Super 8 : jamais sans mon Spielberg

Simon Riaux | 29 juillet 2011
Simon Riaux | 29 juillet 2011

D'Alias, en passant par Lost, ou encore Star Trek, J.J. Abrams s'est lancé dans une vaste entreprise de relecture, de réactivation d'un cinéma qui a marqué sa génération et la suivante, avec la volonté affichée de faire bien plus que de lui rendre hommage ou le pasticher. Le projet du metteur en scène est bien de revitaliser les genres qu'il visite, d'en digérer les codes et les figures pour accoucher d'un tout qui soit plus qu'une somme d'influences. Que l'on juge sa pratique géniale, vaine, audacieuse ou stérile, force est d'admettre qu'elle relève d'une pure cinéphilie qu'on ne saurait cantonner au domaine de la geekerie fétichiste. Alors que le metteur en scène s'attaque à un des plus ambitieux chantiers de sa carrière, à savoir monter sur les épaules de Steven Spielberg, voici venue l'occasion de se pencher sur le contenu de Super 8.

 



Annoncé depuis sa conception comme marchant dans les pas du grand Steven, qu'en est-il véritablement, et que retrouvons-nous ici de cette cinématographie qui fit et fera longtemps encore les beaux jours de millions de spectateurs ? Voici quelques éléments de réponse, non exhaustifs, tant il nous faudrait de caractères pour prétendre aborder le procédé dans sa globalité, d'autant plus que le faire à l'aune d'un visionnage unique serait bien téméraire. Néanmoins, que les anxieux, passionnés, et autres fanboys se rassurent, J.J. Abrams bien appris son petit Spielberg.

 

 

Les premiers ponts à établir entre les deux oeuvres sont naturellement d'ordre esthétique. Tourner en 35 mm et en anamorphique, avec un recours aussi important au grand angle n'a rien d'un hasard, ou d'un caprice, mais résulte d'une volonté de s'inscrire dans un cinéma à la fois grandiose et organique, classique et classieux, un rollercoaster dopé au septième art. Il en va de même pour le choix de la période.

En effet, Abrams, s'il se pose en continuateur de Spielberg, n'entend pas bêtement « moderniser » son propos, puisqu'il situe le sien en 1979. Date intéressante, postérieure à Rencontres du troisième type, et antérieure à E.T, ou encore aux Goonies (produits par Spielberg). Le film se situe donc dans une époque déjà connue du spectateur, une sorte d'âge d'or, où magie et fantastique peuvent encore surgir dans le quotidien d'une petite ville de l'Amérique profonde. Comme il nous le révélait en interview, cette date est le premier élément à avoir été arrêté lors de la conception du projet, et a conditionné son scénario comme sa structure. Une période donc, qui lui permet de se situer non pas après les films dont il s'inspire, mais à leur croisée, confirmant que l'idée est bien de se situer au coeur de cet univers, et non à la périphérie.

 

 



Les pures citations sont également légion, à commencer par l'image emblématique des G-men armés de leurs lampes torches, déchirant la nuit. On retrouve également nombre de jeux de lumière qui ne vont pas sans évoquer ceux d'E.T et dans une moindre mesure de Rencontres du troisième type. Mais le procédé le plus représentatif et signifiant de ce dispositif est probablement l'usage (déjà présent dans Star Trek) des fameuses lens flares. Embassadrices à elle seules de l'esthétique Spielberguienne, elles sont de chaque plan, et provoquent instantanément une émotion particulière. Ces halos bleutés qui auréolent l'image dès que le cadre croise une source lumineuse font office de signature et de profession de foi. Quasiment éradiquées par une sorte d'hygiénisme visuel qui tend à faire disparaître systématiquement tout ce qui viendrait nous rappeler qu'entre le spectateur et le film existe un mur invisible, la lentille, elles sont là pour assoir le film dans une époque et un cinéma, à nouveau non pas pour citer, mais bien pour faire corps, redonner vie plutôt que céder à une nostalgie artificielle.

