Le Grand soir des punks !

Simon Riaux | 6 juin 2012
Simon Riaux | 6 juin 2012
Avec Le Grand soir, Benoît Delépine et Gustave Kervern rendent hommage de leur ton burlesque et décalé aux grandes heures du mouvement punk. Éphémère et soluble dans le marché global, ce nihiliste descendant énervé du cynisme grec a dû muter, s'immiscer dans la culture de masse pour mieux la subvertir par spasmes anarchiques. On compte ainsi une tripotée d'œuvres relevant de la culture punk, qu'elles en charrient les valeurs, les illustrent ou se tuent à les dépasser. Pour fêter l'hilarante rébellion des sieurs Poelvoorde et Dupontel, quoi de plus approprié qu'une petite revue des effectifs ?


Bernie, d'Albert Dupontel, 1996

Puisqu'il est question de lui par les temps qui courent, commençons donc par le premier film d'Albert Dupontel, soit une élégie quasi-champêtre, où le punk se révèle un état naturel de l'homme, la révolte simple d'un individu qui l'est tout autant, et à qui le monde semble intimer l'ordre de ne plus exister. Le nihilisme absolu du long-métrage s'accompagne le plus souvent d'éclats de rire contagieux, assénés par un scénario aussi branque que fêlé, à coups de pelle, ou de hachoir. Nanti de répliques véritablement cultes (les gauchers comprendront), le film fait  office d'initiation à la punk attitude, dans la bonne humeur et le flingage d'élus de la République.

 

Les Nuits de China Blue, Ken Russell, 1985

Décédé récemment, l'indispensable Ken Russell était à bien des égards l'un des seuls cinéastes vraiment punk, capable de ruer dans les brancards d'une société à la décadence pathologique et larvée, sans jamais oublier de nous offrir un cinéma d'une puissance et d'une générosité mémorables. Les Nuits de China Blue, plus encore que Les Diables, s'évertue à pulvériser les représentations et idéaux d'une classe moyenne anesthésiée par les colifichets de la réussite, qui s'efforce de ne jamais voir la fange dans laquelle elle patauge. Et le spectateur de plonger en enfer aux côté d'un yuppie à la ramasse, propulsé à la suite d'une mystérieuse jeune femme (Kathleen Turner), qui profite de la nuit pour vendre ses charmes dans les coins les moins recommandables de Los Angeles, flanquée d'un prêtre défroqué (Anthony Perkins dans une prestation hallucinante) pour qui le vin de messe fait office de petite bière. Ce n'est pas seulement le futur que Russell déchire ici, mais bien le présent, cet instant que distend à l'infini une société de consommation où tout n'est plus qu'ornières et faux-semblants.

 

 

Orange Mécanique, de Stanley Kubrick, 1972

Orange Mécanique est bien des choses, dont un Manifeste Punk que ne saurait dissimuler la perfection plastique de sa mise en scène. Entre sauteries dérangées, violence gratuite, viols sauvages et négation de l'individu, ce sont nature et culture qui s'entrechoquent et s'annulent mutuellement. Violence inée et violence sociale sont renvoyées dos à dos par la réalisation bluffante de Stanley Kubrick, qui triture montage, photographie et vitesse de défilement avec une maestria qui confine au sublime, et les passages qui auraient dû le plus subir les outrages du temps de briller comme autant de coups de poignards esthétiques. Cette mécanique est celle d'une serpent qui se mord furieusement la queue, engendre une violence qu'il ne sait traiter que par une force abusive et totalisante. Point de futur ici, mais un éternel recommencement en forme de spirale criarde et désespérée.

 

Le Retour des morts-vivants, de Dan O'Bannon, 1985

Anti-social, tu perds ton sang, beaucoup de sang. Telle pourrait être la devise de cette farce réjouissante où un groupe de punks (dont une légendaire punkette) se voit assiégé par une horde de zombies réveillés par une étonnante fumée verte. Punk, le premier film du scénariste d'Alien ne l'est pas seulement par ses personnages, caricatures sympathiques quoique simplettes, mais également par son ton unique, à mi-chemin entre le pastiche et le doigt d'honneur, qui donne l'impression d'assister au récit irrévérencieux conté par un sale gosse notoire. Des mises à morts inventives des humains, en passant par le cri de guerre des morts vivants, jusqu'à leur look délicieusement putride, tout contribue à faire du film une inoubliable boule puante à l'intention des garants des bonnes mœurs.

