Philip Seymour Hoffman - Portrait
Pas de surprise, le surprenant Philip Seymour Hoffman vient tout
juste de remporter l'oscar du meilleur acteur pour son extraordinaire
interprétation de Truman Capote (prononcez "kapoti"). À presque 40 ans,
et une quarantaine de films, c'est (enfin) la consécration pour
l'admirable et émérite acteur. Sa statuette dorée entre les mains, il
s'est exclamé comme nous : "Wow !"
La scène dans le sang
A
priori, il n'a vraiment pas le physique de l'emploi. Pourtant, il a le
métier dans la peau. Avant de se passionner pour le théâtre et la mise
en scène, adolescent, Philip Seymour Hoffman rêve de carrières de
lutteur ou de baseballeur, (mal)heureusement compromises par une
blessure. Au lycée, il commence à s'intéresser à Arthur Miller, monte
des pièces de théâtre et devient très vite populaire dans son
établissement. C'est d'ailleurs en ce temps que naît son amitié avec
Bennett Miller et Dan Futterman. Un stage d'été suivi au Circle
Repertory Company à New York cimente définitivement sa vocation pour le
métier d'acteur. Il intègre plus tard la prestigieuse Tish School of
Arts de New York où il obtient son diplôme d'Art dramatique en 1989.
Hoffman a tout juste 22 ans lorsqu'il termine ses études. Jeune et
sans doute angoissé par son avenir incertain, il connaît un long
passage à vide durant lequel il expérimente toutes sortes de drogues et
alcoolise ses noires pensées. L'instinct de survie aidant, il finit par
suivre une cure de désintoxication : « J'ai paniqué, j'ai eu peur pour
ma vie, cette cure de désintoxication m'a sauvé la vie », explique-t-il
sur la chaîne CBS. Devenu sobre, l'esprit clair, il est prêt « à
affronter la réalité et les difficultés quotidiennes que vit tout
acteur débutant ».
Tout
en jouant sur les planches le soir, l'aspirant au métier d'acteur est
encore loin de s'amuser en alignant les petits boulots ingrats dans la
journée : « Être serveur a été le pire pour moi ». Pour multiplier ses
chances d'obtenir des cachets et de percer, il participe à ses premiers
castings pour le cinéma et la télévision. En 1991, il tourne une
comédie d'Amo's Poe, Triple bogey on a Par 5 Hole, et obtient un petit rôle dans un épisode de la série Law & Order (New York Police Judiciaire). S'ensuivent quelques rôles furtifs aux côtés de figures montantes, comme Liam Neeson et Steve Martin dans la comédie En toute bonne foi
sortie en 1992. Cette même année, alors qu'il croit devoir s'en tenir à
son job du moment, employé dans une épicerie de quartier, Martin Brest
lui propose un second rôle dans Le Temps d'un week-end,
drame émouvant emmené par Al Pacino (oscarisé pour ce rôle). Sa
prestation remarquée de jeune snobinard lui ouvre alors la voie à
davantage de (seconds) rôles...
Second rôle de premier choix
Le numéro un des seconds couteaux est lancé. Après quelques mises en bouche, comme Guet-apens
en 1993, il apparaît régulièrement au cinéma dans diverses productions,
souvent indépendantes. Au départ, c'est un peu l'acteur dont on connaît
la tête, mais jamais le nom. Puis très vite, il se révèle génialissime
comédien, excellent artisan du rôle, capable de relever savoureusement
certaines scènes des productions les plus fades par ses apparitions
aussi furtives qu'intenses. Sa présence est une garantie que le film ne
sera pas une série de clichés mélangés selon la recette hollywoodienne.
En
1996, il débute sa fidèle et marquante collaboration avec un jeune
réalisateur prodige, Paul Thomas Anderson, qu'il rencontre au Festival
de Sundance. Anderson signe son premier long-métrage en 1996, Sydney (rebaptisé ensuite Hard eight
par un producteur véreux), dans lequel Philip Seymour Hoffman fait une
superbe apparition clin d'oeil en joueur de casino. Hoffman jouera
dans tous les films d'Anderson qui fait de lui l'un de ses comédiens
fétiches : Boogie nights en 1997, dans lequel il campe un étonnant pornophile empoté et éconduit ; Magnolia en 1999, où sous les traits d'un infirmier affectueux et compassionnel, il aurait arraché des larmes à un parpaing ; Punch drunk love, en 2002, où il livre une prestation énergique absolument dantesque.
Philip Seymour Hoffman impose autant son nom à rallonge que son
profil d'artisan rabelaisien. Véritable acteur caméléon, grand
transformiste, l'acteur avale les rôles qu'il façonne sans relâche
jusqu'à la perfection et dévore l'écran avec un art consommé de la
composition. Loin d'envisager certains rôles comme de simples
faire-valoir, l'acteur enflamme chacune de ses interprétations, quels
qu'en soient l'enjeu ou le cachet, considérant qu'un acteur a des
comptes à rendre au public : « L'acteur est responsable du rôle qu'il
joue. Mon premier but est de faire du bon travail. Si ce travail est
mal payé, c'est comme ça ». La célébrité ? Hoffman s'en fiche
royalement : « Ne pas être célèbre, c'est aussi une liberté ».
