Michel Gondry - Le bricolo des rêves

Thomas Messias | 16 août 2006
Thomas Messias | 16 août 2006

On imagine volontiers la naissance de Michel Gondry (pour accéder à son interview vidéo, cliquez sur son nom) comme ceci : à peine sorti du ventre de sa maman, on lui enfile un pyjama en papier mâché, avant de le placer dans un berceau en Légo. Tout ceci est sans doute très éloigné de la réalité : en fait, l'enfance du petit Michel est assez banale. Il grandit dans le confort du Versailles des années 60, fait consciencieusement ses devoirs chaque soir et ne se fourre jamais le doigt dans le nez. Cependant, dès son plus jeune âge, tout concourt déjà à faire de lui un artiste touche-à-tout, inventif et fantaisiste. Papy a inventé l'un des premiers synthétiseurs (le Clavioline), papa vend des guitares électriques. Michel, lui, se verrait bien peintre ou inventeur. En attendant, il bricole. Avec ses Mecano, il crée une "machine à dessins animés". Il écrit et dessine sans cesse. Tant et si bien qu'après une scolarité sans encombre mais sans passion, il intègre une école d'arts appliqués à Paris, tout en continuant à bâtir son univers de son côté. Courts-métrages, tableaux, chansons : tout y passe. Et comme il s'ennuie poliment dans des études trop formatées pour lui, il crée le groupe Oui Oui avec quelques potes. Assez vite, Oui Oui connaît un joli succès d'estime et enregistre un album.

 

Cliquez sur l'une des deux photos pour accéder au clip La Ville.
C'est là que débute véritablement la carrière du Gondry réalisateur. Quand arrive le moment de tourner le premier clip du groupe, en panne de réalisateur et de financements, c'est Michel qui se porte volontaire et délaisse un moment sa batterie pour passer derrière la caméra. Les spectateurs apprécient le côté cheap mais décalé des clips qui collent parfaitement à l'univers d'un groupe aux chansons naïves et minimalistes. Un jour, une jeune islandaise tombe en extase devant le clip de La ville. Rien d'extraordinaire a priori, sauf que la demoiselle en question se nomme Bjork Gudmundsdottir. Elle fait contacter Gondry, et la collaboration commence pour une demi-douzaine de clips, dont Human behaviour (qui semble préfigurer Human nature, le premier long-métrage de Gondry) et Bachelorette, voyage au cœur d'une autobiographie piégée, que d'aucuns considèrent comme son chef d'œuvre, ultime et indépassable.

 

 

Cliquez sur les pochettes pour accéder aux clips correspondants.
La folie Gondry ne met pas bien longtemps à s'emparer du monde du vidéoclip. Après la séparation de Oui Oui, il se consacre intégralement à la réalisation. Et pas pour n'importe qui : les Stones, Iam, les Chemical Brothers… Si chaque vidéo est extrêmement différente de la précédente, toutes sont empreintes du style loufoque mais cohérent de leur auteur. Plus connu aux Etats-Unis qu'en France (où les clips ont longtemps éclipsé les clippeurs), Gondry devient vite le chouchou de la presse spécialisée et des artistes en vogue. Il faut dire que ses atouts séduction sont nombreux. D'abord un goût prononcé pour l'expérimentation jusqu'auboutiste et les bricolages bizarroïdes. Ensuite un vrai respect pour la musique qu'il met en images : les morceaux font partie intégrante de ses clips, et la rythmique est particulièrement mise en valeur (comme dans Star guitar des Chemical brothers, stupéfiant voyage en train où les paysages défilent en rythme). Pas question pour lui de faire dans la simple décoration filmique à mater les pieds sur la table en buvant des sodas. Malgré lui, Gondry fait partie de la poignée de réalisateurs qui ont contribué à l'intellectualisation du clip. Sans pour autant verser dans la prise de tête.

 

 

Cliquez sur les pochettes pour accéder aux clips correspondants.
Gondry invente. Gondry imagine. Gondry cogite. Et s'envole vers des contrées inaccessibles au commun des mortels. Le cinéma, c'est 24 images par seconde? Très bien. Alors pour changer un peu, il décide d'utiliser 24 caméras par image. On n'avait jamais vu ça auparavant. Ça s'appelle le slow motion, tout le monde croit que c'est l'œuvre des frères Wachowski, mais c'est bien Michel Gondry qui en est l'inventeur. Une facette intéressante de la personnalité du bonhomme : un autre aurait revendiqué la paternité d'un tel outil, lui préfère continuer à trimer dans l'ombre. Une modestie touchante qui le ferait presque passer pour un roi de la frime aux yeux de certains : à l'écouter, il n'a jamais fait de bien difficile et avoir une idée brillante par seconde est parfaitement normal. Forcément, ça peut agacer.

 

 


L'étape logique qui suit la réalisation de clips, c'est le cinéma. Gondry ne se précipite pas et attend le projet idéal pour débuter. La rencontre avec un scénariste barré nommé Charlie Kaufman sera déterminante : le mélange de ces deux talents singuliers donne une bien étrange tambouille nommée Human nature, une comédie écolo-philosophique sur les affres d'un homme-singe qui découvre ce qu'on appelle un peu à tort "civilisation". Le tout traité de manière très distanciée, avec un humour à froid proche de celui des Scandinaves. Pas totalement abouti, le film attire cependant l'œil et l'esprit des cinéphiles, qui voient en Gondry un cinéaste à suivre. Quelques clips plus tard, Gondry retrouve Kaufman pour écrire à quatre mains le scénario d'Eternal sunshine of the spotless mind, d'après une idée de l'artiste français Pierre Bismuth. L'histoire d'un homme qui fait effacer de ses souvenirs celle qu'il a aimée. Vibrant d'imagination et de mélancolie, le film est un franc succès partout dans le monde et reçoit même l'Oscar du scénario. Pourtant, son atout principal n'est pas le script (brillant mais rempli des habituelles digressions kaufmaniennes), mais bel et bien la mise en scène, bourrée d'effets discrets mais judicieux. Le petit frenchie tout timide, qui parle anglais avec un accent de vache espagnole, est cette fois bien installé dans le cercle des cinéastes qui comptent. Mais si son cinéma a pris de l'ampleur, Gondry ne compte pas se brûler les ailes pour autant. Et revient en solitaire avec son projet le plus personnel, sans doute le plus modeste : un film français avec une majorité d'acteurs français, sorte d'autoportrait rêvé. La science des rêves est un bricolage intime, un film d'auteur en carton-pâte, où l'ingéniosité visuelle rivalise avec la beauté du scénario. Après ces trois films, on attend les prochains Gondry avec un calme et une assurance rares : il sera difficile de faire mieux, mais l'homme est si talentueux qu'il ne pourra que se surpasser.

 

 


Réalisateur incomparable, Michel Gondry est le Rémi Bricka du cinéma, un homme-orchestre avec chapeau pointu et langue de belle-mère intégrés. Un bricoleur de l'intime aux décors colorés, qui scrute la condition humaine par une lorgnette qui ressemble fort à un télescope. Un clown triste qui cache tant bien que mal des torrents de mélancolie. Le Puff de Human nature, le Joel d'Eternal sunshine of the spotless mind et le Stéphane de La science des rêves ont en commun une fantaisie qui n'est là que pour masquer une profonde solitude, un malaise profond et une absence totale de repères. Trois facettes différentes d'un même homme, Gondry lui-même, petit poussin renfrogné que le travail et le talent ont transformé en aigle royal.

 

 

 

Un dernier petit clip pour la route ? Alors cliquez sur la pochette de Come into my world (Kylie Minogue)

 

 

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