 

Repo Man, d'Alex Cox, 1985

Il est des films qui valent à eux seuls pour une carrière entière, des auteurs majeurs dont l'apport se mesure à l'aune d'une œuvre folle, contagieuse et anormale. Repo Man est assurément de celles-ci. On y fume l'opium du peuple plus que de raison, on y picole dans la crasse ouatée d'un L.A. sordide et moite, on s'y bastonne à qui mieux mieux et l'on y chasse l'alien plutôt que le dragon. Peut-être le film punk par excellence, qui enquille au générique Harry Dean Stanton, Emilio Estevez, et Iggy Pop, dont les goûts en matière de cinéma étaient déjà des plus sûrs. Jusque dans son ambiance délétère mais jouissive, le long-métrage est une dénonciation des plus sincères et ludiques d'une société à la dérive ; jusque dans la modestie de ses moyens et ses aspects les plus fauchés ou anarchiques, se retrouve toute la beauté métallique de ces années, dont le moteur était indiscutablement à explosion... Ne pas confondre avec Repo Men, vous pourriez vous brûler les yeux.

 

Mad Max, de George Miller, 1979

On ne va pas vous la faire à l'envers et tenter de chroniquer de manière originale un classique régulièrement encensé dans ces colonnes, mais bon. Quand même hein. Si vous connaissez le film de Miller, inutile de vous préciser en quoi son nihilisme, sa violence échevelée, la dévitalisation endémique de l'occident qu'il met en scène le relient à la mouvance punk. Et si vous n'avez pas vu le film et avez plus de cinq ans et demi, on ne saurait trop vous conseiller d'éteindre l'ordinateur de papa-maman, filer au vidéo-club, ou de demander à votre grand cousin Gonzagues de télécharger ce chef d'œuvre, et de le regarder un soir tout seul à la maison, avec votre première clope au bec. Pensez à expliquer à votre baby-sitter que la découverte du punk ne va pas sans un minimum de rituels indépassables.

 

Street Trash, de J. Michael Muro, 1987

La pépite signée Muro, steadycamer de génie, qui a œuvré sur pas moins que Titanic ou encore Terminator 2, s'avère un formidable hommage à tous les marginaux, reclus, laissés pour compte et loosers désignés de l'Amérique de Reagan, celle à laquelle l'actuel parti Républicain tente de redonner vie, dénué cette fois de toute puissance symbolique ou idéologique. C'est un cinéma des entrailles, du corps, des viscères, et globalement de tous ces organes que la société voudrait ne jamais voir au grand jour qui s'étale ici à l'écran. Sorte de vivisection hargneuse d'une Amérique bien pensante et confortablement planquée derrière ses œillères, Street Trash nous met également face au fantasme d'une classe moyenne obsédée par ses origines et bien incapable d'admettre l'un de ses souhaits les plus ardents et honteux, voire dissous, détruits, littéralement liquéfiés les laissés pour compte, les clochards et autres perdants d'un système qui doit pour survivre dissimuler ses victimes collatérales.

 

Les Démons de Jésus, de Bernie Bonvoisin, 1997

Comment ne pas évoquer ici le premier film de Bernie Bonvoisin, chanteur et auteur du mythique Trust ? Pour qui a vécu dans quelques bleds paumés de nos vertes provinces, cette chronique pré-punk (puisqu'elle se situe grosso-modo une décade avant l'avènement du mouvement) fait office de glorieux doigt enfoncé bien profond dans le fondement de toute classe dite supérieure, de rot sonore et festif éructé à la face des méprisants ou condescendants de tout poil. Entre attraction, répulsion, fascination, nostalgie, dénonciation et fraternité, c'est un portrait dont chaque outrance semble finalement d'une justesse troublante qui se dessine. Celui d'un pays dont le cœur, les tripes et l'âme prennent leurs racines loin des ors et des palais, loin des grands discours et des belles idées, celui d'une nation de soiffards élevés au beau mot, de déglingués souriants, et de phallocrates gentlemen.