Qu'il soit chasseur de tornades grassouillet dans Twister (1996), secrétaire précautionneux dans The Big Lebowski des frères Coen (1998), obsédé suant pour sa voisine de palier dans Happiness de Todd Solondz (1998) ou l'ami trop curieux à la voix grave qui met les plans du Talentueux M. Ripley
en péril ((1999), Philip Seymour Hoffman offre toute une gamme de
personnages détonnants, tantôt nuancés, souvent hauts en couleur ou
carrément déjantés, mais toujours bien façonnés. Jouant le plus souvent
des personnages extrêmement troublés et désaxés, il confie : « On me
demande souvent si je m'amuse pendant un tournage. Mais non, je ne
m'amuse pas, je souffre ».
Si
sa filmographie s'avère assez bien garnie, ce qu'il faut en retenir
n'est pas tant ce listing déroulant les rôles tenus par l'acteur, mais
la géographie toute particulière de ses compositions : tout en reliefs,
denses, taillées, abondantes, assorties... Ses rôles constituent autant
de gestes et d'attitudes variés, de voix ou de démarches différentes.
Travesti sensible et mélomane dans Personne n'est parfait(e) (1999)
il adoucit un ex-flic cardiaque (Robert de Niro, dont il souffle la
vedette) en lui prodiguant des cours de chant et de tolérance. Bien que
ces films n'aient pas connu de franc succès, retenons sa bouleversante
prestation de mari tourmenté par le suicide de sa femme et qui se met à
sniffer de l'essence, dans Love Liza de Todd Louiso (2002) ; Mister Cash dans lequel il fait son (beau) jeu en banquier cinglé de casino, ou La 25e heure
de Spike Lee, dans lequel il incarne tout en failles et en
sous-entendus ce timide prof d'anglais qui tente de résister aux
charmes d'une étudiante particulièrement entreprenante.
On l'a vu également au service de David Mamet dans Séquences et conséquences (2000), dans le pâle Dragon rouge (2002), la comédie ratée Polly et moi (2003) ou encore en révérend dans Retour à Cold Mountain
(2003). La liste pourrait se dérouler à l'infini. Par ailleurs, n'ayant
jamais délaissé les planches et la mise en scène, il joue régulièrement
à Broadway.
Capote, le film de sa vie
Vous
serez sûrement nombreux dans les prochains temps à demander « une place
pour Capote » (!). À votre attention, ces quelques mots de l'acteur : «
Je veux que les gens vivent une belle expérience en voyant Capote ». En
faisant revivre à l'écran le tumultueux romancier, Philip Seymour
Hoffman tient la plus belle performance de sa carrière et peut enfin se
consoler de n'être jamais reçu en acteur glamour : « J'attends toujours
qu'on me trouve mignon quand même ». Bien mieux que cela, Hoffman
accède enfin au (très) digne rang de (très) grand acteur. « Ce n'est
pas pour influencer les votants, mais je vous jure que je n'ai jamais
autant souffert de ma vie », avoua-t-il très récemment.
L'oscar est mérité, pour celui qui, en plus de s'être délesté de 25 kilos, a tout étudié durant 6 mois de la personnalité et de l'apparence physique de son personnage : « Travailler sur ces détails techniques n'est pourtant pas ce qui m'intéressait le plus. À mon sens, les vrais enjeux sont humains. Il fallait se concentrer sur l'histoire, faire passer tous les sentiments qu'elle aborde. Si cette démarche-là n'est pas celle qui prime, tous les artifices techniques que vous emploierez ne serviront à rien. »
Son interprétation est prodigieuse, allant jusqu'à modifier complètement la tessiture de sa voix afin d'approcher au plus près la voix nasillarde et maniérée de Truman Capote, parvenant à saisir les sombres conflits émotionnels dans lesquels plongea l'auteur après avoir écrit De sang-froid, uvre qualifiée de roman de « non-fiction » et traitant d'un fait divers authentique, le meurtre d'une famille du Kansas.
Pour tourner Capote, Hoffman, impliqué au-delà du rôle
principal car également coproducteur du film, retrouve ses anciens
compères Bennett Miller et Dan Futterman (souvenez-vous, ses amis du
lycée). « La responsabilité de montrer le déclin intérieur de Capote
reposait entièrement sur Phil. Le Golden Globe et l'oscar ne sont que
justice », déclare Miller. Notez tout de même que Hoffman n'en est pas
à sa première récompense, l'acteur a même très souvent été salué pour
son jeu et son style unique qu'il déploie à l'envi.
Car oui, définitivement, Phil a du style, une manière unique de savoir se faire oublier derrière ses personnages, de se fondre en eux au point de s'oublier lui-même. C'est précisément ce don d'invisibilité qui lui vaut sa toute fraîche reconnaissance. Belle qualité pour l'acteur de caractère, qui dit admirer « les acteurs plus calmes comme Meryl Streep, Daniel Day lewis, Paul Newmann ou Christopher Walken. »
Il donnera bientôt la réplique à Tom Cruise dans Mission : Impossible 3, mais étonnamment, on espère le revoir autant dans ces éternels seconds rôles tirés à quatre épingles que dans un autre futur rôle cousu sur mesure pour sa superbe stature. Rien à dire, Hoffman est un acteur de peu de mots. Ou un seul : « Wow ! »