 

 


 

J.J. Abrams suit une démarche identique d'un point de vue thématique. Il convoque nombre d'identités remarquables avec la précision d'un métronome. Chacun se sera émerveillé ou agacé de l'image de cette petite troupe d'enfants sur leurs vélos, pédalant au rythme des mélodies de John Williams. On pourrait en citer d'autres en pagaille, tel ce collègue, qui rappelle furieusement le laboratoire de sciences naturelles où un enseignement connut le premier la voracité des Gremlins. Les enfants sont évidemment le coeur du récit, correspondant eux-mêmes à des stéréotypes finement travaillés. Du héros en passe de s'affirmer, au petit gros qui trouve dans sa passion le vecteur propre au dépassement (Abrams s'évertuera d'ailleurs à nous faire rire avec lui et non de lui), en passant par le plus déluré, tête brûlée qui dans l'équipe de tournage choisira évidemment le rôle d'artificier. Leurs interactions empruntent bien sûr aux longs-métrages précédemment cités, et tentent de ne jamais verser dans la boursoufflure caricaturale, équilibre délicat s'il en est, puisqu'il s'agit d'invoquer la magie d'E.T sans verser dans l'hystérie artificielle des enfants perdus de Hook.

 

 


 

Pour rendre l'ensemble plus que l'addition des influences revendiquées, le réalisateur injecte dans ce microcosme balisé un élément de friction, une fille électrique en la personne de Elle Fanning. Son adjonction au sein d'une recette éprouvée est un pari risqué, puisqu'elle détonne clairement avec le groupe, greffe audacieuse et anachronique, dont chacun décidera si elle détient le secret de l'alchimie qui lie les personnages, ou si elle les relègue au rang de postures surannées.

 



Comme chez Spielberg, les enfants se verront confrontés, non pas à la perte de l'innocence, mais à la nécessaire décision de basculer dans l'âge adulte. Une problématique que le réalisateur étend substantiellement aux adultes, qu'un deuil antérieur au récit confine dans une attitude puérile, à la limite de l'autisme. De là découlera la seule résolution qui importe vraiment au sein des multiples intrigues, plus même que celles découlant directement ou non de l'arrivée d'une créature extra-terrestre ou la romance naissante, à savoir l'importance de finalement rentrer au sein de la famille, seule cellule véritablement positive et protectrice. On aura souvent confondu cette démarche chez Spielberg avec la volonté de terminer ses récits sur un happy end (qui est certes patente).

Enfin on peut se réjouir en ces temps de raz de marée intergalactico-numériques de constater que le metteur en scène a choisi, pour sa créature venue d'ailleurs, le même traitement que son maître pour entretenir le mystère autour du squale des Dents de la mer. Dissimulé, invisible, fulgurant, l'alien ne se laissera ni approcher ni observer. Tout juste distingue-t-on une forme, un mouvement, une puissance toujours prête à surgir, qui jamais ne cesse de grandir. Nous ne découvrirons les traits de la Chose qu'à la lumière du final, pour lui découvrir un regard non seulement humain, mais familier, puisqu'il s'agit des yeux de la mère défunte du héros. Abrams a en effet choisi de « transplanter » ses prunelles en lieu et place de celles de la bête, et confirme ainsi ce que nous disions plus haut, que pour le personnage principal, l'enjeu est bel et bien de dévoiler et d'affronter une part d'ombre, un passé et une souffrance qui ne veulent pas mourir, pour pouvoir enfin lever les yeux, vers une lumière, puis d'autres yeux, ceux de son père. Cette transition se fera à l'aune de la meilleure séquence du film, probablement la plus originale du film, qui ne doit rien à personne et où le réalisateur touche pour la première fois à l'émotion pure.

 

 

Il y aurait encore nombre de domaines et connexions à explorer entre Super 8 et les films dont il puise sa substantifique moelle, mais comme annoncé plus haut, le but n'est pas ici de tous les cataloguer et analyser, mais bien de dresser une première cartographie du réseau qu'orchestre J.J. Abrams. Cette interdépendance entre son projet et la présence tutélaire de Steven Spielberg fut le fruit des attentions et des questionnements de chacun. On aura vu que la réflexion, le travail et l'amour sincère porté à ce matériau d'une richesse vertigineuse sont bien là, au spectateur désormais de décider s'ils font corps et prennent vie, ou s'entreposent derrière une vitrine, certes somptueuse, mais une vitrine tout de même.

 

 


 

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