérision doublée d'un tempo comique surclassant d'emblée celui du chêne autrichien (sans oublier son jeu de sourcils absolument imparable). En amalgamant consciemment sa courte carrière d'acteur à ses années de catcheur, Johnson casse son image comme s'il avait dix ans de métier derrière lui. Autrement dit, il extrapole sa popularité en s'imposant comme la principale attraction du film de F. Gary Gray (on reconnait déjà sa propension à accaparer l'attention de l'auditoire dans un contexte pourtant très concurrentiel). C'est pourquoi après un dernier détour par le genre à jouer les bidasses ultra-belliqueux au côté de Karl Urban dans Doom, le nanar fun d'Andrzej Bartkowiak, The Rock entreprend consciemment son virage à 180°degré, désireux d'être reconnu comme un acteur à part entière. D'où ses deux films suivants, reflets sans équivoque de sa volonté d'entériner cet état de fait. Le premier en jouant la carte de la mise en abyme labyrinthique (qui extrapole une  nouvelle fois sur sa carrière) dans un véritable kaléidoscope de pop culture avec Southland Tales, le second en tapant dans le drama hollywoodien gorgé de bons sentiments avec Rédemption.

Si ces deux tentatives ne rencontrent que peu d'échos, elles reflètent néanmoins la volonté du rocher de se débarrasser de l'ombre envahissante que son statut d'action star prématurée peut faire peser dans sa perception par le public. Ainsi, alors que Dwayne Johnson commence à être pris au sérieux en tant qu'acteur, il s'attèle à devenir plus accessible. Et conformément aux leçons préconisées par Schwarzy (à croire qu'on ne s'émancipe jamais totalement de ses modèles), quoi de mieux que la comédie -familiale de préférence- pour jouer sur le décalage entre son armature de char d'assaut et les situations incongrues dans lesquelles il se retrouve ? Encore que le modèle Schwarzenegger se retrouve quelque peu subverti par Johnson, qui accuse une perte de masse notable avec les années, comme s'il voulait faire en sorte que sa carrière d'acteur ne soit plus tributaire de sa réputation antérieure de monsieur muscle monolithique. D'où une série de films plus ou moins interchangeables aux titres évocateurs (Maxi Papa, La montagne ensorcelée, Fée malgré lui) quand à la nouvelle vocation de Johnson, qui pousse l'exercice jusqu'à participer à une œuvre (Very bad cops, sans doute son incursion la plus mémorable dans le genre à ce jour) prenant ouvertement acte de l'obsolescence de la figure de l'action hero dont il était appelé à devenir un nouvel étendard à ses débuts. 

Ironiquement, c'est pourtant son rôle dans Very bad cops qui semble impulser le retour de l'acteur à ses premiers amours. Comme si Johnson, en tuant symboliquement le genre dans ses représentations les plus antédiluviennes (voir la scène anthologique du saut de l'ange), acceptait désormais de devenir l'un des artisans de sa résurrection. C'est ainsi que peu après que le carton inespéré de The expendables ne rouvre une fenêtre d'exploitation que l'on croyait condamnée, celui qui exige désormais de se faire appeler par son patronyme déboule avec Faster, que l'intéressé résume en ces termes : « Je voulais faire un film d'hommes où les problèmes sont réglés par les hommes ». Davantage qu'un retour par la petite porte aux affaires pour Johnson, Faster est surtout l'occasion pour l'acteur de se confronter directement avec sa hantise professionnelle. Monolithe taillé à la serpe et caractérisé à l'aune de son aura iconique et du caractère rectiligne de sa quête vengeresse, le conducteur incarne la quintessence archétypale du rôle que l'on rêvait de le voir endosser. Mais l'ancien champion de la WWE, plus massif que jamais, fait mieux que jouer la partition attendue : par son langage corporel, l'impatience difficilement contenue de sa démarche, Johnson pose petit-à-petit un voile de transparence sur la dépendance de son personnage à ses instincts primaires. D'instrument de mort suprême, son corps devient ainsi la représentation d'une cage essayant tant bien que mal de canaliser le fauve enragé essayant d'en sortir, au point de mettre son humanité dans la sellette. Revendiquer son image la plus réductrice comme condition suprême de sa propre transcendance : pas mal pour une petite série B des plus sympathiques (malgré un dernier tiers baignant dans une contrition moralisatrice du plus mauvais effet), qu'une promotion mensongère a malheureusement réduit à un énième ersatz de Fast and Furious.

D'une certaine façon, Faster incarne le film de la renaissance pour Johnson, véritable born again pour l'occasion ; comme si toutes ces années passées à fuir sa nature l'avait conduit sur le meilleur chemin pour affirmer son individualité au sein d'un destin qu'il a longtemps refusé. L'élu est revenu du désert, la prophétie est sur le point de s'accomplir, et Johnson de se voir propulsé en nouveau M. Loyal de ce qu'Hollywood peut compter de franchise testostéronée. Ainsi, tout en se payant le luxe de persister dans le film familial avec le très sympathique Voyage au centre de la terre 2, franchissant au passage pour la première fois la barre des 100 millions de dollars avec son seul nom en tête d'affiche, Johnson devient la valeur ajoutée de chacune des productions dans lesquelles il se retrouve impliqué. Soyons clair : c'est sur la base de son imposante présence que Fast five peut prétendre accéder au statut d'actionner à part entière, lui qui écrasait un Vin Diesel en sous-régime à chacune de ses apparitions. C'est également sa participation à G.I Joe 2, et la perspective de le voir défourailler du bad guy un énorme gun à la main qui justifie une grande part de l'attente crée par le film de Jon Chu.

Bref, cette capacité unique à accaparer les spotlights, cette mentalité de compétiteur scénique forgée par le catch, Dwayne Johnson la met enfin au service du genre pour lequel il est taillé. Et ce n'est que le début : outre son retour dans Fast and Furious 6 (et en attendant le spin-off sur son personnage), Johnson sera également au générique de Pain and gain avec Mark Wahlberg, l'OFNI annoncé de Michael Bay. Dire que l'on attend la rencontre de ces deux prototypes de la démesure relève de l'euphémisme. On se contenterait déjà de toutes ces mirifiques promesses, mais il y a fort à parier que ce n'est que le début de ce que nous réserve M. Dwayne Johnson.

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