Peter Jackson : Le retour du Roi
Déjà de retour sur les écrans avec King Kong,
Peter Jackson pense, mange, boit et vit « cinéma ». Né le jour
d'Halloween (le 31 octobre 1961) son goût pour le fantastique et
l'imaginaire s'exprime dès son plus jeune âge. Une coïncidence
troublante pour le néo-zélandais au parcours exemplaire qui s'impose
désormais comme le roi d'Hollywood.
Le grand huit
Peter Jackson est un véritable producteur de spectacle. Le grand.
Ses films sont des attractions. Créer des sensations est son rêve de
gosse. Car en réalité, le réalisateur nous dévoile à travers ses films
ce que fut pour lui sa rencontre avec le cinéma
Choyé
par ses parents, enfant unique à l'imagination sans limites, le jeune
Peter annonce très tôt à qui le questionne sur son avenir, qu'il
travaillera plus tard dans les mondes merveilleux où vivent des êtres
et créatures fantastiques. En attendant de s'engager dans une carrière
de Roi de l'empire céleste ou de devenir éleveur de dragons à deux
têtes, l'enfant fantasque brave les dangers en preux chevalier au fond
de son jardin. D'une curiosité tout aussi débordante, il s'attèle à
inventer mille objets et mécanismes ingénieux dont il se sert pour ses
jeux.
En 1969, ses parents sont loin de se douter qu'ils amorcent la
concrétisation de ses rêves lorsqu'ils lui offrent pour ses huit ans
une caméra super 8 avec laquelle il commence l'aventure des tournages
système D. Le cinéaste en herbe épate ses copains en leur présentant
ses petits films d'animation starring objets récupérés and figurines en
plastique pour lesquels il crée toutes sortes d'effets spéciaux.
L'année de ses neuf ans, il fait une rencontre cinématographique qui le
marquera à jamais. Ses parents l'autorisent à regarder le film que
diffuse une chaîne néo-zélandaise un soir de 1970. Peter Jackson
découvre King Kong
d'Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper, tourné en 1933 en noir et
blanc. Ébloui, ému par l'histoire, épaté par les effets spéciaux, le
jeune Jackson trouve dans l'uvre de Schoedsack et Cooper un écho à ses
délires créatifs. Si bien qu'à 13 ans, il entreprend de créer sa propre
adaptation de King Kong à l'aide d'une maquette de
l'Empire State Building et d'animaux en pâte à modeler, reconstituant
notamment sa scène favorite dans laquelle l'immense gorille balance ses
énormes poings dans un frêle escadron d'avions. Durant son adolescence,
il tourne de petites fictions mettant en scène des vampires ou des
fantômes. Plus tard, il découvre le travail du magicien des effets
spéciaux qu'est Ray Harryhausen (Jason et les argonautes, Le voyage fantastique de Sinbad).
Quand Jack sonne
À 17 ans, Peter Jackson laisse en plan ses études pour plancher sur
le cinéma. Touche à tout et débrouillard, il obtient un poste de
photograveur au Evening Post, journal de Wellington. Après le grand
huit, il fait le grand saut. Ses premiers salaires lui permettent
d'acquérir une caméra Bolex 16 mm grâce à laquelle, aidé d'une bande de
copains, il tourne son premier court-métrage, Roast of the day.
Mais le résultat ne lui convient pas, aussi décide-t-il de retravailler
le film et d'allonger sa durée. Parvenu à un stade avancé de son
projet, Jackson sollicite une aide financière auprès de la Commission
Néo-Zélandaise du Film qui lui attribue une subvention. Financé
jusque-là grâce à ses salaires, son film entre potes voit le jour
quatre ans plus tard, au début des années 80 et c'est alors que Jackson
entre en piste.
Présenté à Cannes en 1988 par la Commission Néo-Zélandaise du Film, Bad taste fait
déjà parler à grand bruit de Peter Jackson. Comme son nom l'indique, le
film est d'un mauvais goût prononcé en matière de comédie horrifique.
Mais les spectateurs adorent et Cannes applaudit. Le film est qualifié
de chef d'oeuvre de cinéma d'amateur. Gorrifique et loufoque à
outrance, Bad taste met
en scène un délire extraterrestre : une petite ville paisible de
Nouvelle-Zélande est le théâtre d'une invasion d'aliens. Ces derniers
viennent faire leurs courses sur terre et décident de s'approvisionner
en viande humaine pour leur fast-food spatial. Les rôles sont tenus par
Jackson et ses amis, et ils s'en donnent à coeur joie pour trancher,
arracher, avaler tout ce qui est possible de chair humaine, le tout
dans un humour décalé et comique à souhait.
Un an après, Jackson tourne Les Feebles, film d'animation complètement déjanté et parodie érotico-trash du Muppet Show,
entièrement réalisé avec des marionnettes et tourné en douze semaines
dans un hangar. Également attiré par le film de zombies à la Romero,
Jackson livre ensuiteBrain dead
en 1992, film d'horreur comique qui dépasse les pires outrances jamais
réalisées en termes de litres d'hémoglobine (1500), et qui remportera
pas moins de seize prix internationaux dont le prestigieux Saturn Award
et le grand prix du Festival d'Avoriaz en 1993. Au menu des scènes
cultes, un bébé fracassé contre une balançoire, un prêtre massacrant
des morts-vivants avec une croix (!) ou encore une tuerie à la tondeuse
à gazon. Le public l'encense et en redemande. Au même moment, il fonde
son propre studio d'effets spéciaux, Weta Digital, en association avec
son ami Richard Taylor.
