Nos Friedkin préférés

Perrine Quennesson | 8 septembre 2012
Perrine Quennesson | 8 septembre 2012

A 77 ans, William Friedkin continue de démontrer avec maestria à quel point l'âge ne joue pas sur les qualités d'un cinéaste lorsque celui-ci démontre une envie hors du commun de continuer à faire le cinéma qu'il affectionne. Sorti ce mercredi, Killer Joe est ainsi un sacré moment dans la carrière du réalisteur et offre l'occasion à la team EL de revenir sur les films préférés d'un des plus grands cinéastes de ces 40 dernières années. 

 

 

Laure Beaudonnet : Cruising (1980)

Dans ma longue période « film de serials killers », Cruising est l'une des plus belles découvertes. L'opus plonge dans l'univers sado-maso underground de New York, terrain de jeu particulièrement savoureux pour certains sociopathes. Adoptant le point de vue d'un agent infiltré dans la communauté gay (Al Pacino), William Friedkin se concentre sur la psychologie de son héros en prise avec la perversion. Pendant 90 minutes, le film mène son public par le bout du nez, jouant sur une ambiguïté de plus en plus déroutante. Combien de tueurs sévissent dans la ville ? Le crime finit-il par se répandre ? Ultra-réaliste et fascinant, Cruising est éclatant de duplicité.  

 

Tonton BDM : Police Fédérale, Los Angeles (1985)

Avant d'être un chef d'œuvre, Police fédérale, Los Angeles, c'est le fruit vénéneux d'une certaine époque. Une époque où Friedkin, n'ayant plus rien à prouver à personne, nous mijotait encore du film de gros bâtard jusqu'au-boutiste, balancé comme un uppercut à la face du public. Une époque malheureusement éphémère où, l'affaire de deux putains de films -celui-ci et le Manhunter de Michael Mann-, on crût avoir trouvé un nouveau Mel Gibson, en plus intense et plus ambigu, en la personne de William Petersen. Une époque où on osait une immersion totale et documentée en territoire de gangs à L.A, en embauchant de vrais taulards (des vrais, des tatoués) pour les séquences de prison. Une époque où Friedkin ne se souciait pas du paradoxe de mettre une stylisation extrême et une mise en scène ultra-spectaculaire (la meilleure poursuite automobile de l'histoire du cinéma !) au service du réalisme le plus brutal qui soit. Et si Police fédérale est encore aujourd'hui un objet cinématographique aussi solide, c'est, malgré le fait qu'il soit stylistiquement très ancré dans son temps (les années 80, tous bandanas fluo dehors), qu'il parvient au final à la fois à faire applaudir, avec le nihilisme forcené et la puissance qui s'en dégagent, autant l'amateur de Chuck Norris que l'abonné à Starfix. Une bombe. 

 

Perrine Quennesson : l'Exorciste (1973)

15 ans. Girls night. Ce soir, on se fait peur. L’Exorciste est au programme, un classique. Depuis toute petite, on me raconte des légendes autour de ce film comme ce type très balèze, genre le quaterback du lycée (si on était aux States), qui était rentré paniqué de sa séance de ciné. Soi-disant qu’il avait hurlé en voyant le crucifix dans sa chambre puis l’avait immédiatement jeté à la poubelle. L’attente est à son comble.
Bon, soyons honnêtes, à 15 ans dans les années 2000, le film de Friedkin file beaucoup moins la chair de poule. Mais les scènes, si leur effet n’est pas immédiat, reste bien en mémoire comme marquées au fer rouge. C’est le cas de la descente des escaliers en position « pont » agrémentée d’un vomissage sanglant ou, encore, du puissant « Jesus te baise » qui résonne encore dans mes oreilles. Et lorsque ceux qui l’ont également vu/subi (c’est selon) en parlent, il n’y a pas besoin de s’attarder sur la description des scènes, un regard un peu hanté et tout le monde se comprend. Et c’est aussi pour ça que l’Exorciste est, et restera, un grand film. 

 

Sandy Gillet : Le convoi de la peur (1977)

Film qui prend une belle patine avec le temps. Certainement parce que bénéficiant d'une aura un peu culte du fait de son traitement vidéo jusqu'ici désastreux. Certes French Conection, L'exorciste et To live and die in L.A. sont plus aboutis dans la filmo de Friedkin mais Le convoi de la peur dégage encore aujourd'hui (mais peut-être faudrait-il dire surtout aujourd'hui) une telle énergie du désespoir, un filmage tellement borderline et libre, une vitalité de tous les instants qu'il serait criminel de l'y reléguer à un simple faire valoir. C'est certainement avec Sorcerer (l'un des meilleurs remakes du cinéma) que Friedkin fut le plus libre et qu'il put aller au plus loin de ses exigences de cinéaste en alliant cinéma de l'extrême et noirceur absolue de l'histoire. Une sorte de film somme de tous les possibles.    

 

Mélissa Blanco : Bug (2006)

Cinq personnages et une chambre miteuse dans un hôtel désert pour l'un des films les plus angoissant de ses dernières années. A travers la sphère de l'intime, William Friedkin filme la transmission d'une psychose comme un virus par la propagation progressive de symptômes délirants. Une folie à deux, entre quatre murs, entre rêve et réalité où il est bien difficile de ne pas se faire contaminer à notre tour par la paranoïa ambiante. Michael Shannon lui ne s'en d'ailleurs visiblement pas encore sorti... « A storm is coming ! ».