 

 

Trainspotting, de Danny Boyle, 1996

Drogue, alcool, jeunesse crasse, inconscience, culture de masse et masse de cul... mais quelle est donc la différence entre ce diamant merdeux tout droit venu du Royaume de sa fucking Majesty et le survendu Requiem For A Dream de Darren Aronosfky ? Toute la nuance (et elle est d'importance) tient dans le sourire carnassier du jeune et déjà surdoué Ewan McGregor, alors qu'il s'enfile avec appétit un suppositoire d'opiacé dans le rectum. Cette joie mauvaise, cette trajectoire de comète fielleuse qui pour ne pas se consumer seule piétinera ses petits camarades fait la force de cette dose de cinéma concentré. Là ou d'autres auraient enfoncé la pédale de l'embrayeur moral, Boyle, porté par le formidable matériau d'Irvine Welsh, qu'il coupe à peine, livre un brûlot où l'individu et son microcosme ont depuis longtemps piétiné et aplani les notions de bien et de mal, et d'où on n'échappe à un merdier que pour plonger dans un second, non sans s'être préalablement hissé par dessus les épaules frêles de ses semblables, sur le point de couler.

 

Les Guerriers de la nuit, de Walter Hill, 1980

Être Punk, c'est peut-être aimer ce monde autant qu'on le déteste, en dénoncer les crimes non sans les avoir commis. Dans ce paradoxe tient tout l'impact des guerriers de Walter Hill, et par extension de sa vision de l'Amérique, comme de son cinéma. Les États-unis sont devenus un dédale en construction, un labyrinthe dont on ne sait trop s'il est train de s'écrouler, ou s'avère l'œuvre d'un bâtisseur fou, soit le champ de bataille rêvé pour des hordes de fous furieux prêt à s'étriper au moindre prétexte. Sous son vernis craquelé, la ville tentaculaire se révèle donc le nid douillé de multiples formations tribales, aux règles, élémentaires, primaires et sanglantes. Ici tous les hommes sont clairement renvoyés au rongeur, au parasite, une figure de la foule et une négation du groupe comme entité positive et structurante qui fait de ces sauvages guerriers de véritables petits soldats de la punkitude triomphante.

 

Kaboom, de Gregg Araki, 2010

Digéré par son ennemi juré, la société dite de consommation, le punk a dû se transformer, muter, se laisser digérer pour rejaillir par intermittence et mieux dynamiter le système de l'intérieur. C'est ce qui arrive avec Kaboom, où la palette de couleurs acidulées qui nous crament la rétine grâce à la stupéfiante photographie de Sandra Valde-Hansen citent le teen movie pour mieux le retourner comme une capote usagée. Éruptivité des corps, sensualité des voix, suavité des regards, toute la panoplie de l'explosion sexuelle propre à l'adolescence démonte ici à grands coups de reins la mythologie d'une époque réputée insouciante et inconséquente, dont la seule finalité sera bien sûr un apocalypse annoncé. Tous ces joyeux drilles sont bien sûr déjà morts, et qu'importent que les membres palpitent, ou que les muqueuses trépignent, les pulsions de vie ne peuvent plus désormais se départir de leur pendant symbolique. Ou comment Thanatos met une grosse branlée à Éros, trop occupé à jouir de lui-même.

 

Blade Runner, de Ridley Scott, 1982

On te voit venir lecteur cinéphile, fan électrique et défenseur des films sacrés comme de sacrés films... Effectivement, Blade Runner n'est pas une œuvre fondamentalement punk. Mais, il s'impose comme l'un des actes de naissances, un augure visionnaire de ce que sera l'une des métamorphoses majeures du mouvement, en littérature comme sur les écrans : le cyberpunk. Et si l'on considère que le réseau ne deviendra tout à fait opérant qu'avec le Neuromancien de Gibson, il n'est pas interdit de penser que les rêves de moutons électriques de nos amis androïdes posent les bases d'un genre nouveau, annoncent de la plus belle des manières l'avènement d'un sous-genre les plus riches et denses de la culture populaire de la fin du XXème siècle. Il était donc nécessaire de clore ce panorama sur cette merveille, appelée à connaître une suite redoutée.

 

Nous aurons manqué de temps et de place pour évoquer d'autres créations détonnantes et trébuchantes, parfois aussi essentielles que celles qui ornent ces lignes, mais que voulez-vous, il fallut faire un choix, et c'est le cœur lourd mais l'esprit embué d'une révolte toujours vive que nous levons le poing à la mémoire de Tank Girl, Class 1984, Battle Royale, ou encore Balada Triste de Trompeta. Le punk n'a peut-être pas de futur, mais son passé se porte on ne peut mieux.

 

 

 

 

 

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