Assurance sur la mort en DVD chez Carlotta : la pré production
Il
est l'objet d'une névrose partagée par un bon nombre de rédacteurs
travaillant sur Ecran Large. Il est plat, rond, versatile et nous fait
souvent perdre le sens des réalités. Vous avez deviné, il s'agit du bon
vieux DVD, ingénieux support qui a démocratisé la cinéphilie domestique
et exigeante voilà bientôt dix ans. En guise d'anniversaire, il nous a
semblé cohérent de vous relater le processus consistant à fabriquer une
édition DVD, de la réception du master jusqu'à sa mise en vente. Pour
que l'exercice ne soit surtout pas rébarbatif, on est tombé d'accord
pour suivre l'élaboration d'un titre actuellement en cours. Ne restait
plus qu'à choisir ledit titre
Et parce que nous recherchions un titre
reflétant le bon goût généralisé de la maison « Ecran Largienne », nous
avons pensé que Assurance sur la mort de
Billy Wilder sortant en novembre sous l'égide de Carlotta était une
opportunité à ne pas rater. On remercie l'éditeur de nous avoir ouvert
ses portes pour nous raconter comment s'occuper d'un chef-d'uvre du
film noir en DVD et livrer aux consommateurs cinéphiles une édition à
sa juste mesure. Fabien Braule est le premier intervenant à nous parler
de l'étape inaugurale : la pré production.
Interview de Fabien Braule, chargé de projet chez Carlotta Films.
Pour commencer, peux-tu nous parler de Carlotta en tant qu'éditeur DVD et son placement par rapport à la concurrence ?
Je
pense que nous avons une approche éditoriale quelque peu différente
d'autres éditeurs dans le sens où il y a des films que l'on travaille
dès la sortie salles. Par exemple pour Ozu, dont la sortie en DVD fut
un événement en soi et qui se prolongera dès le mois de février 2007
avec la venue d'un second coffret et de Voyage à Tokyo,
l'un des chefs-d'uvre du maître japonais en Édition Collector. Le
simple fait de travailler dans ce sens, nous permet d'avoir le recul
nécessaire pour la création des suppléments et pour la ligne éditoriale
que l'on souhaite adopter.
Sortir Assurance sur la mort était une volonté forte,
voire même un « coup » de Carlotta ? Ou, est-ce le premier film d'une
salve de titres Universal achetée par l'éditeur ?
C'est
bien plus qu'un « coup », puisque, en ce qui me concerne, c'est l'un de
mes films de chevet. L'opportunité de proposer un tel titre va au-delà
du coup commercial, c'est un cadeau en soi que nous fait Vincent
Paul-Boncour, gérant de Carlotta Films. Et c'est effectivement le
premier titre d'une salve. Jusqu'alors, nous ne travaillions
principalement qu'avec des titres du catalogue 20th Century Fox en ce
qui concerne notre catalogue de classiques US. Mais manifestement,
Universal vient d'ouvrir une partie de son catalogue et de son
patrimoine et on pouvait difficilement passer à côté.
La sortie du Zone 1 double DVD, sorti il y a quelques semaines,
est-elle un genre de placement ou un simple hasard de programmation ?
Un hasard de programmation le plus total qui a ses avantages et ses
inconvénients ! Un des inconvénients est la présence de sous-titres
français sur le Zone 1 Universal. Le souci principal est que les
consommateurs que nous ciblons sont de gros acheteurs de classiques du
cinéma en DVD Zone 1. Mais un tel cas de figure devient un challenge
car on a envie de faire forcément mieux que les américains.
Peux tu développer par étapes le processus de développement de cette édition DVD ?
Nous avons réceptionné le master il y a maintenant plus d'un mois. Il s'agit d'un master SD (Standard Definition : 576 lignes de résolution verticale, NDR) provenant d'un master Haute Definition dit HDCAM (1080 lignes)
restauré par Universal. L'avantage est que cela supprime tout souci lié
à un éventuel transcodage puisque le master HDCAM est en 24 images par
seconde. Et donc, pas de conversion NTSC/PAL (30 images/25 images). En
termes de sous-titres des films, nous travaillons beaucoup avec TITRA
FILM. Pour le coup, TITRA avait une liste de sous-titres assez
ancienne. On s'est retrouvé avec un sous-titrage typique des années 40
où la moitié des dialogues seulement sont sous-titrés. On retravaille
dessus en ce moment et nous allons proposer une nouvelle liste de
sous-titres. L'intégration de ceux-ci se feront essentiellement lors de
la partie authoring. (Nous y reviendrons prochainement, NDR)
Revenons sur le master HD. Passer de 24 fps à 25 pourrait-il générer quelques problèmes techniques avec le son ?
Universal gère ce problème au moment de faire la down conversion (passage du HD au SD). Si un pal speed up
pouvait être généré en transcodant du NTSC vers le PAL, c'est ici
impossible puisque géré par une technologie de dernière génération.
Donc pas de demi-ton au dessus ou en dessous ou quoi que ce soit
d'autre d'ailleurs.
