Peter Jackson : Le retour du Roi

Sylvie Rama | 15 décembre 2005
Sylvie Rama | 15 décembre 2005

Déjà de retour sur les écrans avec King Kong, Peter Jackson pense, mange, boit et vit « cinéma ». Né le jour d'Halloween (le 31 octobre 1961) son goût pour le fantastique et l'imaginaire s'exprime dès son plus jeune âge. Une coïncidence troublante pour le néo-zélandais au parcours exemplaire qui s'impose désormais comme le roi d'Hollywood.

Le grand huit

Peter Jackson est un véritable producteur de spectacle. Le grand. Ses films sont des attractions. Créer des sensations est son rêve de gosse. Car en réalité, le réalisateur nous dévoile à travers ses films ce que fut pour lui sa rencontre avec le cinéma…

Choyé par ses parents, enfant unique à l'imagination sans limites, le jeune Peter annonce très tôt à qui le questionne sur son avenir, qu'il travaillera plus tard dans les mondes merveilleux où vivent des êtres et créatures fantastiques. En attendant de s'engager dans une carrière de Roi de l'empire céleste ou de devenir éleveur de dragons à deux têtes, l'enfant fantasque brave les dangers en preux chevalier au fond de son jardin. D'une curiosité tout aussi débordante, il s'attèle à inventer mille objets et mécanismes ingénieux dont il se sert pour ses jeux.

En 1969, ses parents sont loin de se douter qu'ils amorcent la concrétisation de ses rêves lorsqu'ils lui offrent pour ses huit ans une caméra super 8 avec laquelle il commence l'aventure des tournages système D. Le cinéaste en herbe épate ses copains en leur présentant ses petits films d'animation starring objets récupérés and figurines en plastique pour lesquels il crée toutes sortes d'effets spéciaux. L'année de ses neuf ans, il fait une rencontre cinématographique qui le marquera à jamais. Ses parents l'autorisent à regarder le film que diffuse une chaîne néo-zélandaise un soir de 1970. Peter Jackson découvre King Kong d'Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper, tourné en 1933 en noir et blanc. Ébloui, ému par l'histoire, épaté par les effets spéciaux, le jeune Jackson trouve dans l'œuvre de Schoedsack et Cooper un écho à ses délires créatifs. Si bien qu'à 13 ans, il entreprend de créer sa propre adaptation de King Kong à l'aide d'une maquette de l'Empire State Building et d'animaux en pâte à modeler, reconstituant notamment sa scène favorite dans laquelle l'immense gorille balance ses énormes poings dans un frêle escadron d'avions. Durant son adolescence, il tourne de petites fictions mettant en scène des vampires ou des fantômes. Plus tard, il découvre le travail du magicien des effets spéciaux qu'est Ray Harryhausen (Jason et les argonautes, Le voyage fantastique de Sinbad).

Quand Jack sonne…

À 17 ans, Peter Jackson laisse en plan ses études pour plancher sur le cinéma. Touche à tout et débrouillard, il obtient un poste de photograveur au Evening Post, journal de Wellington. Après le grand huit, il fait le grand saut. Ses premiers salaires lui permettent d'acquérir une caméra Bolex 16 mm grâce à laquelle, aidé d'une bande de copains, il tourne son premier court-métrage, Roast of the day. Mais le résultat ne lui convient pas, aussi décide-t-il de retravailler le film et d'allonger sa durée. Parvenu à un stade avancé de son projet, Jackson sollicite une aide financière auprès de la Commission Néo-Zélandaise du Film qui lui attribue une subvention. Financé jusque-là grâce à ses salaires, son film entre potes voit le jour quatre ans plus tard, au début des années 80 et c'est alors que Jackson entre en piste.

Présenté à Cannes en 1988 par la Commission Néo-Zélandaise du Film, Bad taste fait déjà parler à grand bruit de Peter Jackson. Comme son nom l'indique, le film est d'un mauvais goût prononcé en matière de comédie horrifique. Mais les spectateurs adorent et Cannes applaudit. Le film est qualifié de chef d'oeuvre de cinéma d'amateur. Gorrifique et loufoque à outrance, Bad taste met en scène un délire extraterrestre : une petite ville paisible de Nouvelle-Zélande est le théâtre d'une invasion d'aliens. Ces derniers viennent faire leurs courses sur terre et décident de s'approvisionner en viande humaine pour leur fast-food spatial. Les rôles sont tenus par Jackson et ses amis, et ils s'en donnent à coeur joie pour trancher, arracher, avaler tout ce qui est possible de chair humaine, le tout dans un humour décalé et comique à souhait.

