Oliver Stone, contestataire reconnu, idéaliste mal perçu [Partie 3]

Guillaume Meral | 5 octobre 2012
Guillaume Meral | 5 octobre 2012

Les années 90 constituent un indicateur révélateur de l'évolution du statut d'Oliver Stone durant cette période.  En effet, dans une époque où la notion même de réalité constitue une donnée malade face à sa perception conditionnée par une circulation hystérique des images, ses films visent à faire jaillir une part de vérité en confrontant ces images entre-elles, le montage devenant dés lors l'outil permettant d'arbitrer cette profusion. De fait, l'Oliver Stone des années 90 peut se voir comme le voisin d'un Paul Verhoeven, dans sa propension à mettre en exergue les forces à l'œuvre au sein même de l'image sans pour autant contrevenir au plaisir émanant de son contenu archétypal (le discours galvanisant d'Al Pacino à destination de ses troupes lors du climax de L'enfer du dimanche en constitue peut-être l'exemple le plus éloquent). D'une certaine façon, il s'agit presque d'extraire son sujet des artifices aliénant qui lui sont apposés, pour permettre à ses figures de renouer avec l'idée de pureté paroxystique traversant sa filmographie.

 


                                                

Cependant, l'épilogue de L'enfer du dimanche l'annonçait, Stone ne croyait plus au jusqu'au boutisme compulsif qui le caractérisait jusque-là. De fait, le traitement d'Alexandre se révèle symptomatique du changement de fusil d'épaule du réalisateur. Sur le papier, la mise en chantier d'un projet sur Alexandre le Grand à cet instant précis de sa carrière tient de l'évidence, tant le personnage, Stonien en diable, condensait toutes les obsessions égrenées antérieurement par le cinéaste, alors au sommet de ses possibilités artistiques. Mais en lieu et place du  portrait plein de bruit et de fureur que l'on pouvait attendre,  Stone se concentre sur le panel de névroses rongeant l'homme au point de quasiment démystifier les accomplissements du conquérant, même si le director's cut corrige partiellement ces travers, en équilibrant davantage sa volonté de confronter la condition humaine aux mythes qui la structure et l'écrase à la fois.  Même les fulgurances formelles inhérentes au réalisateur accentuent ici le poids de la réalité sur la représentation mythologique, tel ce fondu au rouge intervenant au cours d'une bataille décisive, contaminant la légende par la violence inouïe de l'instant. Dés lors, on ne s'étonnera guère que le narrateur joué par Anthony Hopkins semble agir comme la caution épique d'un récit s'échinant pourtant à dresser un constat auquel son personnage tente mollement de contrevenir : l'homme n'est pas à la hauteur de son archétype.



L'échec du film aurait profondément affecté Stone, à en juger par la retenue (pour ne pas dire l'inhibition) avec laquelle il aborde World Trade Center, antithèse absolue d'Alexandre, à en juger par sa volonté manifeste de se placer en retrait d'une tragédie sans doute trop fraîche dans les esprits pour en questionner de front la représentation dominante. Surtout, le film marque une relative errance artistique de sa part, dans la mesure où la mutation de sa vision du monde rencontre quelques difficultés à se conceptualiser dans un formalisme prompt à traduire cette évolution. Problématique qui trouve son dénouement avec W. L'improbable président, qui marque l'ouverture d'un nouveau cycle artistique du réalisateur qui, s'il peut prêter le flanc à la polémique chez ses fans de la première heure, n'en demeure pas moins cohérent quand à son évolution personnelle. Stone décomplexe ici ce qui  apparaissait déjà par soubresauts dans Alexandre, à savoir sa volonté d'investir l'univers du soap en subvertissant son tissu narratif par la densité de ses enjeux thématiques. Ainsi, W. L'improbable président et Wall Street - L'argent ne dort jamais, plongent à bras ouverts dans les méandres des sagas familiales et s'accaparent les ingrédients propre au genre : histoires d'amours contrariées, trahisons filiales, fragilité de structures familiales gangrénées par un passé tumultueux ... Autant de codes permettant à Stone de s'attaquer à une figure inédite de son cinéma:  l'icône fissurée par le temps, l'archétype qui n'en est pas (plus) un (le président  improbable de W. L'improbable président, le Gordon Gekko essoré de Wall Street - L'argent ne dort jamais). Dés lors, quoi de mieux que la famille comme microcosme dramaturgique pour permettre au cinéaste de traiter son thème, et d'excentrer un propos toujours prompt à s'emparer des sujets qui fâchent : l'ascension au pouvoir d'un des présidents les plus controversés des Etats-Unis avec W. L'improbable président, la crise financière pour Wall Street - L'argent ne dort jamais. De fait, l'impact de ces deux films réside précisément dans leurs capacités à exacerber à l'aune de leurs conséquences sur le monde extérieur la portée des conflits traversant les cellules familiales dépeintes. Sa mise en scène est l'avenant: Stone ne cherche plus à distordre l'image jusqu'à son point de rupture, et adopte un formalisme davantage prompt à fluidifier des narrations particulièrement dialoguées. Autrefois expérimentateur avant-gardiste, Stone est devenu un filmeur de dialogues chevronné.

 


Bien qu'il fasse de l'œil à de nombreux égards à certains des titres phares de sa filmographie (Tueurs nés et U-turn en tête), Savages continue ce qu'Oliver Stone  avait entamé avec W. L'improbable président. Ici, les codes du film criminel pur et dur se diluent à mesure que la narration ne rende confuse la grille hiérarchisant les motivations des personnages, amenés progressivement à patauger dans un univers de soap sous stéroïdes, dans lequel leur humanité érode les archétypes qu'ils incarnaient initialement. Un constat qui ne saurait être plus clair à la lueur du sens véhiculé par la double-fin du film, résonnant comme un appel du réalisateur passé à son public afin que celui-ci tire le deuil de sa filmographie passée. Au fond, Stone se montre une nouvelle fois parfaitement en osmose avec une époque qui ne croit plus en ses archétypes, reléguant ainsi son idéal passé de pureté au rang de  mythe inaccessible. La radicalité et l'extrémisme s'appliquent désormais aux mythes, pas aux hommes qui ne parviennent plus à en véhiculer la représentation. 


 

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