Quels sont les critères déterminants d'un bon master chez
Carlotta ? Qui est chargé de contrôler la qualité de ce dernier et sur
quel point doit-il se montrer vigilant ?
C'est une partie très délicate que je gère avec notre le studio de
premastering DVD-Partners et son chef de projet Nicolas Billon. Ce à
quoi on fait le plus attention est la gestion des contrastes. Si c'est
un film classique, on inspecte le niveau de poussière, de tache, etc.
Après, cela peut varier. Chaque DVD est différent dans son approche
technique. Si le DVD existe déjà ailleurs, ça peut faciliter les choses
parce que l'on a un point de comparaison. Si aucune édition DVD
n'existe, l'appréciation se fait souvent à l'il.
Est-ce arrivé que toi et Nicolas vous vous chargiez de restaurer le master ? Ou de le refuser tout simplement ?
Il
est difficile de refuser un master quand il n'existe pas d'autre
matériel. Le catalogue sur lequel nous travaillons n'est pas toujours
récent et les titres à sortir ne sont pas aussi célèbres que Autant en emporte le vent ou Le Seigneur des anneaux. Il n'est pas rare d'avoir un seul master de disponible. C'est ce qui s'est produit avec Il était un père.
Un seul master, une copie salles très abîmée tant sur l'image que sur
le son. On ne pouvait pas sortir le DVD en l'état. On a fait ce que
l'on a pu pour restaurer l'élément, mais tout cela coûte extrêmement
cher. L'image et le son d'Il était un père sont aujourd'hui d'un niveau
tout à fait satisfaisant pour une exploitation sur support DVD (voir le
test en cliquant sur ce lien.)
Peux-tu expliquer en quoi consiste la collaboration Carlotta Films/DVD-Partners ?
Nous
travaillons essentiellement avec eux, de la vérification du master
jusqu'à la livraison de la DLT. La DLT est l'élément informatique sur
bande qui permet à l'usine de faire le glass master.
On commence à travailler sur un projet avec DVD-Partners au minimum
trois à quatre mois avant la date de sortie du DVD. C'est un
prestataire avec une équipe assez réduite qui se révèle être très
dynamique. On développe la quasi-totalité du projet avec eux :
l'arborescence (schéma graphique définissant la navigation du disque),
graphisme des menus (le graphiste Julien Gadier est chargé des menus d'Assurance sur la mort au passage), qualité de l'encodage (bit budget) etc
Arborescence du premier disque
Arborescence du deuxième disque
Comment se passe la synchronisation de la version française qui, je le signale, est absente du Zone 1 Universal ?
On travaille actuellement dessus. On passe par un laboratoire externe
D.E.S. (agréé Dolby et DTS) qui est géré par un type génial. Il prend
son temps et fait un excellent travail. J'en profite pour te dire que
l'avantage du Zone 2 Carlotta par rapport au Zone 1 Universal sera la
restauration de la bande son originale. Après l'avoir longuement
écoutée sur le Zone 1, on a trouvé que le volume était très faible. On
était obligé de monter à -15dB pour obtenir une ambiance correcte tout
en remontant un souffle énorme. D.E.S. procède donc à un nettoyage
total de la bande-son, VO et VF à l'aide des outils suivants et le
résultat est plus que probant :
- TC 6000 de chez TC ELECTRONIC avec le logiciel Pack Drop pour les bruits de fond.
- SONIC NO NOISE pour les craquements.
- MULTIBAND WAVE sur PROTOOLS pour le souffle et les distorsions.
Écouter la bande-son non restaurée Écouter la bande-son restaurée
Raconte moi la recherche la piste française.
Rien de plus facile
sur ce coup là ! On l'a demandé à Universal. Sinon, on recherche des
copies 16 ou 35 mm dans les cinémathèques francophones. C'est ce qui
s'était produit avec certains films noirs de l'année dernière. Elle n'a
pas servi depuis des années et le son est très fatigué. Mais la
restauration effectuée permet de retrouver un excellent niveau général.
Pourquoi Carlotta n'ajoute pas les sous-titres anglais ?
Parce que tout ceci est compliqué et contractuel. Tout comme la question des sous-titres débrayables ou non.
Enfin, peux tu nous parler des suppléments ?
Bien sûr. On
trouvera sur le premier disque l'excellent commentaire audio de
l'historien du cinéma Nick Redman et du scénariste Lem Dobbs déjà
présent sur le Zone 1. Le film évidemment, VOST/VF, le film annonce,
une petite surprise (qui s'avèrera être une piste DTS VO 1.0). Le
disque 2 se composera de la version télé d'Assurance sur la mort tournée
dans les années 70 (une vraie découverte, qui replace parfaitement la
politique des studios à cette époque), le documentaire Les ombres du suspense déjà
dispo sur le Z1, un très bon module créé spécialement pour l'édition
française par la société Allerton Films de 45 minutes et intitulé La Dernière cigarette. Ce sera une réflexion sous forme d'enquête sur la place d'Assurance sur la mort au sein du film noir le tout agrémenté d'entretiens avec des spécialistes du genre et du cinéaste.
Propos recueillis par Julien Foussereau.
Merci à Carlotta pour l'iconographie technique.