Un an après, Jackson tourne Les Feebles, film d'animation complètement déjanté et parodie érotico-trash du Muppet Show, entièrement réalisé avec des marionnettes et tourné en douze semaines dans un hangar. Également attiré par le film de zombies à la Romero, Jackson livre ensuiteBrain dead en 1992, film d'horreur comique qui dépasse les pires outrances jamais réalisées en termes de litres d'hémoglobine (1500), et qui remportera pas moins de seize prix internationaux dont le prestigieux Saturn Award et le grand prix du Festival d'Avoriaz en 1993. Au menu des scènes cultes, un bébé fracassé contre une balançoire, un prêtre massacrant des morts-vivants avec une croix (!) ou encore une tuerie à la tondeuse à gazon. Le public l'encense et en redemande. Au même moment, il fonde son propre studio d'effets spéciaux, Weta Digital, en association avec son ami Richard Taylor.

Le grand tournant

Alors qu'il est attendu pour son prochain tour de magicien de l'horreur, Jackson induit tout le monde en erreur. En 1994, sort Créatures célestes, dans lequel il révèle Kate Winslet. Poussé par son épouse, la scénariste Fran Walsh, il adapte à l'écran l'affreux fait divers qui avait traumatisé la Nouvelle-Zélande dans les années cinquante. L'histoire de deux adolescentes en proie à une amitié dévorante, vivant à en perdre haleine et raison dans un monde imaginaire peuplé de châteaux et licornes, au point d'en arriver à ourdir un parricide, « leur imagination et leur intelligence dépassaient l'entendement ». Peter Jackson prouve qu'il est aussi capable de délicatesse, de romantisme et de poésie. D'une réalisation parfaitement maîtrisée, très réussi visuellement, le film récolte de nombreux prix (Lion d'Argent au Festival de Venise) et vaut à Jackson une nomination à l'Oscar du Meilleur Scénario.

Connu pour aimer surprendre les autres autant qu'il aime être surpris, en 1996, le troisième barbu du septième art moderne (après Lucas et Spielberg) signe une nouvelle comédie d'épouvante avec Fantômes contre fantômes, qu'il obtient de réaliser en Nouvelle-Zélande après d'âpres négociations avec Universal Pictures. Outre le fait que le tournage lui permette de rentrer chez lui chaque soir, la carte blanche octroyée par Universal fait travailler sa société, Weta. Malgré l'échec commercial du film (la faute au mauvais choix de la date de sortie dit-on, le jour de l'ouverture des JO d'Atlanta), le public qualifie le film de pur bijou aux effets spéciaux démentiels et Jackson suscite l'admiration de la profession en démontrant son indépendance face à Hollywood.

Malin (comme un singe !) il faut noter qu'avant de tourner Fantômes contre fantômes, Jackson avait défrayé la chronique en produisant ce que l'on peut aisément qualifier de documenteur, soit le faux documentaire Forgotten silver. Réaliste à souhait, cette pure invention de Jackson relate l'histoire du (véritable) pionnier du cinéma, Colin McKenzie. Ce cinéaste néo-zélandais aurait tout inventé avant tout le monde (sans que personne ne le sache), l'image, le son, la couleur… Après avoir fait le tour des festivals et épaté la galerie, Jackson révèle sa supercherie au public aussi amusé que médusé.

Qui est le célèbre barbu de décembre ?

À peine le tournage de Fantômes contre fantômes achevé, Universal lui propose un menu royal : réadapter La Planète des singes (finalement atterri dans le monde de Tim Burton), ainsi que King Kong, et porter à l'écran les trois tomes originels du roman de J.R.R. Tolkien. Jackson se prononce sans hésiter pour le roi Kong avant même de poser une option sur Le Seigneur des anneaux. Néanmoins, le projet King Kong est rapidement abandonné au stade de la pré-production, Universal souhaitant ne prendre aucun risque face à l'arrivée d'une autre bête de scène : Godzilla de Roland Emmerich.

Jackson entame donc le tournage marathon de la trilogie fantastique et travaille… dans des mondes merveilleux où vivent des êtres et créatures fantastiques. Fidèle à ses principes, il obtient d'embarquer le projet en Nouvelle-Zélande pour 15 mois de tournage, 3 films tournés simultanément et 9 heures de spectacle. Le Seigneur des anneaux n'a d'hollywoodien que son financement, la production, les décors et l'imagination sont néo-zélandais, le casting anglo-australien. Ferme et déterminé, loin de la dictature hollywoodienne, Jackson entreprend de travailler comme il l'entend « parce que l'imagination a toujours été traitée avec mépris par Hollywood ».

