Le cinéma italien, état des lieux

Simon Riaux | 6 juillet 2012
Simon Riaux | 6 juillet 2012

« Dans une période où l'on se serre la ceinture, les gens ne vont quand même pas manger de la culture. » Cette phrase prononcée par Giulio Tremonti, ministre italien de l'Économie en juillet 2010 symbolise parfaitement la situation dramatique dans laquelle se trouve le cinéma transalpin. Territoire privilégié du cinéma jusqu'au milieu des années 70, l'Italie nous offre à l'instar de  A.C.A.B. (qui sort ce mercredi 18 juillet) encore quelques pépites ici et là, comme autant de spasmes agitant un grand corps malade, mais tout laisse à penser que l'éventualité d'un nouvel âge d'or demeurera un amer fantasme. Comment en est-on arrivé à une si terrible aporie du Septième Art, et dans quel état se trouve réellement les salles obscures de nos voisins ?

 

  

Les causes de cette saignée sont évidentes et multiples. Une première responsabilité revient au cinéma lui-même, qui en privilégiant les grands maîtres, en ne s'attardant et en ne communiquant qu'autour des Visconti et autres Fellini, n'a pas su préparer de transition, faire émerger de nouveaux auteurs, et in fine a condamné la génération suivante à l'invisibilité. Une situation qui prépara le terrain à la catastrophe des années 70. Lorsque meurent à quelques mois d'intervalle Vittorio de Sica, Pasolini, Visconti et Rosselini, et que parallèlement se libéralise l'exploitation de la télévision. Le cinéma va simultanément perdre ses pères fondateurs et se cantonner à exploiter encore et encore des sous-genres devenus la norme (même si certains comme Argento et ses giallos seront encore capables d'en offrir un rayonnement international). Comme si le cinéma italien ne sachant plus comment se renouveler, va se copier coller à l'envi et accoucher de films monstres très vite phagocytés et recopiés une nouvelle fois encore par la petite lucarne, dont l'avidité et la brutalité sont déjà le fait d'un certain Berlusconi et de sa holding financière Mediaset. La démocratisation de la vidéo ne fera qu'amplifier le phénomène, qui ne sera pas contrebalancé par un arsenal législatif comparable à celui que connut la France (qui obligea dès les années 80 la télévision à réinvestir une part de son chiffre d'affaires dans la production cinématographique).

 

 

Les conséquences ne tardent pas à se faire sentir, de 513 millions de spectateurs en 1975, l'Italie ne compte plus que 195 millions de spectateurs en 1982. La tendance s'est infléchie mais n'a pas disparue, puisque les cinéphages ne sont plus aujourd'hui qu'un peu plus d'une centaine de millions. Quand les cinématographies européennes mettent en place des systèmes de financement publics et autres tax shelters pour attirer les fonds étrangers, l'administration italienne effectue dès 1994 des coupes sombres dans les budgets culturels. L'état a finalement choisi il y a deux ans de diminuer sa participation dans le 7ème art de 50%, une orientation tragique mais cohérente, dans un pays qui laisse s'écrouler jusqu'à la nécropole de Pompéi.

Alors que les coproductions étrangères, ou les micro-budgets composent l'unique horizon de l'ex-industrie cinématographique italienne, de nombreux films traversent pourtant les Alpes chaque année pour atteindre nos salles et festivals. On ne pourra manquer de remarquer que ces métrages dressent le portait d'une cinématographie duale, presque schizophrène, encore empreinte des tropismes d'hier. Les auteurs italiens (expatriés ou non) sont toujours présents, et écrasent encore leur production nationale d'un rayonnement artificiel, démultiplié par les rampes de lancement médiatiques que leur procurent Cannes, Venise, ou encore Berlin.

 

 

Tandis que les Moretti, Sorrentino et Placido bénéficient d'une exposition avantageuse, et bien souvent de critiques laudatrices, on est bien en mal de voir leurs œuvres survivre en dehors du microcosme festivalier que le grand public n'a que faire. La déférence à l'égard de Nanni Moretti jouant au badmington avec le clergé attise chez nous une circonspection déjà nourrie par la Palme décernée à La Chambre du fils. Quant à l'accueil chaleureux fait au balisé Romanzo Criminale, il nous étonne encore, à l'image du matraquage absurde que connut l'exsangue Ange du mal. L'envie de voir émerger un cinéma d'auteur italien, et renaître une industrie capable de drainer un public fidèle et passionné dans les salles obscures préside sans doute à ce soutien indéfectible, et lui confère quelque noblesse. On est toutefois un peu sidéré que distributeurs, sélectionneurs et jury n'aient pas songé à regarder ailleurs, si le cinéma y était.

 La Chambre du fils

 

Non, le cinéma italien n'est pas mort, on serait même tenté d'ajouter que qualitativement parlant, il ne s'est pas porté mieux depuis un bon bout de temps. Lorsqu'en 2008 le jury du Festival de Cannes récompense Gomorra et Il Divo, il rend compte de cette production bicéphale, en mettant côte à côte une œuvre radicale aux partis pris fort (Gomorra), et le biopic de Sorrentino, débauche de moyens sans âme, fausse provoc et mise en scène digne d'un clip MTV. C'est la seconde option qui depuis a reçu le titre d'ambassadeur. Si L'Amour a ses raisons, on comprend mal la frilosité des distributeurs et acteurs du cinéma international devant des merveilles telles Arrivedercci Amore ciao, La Solitude des Nombres Premiers, et beaucoup d'autres...

 

 

Un constat désolant, qui se renouvelle encore aujourd'hui alors que nous parvient A.C.A.B., brûlot enragé sur les conditions de vie des CRS italiens, leurs doutes, craintes et exactions. Le film s'avère le terrible acte de décès d'un corps social démembré, dont chaque partie n'attend qu'un prétexte pour écraser l'autre. Ce film qui fait l'effet d'un coup de poing, méritait un soutien inconditionnel des organes institutionnels et critiques mais n'a pas bénéficié de l'exposition qu'il pouvait légitimement espérer. On s'étonnera à la place d'avoir visionné le raté Reality sur la Croisette, mystérieusement récompensé par le président du jury (un certain Moretti). Le cinéma italien accouche encore régulièrement de merveilles, qui ne nous parviennent que très difficilement, comme si ceux qui avaient dû lutter si dur pour exister après les maîtres fondateurs se comportaient à leur tour en aristocrates retranchés, la légitimité en moins.

 

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Aucun commentaire.