 

Simon Riaux : French connection (1971)

"Il faut des hommes mauvais pour s'occuper des ordures" écrira bien après la sortie du film James Ellroy, décrivant alors la mécanique sombre qui dévorera tous ses personnages, et le principe actif du cinéma de Friedkin. Une logique qui confère à l'œuvre sa modernité, sa puissance, et son étonnante intemporalité. Servie par une mise en scène d'un réalisme affolant et des acteurs en pleine ascension, French connection est le premier grand film de son auteur, sa première véritable incursion dans un monde entropique, qui nous abandonnera comme son acteur principal, perdu dans les limbes.  

 

 

 

Didier Verdurand : l'Exorciste (1973)

A l'image des Dents de la mer qui sera à jamais le sommet dans son genre, L'Exorciste de Friedkin est un monument inégalable dès lors qu'on parle de possession au cinéma. Plus que des films, ce sont des phénomènes de société qui reflètent une certaine image de l'Amérique. Friedkin a peut-être fait mieux  (ça se discute) mais aucune de ses oeuvres n'aura le même impact. D'ailleurs, aucun autre film d'épouvante ne connaitra un tel destin.


 

Laurent Pécha : Traqué (2003)

Dans la filmographie de William Friedkin il  y a les titres qui mettent tout le monde d'accord (L'Exorciste, French connection, To live and die in L.A., Le Convoi de la peur)et puis il y a les mal aimés ou les oubliés dont fait assurément partie, malheureusement, Traqué. Injustement accusé de film au scénario minimaliste, sorte de clone de Rambo, Traqué est une œuvre totalement en phase avec les obsessions de son auteur. Rarement l'illustration de la fine ligne qui fait basculer l'être humain du bon ou du mauvais côté n'a été aussi magistralement assénée. Friedkin signe un récit épuré à l'extrême qui fait sienne la pensée de Hobbes en réaffirmant à quel point l'homme est un loup pour l'homme.  Il est urgent de réhabiliter cet authentique chef d'œuvre.

 

 

Aude Boutillon : Killer Joe (2012)

Il aura fallu cinq ans pour que la caméra du cinéaste s'aventure à nouveau dans une Amérique du Sud craspec, où la misère sociale et intellectuelle ronge pernicieusement les protagonistes qui la subissent, et bâtissent un nid rêvé à la cupidité et la malveillance. Un terrain sordide que le père Friedkin exploitera jusqu'à la moelle, pour confronter une galerie de freaks qui, lorsqu'ils ne sont pas pourris jusqu'à l'os, pâtiront inévitablement de la vilénie de leurs semblables. L'occasion également de constater que le septuagénaire n'a rien perdu de sa vivacité ni de son humour, puisque s'octroyant ça et là des séquences particulièrement gonflées, voire purement corrosives, où la tension, savamment distillée, explose parfois au détour d'un regard, ou d'un geste d'une improbable audace. Une leçon d'impertinence à destination de ses cadets.  

 

Louisa Amara : l'Exorciste (1973)

Oui j'ai attendu 32 ans avant d'oser voir L'Exorciste, c'est dire à quel point ce film était effrayant à mes yeux. Pourquoi si longtemps ? Chez nous, on croit au Sheitan, aux démons, aux esprits et à toutes ces choses qu'un esprit cartésien balaierait d'un revers de main. J'ai donc découvert L'Exorciste, version longue, présenté par William Friedkin himself, lors de la Nuit de la peur organisée par Orange Cinéma Séries le 30 août dernier. 
Le réalisateur était en grande forme, on a eu droit à véritable show digne d'un stand up US, extraits :

- Qu'est ce qui vous effraie au cinéma ? Réponse de William Friedkin : "tous les films avec Julia Roberts !". 

- "Je ne crois pas en la peine de mort ; sauf pour ceux qui ont fait L'Exorciste 2 ..." 

- "Vous n'avez lu les oeuvres de Teilhard de Jardin  ? Sortez de cette salle ! Vous ne méritez pas d'y être. Lisez au lieu de vous ruer dans les salles pour voir Batman et the Avengers".

Il a aussi su reprendre son sérieux pour nous dévoiler ses films d'angoisse cultes (Les Diaboliques, Psycho, Rosemary's baby) et clarifier sa position sur la peine de mort : "J'ai été pour la peine de mort à une époque. Il faut vous se rappeler le traumatisme des meurtres de Charles Manson aux US. Ces crimes étaient si horribles, que je ne voyait pas d'autres solutions pour les meurtriers. Mais j'ai fini par changer d'avis et aujourd'hui je suis farouchement contre."

Quant au film, il n'a pas perdu de sa puissance avec les années, au vu des réactions dans la salle. Le personnage du prêtre, en proie aux doutes, est sans doute l'un des plus beaux personnages qu'on ait vu au cinéma ces dernières décennies. Un film qui me donne envie de découvrir enfin toute la filmo de ce réalisateur de génie qui ne mâche pas ses mots ! 

 

Vincent Julé : la Nurse... euh non... l'Exorciste (1973)

Si j’avais voulu jouer l’originalité, et l’inconscience, j’aurais pris La Nurse, sur les conseils de notre rédacteur en chef. Mais je préfère l’évidence, la révélation, un film qui s’est imposé à moi. Non pas que L’Exorciste m’ait traumatisé, mais il m’a hanté et obsédé. Au-delà de l’exorcisme lui-même, d’un cultissime « Ta mère suce des bites en enfer ! » à une spider-walk scene coupée puis rajoutée, la force du film et le talent de Friedkin s’expriment avant tout et surtout dans son ouverture en Irak. Au milieu de ces ruines et de ces fouilles, je ne me suis jamais senti aussi sous pression, mal à l’aise, à fleur de peau. Il n’avait plus qu’à me cueillir.

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