Sur les plateaux de la trilogie, l'ambiance est bon enfant. Stage de langue elfique pour tout le monde. Une journée sur un tournage de Jackson ressemble à une fête foraine. Le réalisateur privilégie le relationnel et encourage les membres de son équipe à laisser exploser leur créativité et leur inspiration. Ayant gardé son âme d'enfant, il blague dès qu'il le peut et n'hésite pas à faire rire ses acteurs. Ainsi, il demanda à Hugo Weaving (qui joue Elrond) d'utiliser les lunettes noires qu'il portait dans Matrix. Lors du tournage d'une scène, Aragorn (joué par Viggo Mortensen) entre dans une tente où il doit retrouver Elrond. Elrond retire alors sa capuche et lance très sérieusement à Aragorn : « vous ne pouvez pas m'échapper Monsieur Anderson »

Acclamé, récompensé, surnommé le Georges Lucas de l'hémisphère sud, pour Peter Jackson, on connaît la suite : tourbillon des oscars et des dollars (17 oscars qui rivalisent avec les succès historiques de Ben Hur et Titanic ; 3 milliards de dollars de recettes pour un budget de 300 millions). Soucieux de présenter ses films au public comme de vrais cadeaux, il obtient la programmation des sorties pour la période de noël. La Communauté de l'anneau sort en décembre 2001, Les Deux tours en décembre 2002 et Le Retour du roi en décembre 2003.

De la fourrure pour l'hiver

Cette année encore, juste avant noël, sort King Kong sur nos écrans et nous fait chaud au cœur. Loin d'avoir abandonné son rêve d'enfant, Jackson traite avec Universal au sujet d'un nouvelle version de King Kong alors qu'il est en plein tournage de la trilogie du Seigneur des anneaux. En 2003, Jackson reçoit l'accord d'Universal et bénéficie d'un budget phénoménal assorti d'un contrat (de faveur) lui garantissant un tournage en totale autonomie (retour en Nouvelle-Zélande… ben tiens). Les 20 millions de dollars qui lui ont été versés pour réaliser ce blockbuster sont à ce jour le plus important salaire touché par un réalisateur. Le tournage débute en 2004 (alors qu'il vient d'être sacré Meilleur Réalisateur par la Guilde des Réalisateurs) avec une distribution béton à laquelle il croit dur comme fer : Naomi Watts (Le Cercle, 21 grammes), Adrien Brody (Le Pianiste) et l'acteur humoristique Jack Black (Rock Academy). Son ami Andy Serkis, qui par la magie du numérique s'est transformé en Gollum pour la trilogie du Seigneur des anneaux, campera cette fois grâce au même procédé le célèbre gorille.

Fidèle à la version de 1933 et non à celle de 1976 John Guillermin, Jackson a entièrement reconstitué la ville de New York d'après des documents d'archive et se défend d'avoir voulu profiter de la vague des remakes. Le travail faramineux et la post-production colossale se sont achevés in extremis juste à temps pour la première mondiale à New York. Un divertissement de 3 heures, alors qu'Universal en prévoyait 2, et qui en aurait totalisé 4 si des scènes n'avaient été coupées au montage.

Le film est dès à présent considéré comme le (futur) succès de l'année. Jackson pense désormais à relâcher la pression (« je n'ai plus de vie » soupire-t-il malicieusement) bien que ses futurs projets excitent ses fans au plus haut point, parmi lesquels l'adaptation cinématographique du jeu vidéo Halo pour 2007 (Jackson est fan de jeux vidéo) et l'éventuelle adaptation d'un autre roman de Tolkien. Ce dernier projet semblant cependant compromis par le rachat récent des droits de l'oeuvre par Sony « Je crois qu'il y a probablement une volonté de faire ce film, mais il y aura éventuellement beaucoup d'avocats qui devront s'asseoir ensemble et régler des conflits avant que cela se produise ».

Aujourd'hui, épuisé, considérablement amaigri, Jackson s'amuse de son nouveau surnom « le seigneur de l'anneau gastrique » et dit simplement avoir arrêté la junk-food. Le réalisateur prolifique déclare vouloir se reposer « avant de reprendre mon passionnant travail »… dans des mondes merveilleux où vivent des êtres et créatures fantastiques ?

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