2è édition du FIMÉ : Quand musique et cinéma font bon ménage

Erwan Desbois | 4 décembre 2006
Erwan Desbois | 4 décembre 2006

Malgré le ‘i' de son nom, le FIMÉ (Festival International des Musiques d'écran) qui se déroule à Toulon et ses environs est pour le moment une manifestation d'ampleur modeste. On insiste sur le « pour le moment », car un tel assemblage d'ambition, de passion, de talents et de qualité d'accueil gagne à être connu, et ne peut à l'avenir que déboucher sur des réussites encore plus belles et mémorables que celles de cette année. En attendant de développer des dons divinatoires ou d'être déjà en novembre 2007, voyons de quoi il en retournait pour cette deuxième édition du festival.

Déjà, concrètement qu'est-ce que le FIMÉ ? Pour faire simple, il s'agit d'un festival de ciné-concerts. Certains d'entre vous rebondiront sur la question : qu'est-ce qu'un ciné-concert ? Ils ont bien raison de la poser, c'est toujours mieux que de ne rien comprendre à la suite de cet article. Un ciné-concert, c'est un film accompagné par des musiciens jouant en direct dans la salle. Le succès de l'opération nécessite de préférence le choix d'un film muet, ce qui est loin de limiter les possibilités : huit ciné-concerts ont été organisés sur les onze jours du festival, le dernier week-end prenant des allures de bouquet final avec l'enchaînement de Metropolis de Fritz Lang le vendredi, La grève de Sergueï Eisenstein le samedi et La roue d'Abel Gance le dimanche. C'est justement ce week-end qu'Écran Large était sur place.

De loin, la programmation foisonnante (des évènements annexes consacrés à Daft Punk, Norman McLaren ou encore Philip K. Dick – sans musique pour ce dernier – étaient également organisés) et exigeante en donne déjà un bon aperçu, mais de près la vitalité et l'énergie du FIMÉ sont indéniables. Nombre d'excellentes idées annexes viennent agrémenter la grande bonne idée des ciné-concerts, comme le caractère itinérant du festival (c'est une salle différente de l'agglomération toulonnaise qui est chaque soir le lieu de la projection quotidienne) ou la location d'une grande villa pour l'accueil des artistes qui peaufinent ainsi leurs créations dans une ambiance conviviale, propice à l'échange et quasiment les pieds dans l'eau qui plus est – la plage voisine a été testée et approuvée par Écran Large, par la grâce d'une météo particulièrement douce.

« Bon, et les films dans tout ça ? » nous direz-vous, malgré tout l'intérêt que vous pouvez porter aux pataugeages des membres de la rédaction. Les trois ciné-concerts finaux (le premier et le troisième étaient l'occasion de créations musicales spécialement commandées par le festival) offraient un panorama varié et passionnant de ce que le concept peut regrouper de déclinaisons. Le monument qu'est Metropolis a été attaqué de front par le groupe électro-rock de Versailles Turzi, avec une composition plus soucieuse de l'énergie déployée que de la complexité musicale des arrangements. Les synthétiseurs et les guitares maltraités par les six membres du groupe donnent un son brut, basique ; mais qui colle suffisamment bien à l'ambiance apocalyptique et au rythme oppressant de l'incroyable opéra d'anticipation de Lang pour que l'on monte sans rechigner dans le grand huit des Turzi. On se serait tout de même passé des intertitres braillés dans un allemand approximatif par le chanteur.

Le lendemain, changement radical d'ambiance avec le ciné-concert composé autour de La grève par Pierre Jodlowski sur une commande de la cinémathèque de Toulouse en 2001 – signe du succès de la mouvance des ciné-concerts, on assistait là à la vingt-cinquième représentation de cette création. La démarche de Jodlowski est à la fois très proche et très éloignée de celle des Turzi : très proche, car il s'agit dans chaque cas de s'appuyer sur un aspect particulier du film de départ ; très éloignée, car la violence frontale des seconds est aux antipodes du travail méticuleux et du souci du détail du premier. Premier film d'Eisenstein, La grève est une œuvre dont il est impossible de prendre toute la mesure à la première vision tant son montage et sa symbolique ont été ciselés jusqu'au moindre élément, à la moindre image. Comme dans d'autres réalisations d'Eisenstein (par exemple Le cuirassé Potemkine, qui est encore plus abouti), ce travail formel fait passer au second plan la propagande bolchevique qui sert de trame et de raison d'être au film. Ce que Jodlowski propose, c'est un habillage, pas vraiment musical mais plutôt sonore, qui épouse le plus possible les recherches du réalisateur, en s'appuyant pour cela sur une spatialisation très poussée des bruitages et sur une quête de ruptures entre l'image et le son. Plus une expérience (« un OVNI » même, selon les termes du compositeur) qu'une bande-originale de film, le résultat est déroutant, éreintant, mais l'œuvre d'Eisenstein l'étant elle-même, ces qualificatifs sont des compliments et non des regrets.

Après ces deux soirées mettant en scène des artistes s'appropriant – avec succès – des films pour les faire confluer vers leur univers personnel, le spectacle de clôture se rapprochait d'une approche plus classique du ciné-concert, avec un compositeur écrivant une partition pour orchestre (dans le cas présent un quintet à cordes, un pianiste, un clarinettiste et un percussionniste) en accompagnement de la projection d'un long-métrage. L'ampleur de l'événement tenait alors à la dimension du long-métrage en question, film hors normes dans lequel Abel Gance s'affranchit entièrement des règles classiques de la narration pour se plonger sans retenue dans la peinture des passions humaines, leur fatalité et le contrôle absolu qu'elles exercent sur nous. La Roue, c'est trois heures d'un ballet d'amour et de mort parfois irritant (les raccourcis de scénario de la seconde partie, qui font s'enchaîner les catastrophes), souvent exaltant par ses fulgurances de mise en scène et de montage.

Le compositeur Emmanuel d'Orlando et le chef d'orchestre Ludovic Perez s'attaquaient donc à un sacré morceau, et sont parvenus à le rendre plus sacré encore. Leur musique mêlait lyrisme et retenue, classicisme – le piano – et modernité – les percussions – ; elle sonne par moments comme du Danny Elfman, par moments comme du Jerry Goldsmith, par moments comme l'image d'Épinal que l'on se fait d'un accompagnement de film muet. L'équilibre atteint était miraculeux, rendait digeste les passages difficiles du récit. Il est parvenu à faire de cette séance de clôture plus qu'un film mis en musique en live, plus qu'une performance de musicien autour d'un film : un ciné-concert valant bien plus que la somme de ses parties. On croise les doigts pour que sa durée et son apparente difficulté d'accès n'empêchent pas ce magnifique spectacle de tourner en France et ailleurs, et pour qu'elles ne vous empêchent pas de vous y ruer le cas échéant.

Quant au FIMÉ, tous les gens réunis autour du dernier buffet espéraient vivre l'an prochain une édition tout aussi hétéroclite, copieuse et vivante que cette année.

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