Le grand tournant
Alors qu'il est attendu pour son prochain tour de magicien de l'horreur, Jackson induit tout le monde en erreur. En 1994, sort Créatures célestes,
dans lequel il révèle Kate Winslet. Poussé par son épouse, la
scénariste Fran Walsh, il adapte à l'écran l'affreux fait divers qui
avait traumatisé la Nouvelle-Zélande dans les années cinquante.
L'histoire de deux adolescentes en proie à une amitié dévorante, vivant
à en perdre haleine et raison dans un monde imaginaire peuplé de
châteaux et licornes, au point d'en arriver à ourdir un parricide, «
leur imagination et leur intelligence dépassaient l'entendement ».
Peter Jackson prouve qu'il est aussi capable de délicatesse, de
romantisme et de poésie. D'une réalisation parfaitement maîtrisée, très
réussi visuellement, le film récolte de nombreux prix (Lion d'Argent au
Festival de Venise) et vaut à Jackson une nomination à l'Oscar du
Meilleur Scénario.
Connu
pour aimer surprendre les autres autant qu'il aime être surpris, en
1996, le troisième barbu du septième art moderne (après Lucas et
Spielberg) signe une nouvelle comédie d'épouvante avec Fantômes contre fantômes,
qu'il obtient de réaliser en Nouvelle-Zélande après d'âpres
négociations avec Universal Pictures. Outre le fait que le tournage lui
permette de rentrer chez lui chaque soir, la carte blanche octroyée par
Universal fait travailler sa société, Weta. Malgré l'échec commercial
du film (la faute au mauvais choix de la date de sortie dit-on, le jour
de l'ouverture des JO d'Atlanta), le public qualifie le film de pur
bijou aux effets spéciaux démentiels et Jackson suscite l'admiration de
la profession en démontrant son indépendance face à Hollywood.
Malin (comme un singe !) il faut noter qu'avant de tourner Fantômes contre fantômes,
Jackson avait défrayé la chronique en produisant ce que l'on peut
aisément qualifier de documenteur, soit le faux documentaire Forgotten silver.
Réaliste à souhait, cette pure invention de Jackson relate l'histoire
du (véritable) pionnier du cinéma, Colin McKenzie. Ce cinéaste
néo-zélandais aurait tout inventé avant tout le monde (sans que
personne ne le sache), l'image, le son, la couleur
Après avoir fait le
tour des festivals et épaté la galerie, Jackson révèle sa supercherie
au public aussi amusé que médusé.
Qui est le célèbre barbu de décembre ?
À peine le tournage de Fantômes contre fantômes achevé, Universal lui propose un menu royal : réadapter La Planète des singes (finalement atterri dans le monde de Tim Burton), ainsi que King Kong,
et porter à l'écran les trois tomes originels du roman de J.R.R.
Tolkien. Jackson se prononce sans hésiter pour le roi Kong avant même
de poser une option sur Le Seigneur des anneaux. Néanmoins, le projet King Kong
est rapidement abandonné au stade de la pré-production, Universal
souhaitant ne prendre aucun risque face à l'arrivée d'une autre bête de
scène : Godzilla de Roland Emmerich.
Jackson
entame donc le tournage marathon de la trilogie fantastique et
travaille
dans des mondes merveilleux où vivent des êtres et créatures
fantastiques. Fidèle à ses principes, il obtient d'embarquer le projet
en Nouvelle-Zélande pour 15 mois de tournage, 3 films tournés
simultanément et 9 heures de spectacle. Le Seigneur des anneaux n'a
d'hollywoodien que son financement, la production, les décors et
l'imagination sont néo-zélandais, le casting anglo-australien. Ferme et
déterminé, loin de la dictature hollywoodienne, Jackson entreprend de
travailler comme il l'entend « parce que l'imagination a toujours été
traitée avec mépris par Hollywood ».
Sur
les plateaux de la trilogie, l'ambiance est bon enfant. Stage de langue
elfique pour tout le monde. Une journée sur un tournage de Jackson
ressemble à une fête foraine. Le réalisateur privilégie le relationnel
et encourage les membres de son équipe à laisser exploser leur
créativité et leur inspiration. Ayant gardé son âme d'enfant, il blague
dès qu'il le peut et n'hésite pas à faire rire ses acteurs. Ainsi, il
demanda à Hugo Weaving (qui joue Elrond) d'utiliser les lunettes noires
qu'il portait dans Matrix.
Lors du tournage d'une scène, Aragorn (joué par Viggo Mortensen) entre
dans une tente où il doit retrouver Elrond. Elrond retire alors sa
capuche et lance très sérieusement à Aragorn : « vous ne pouvez pas
m'échapper Monsieur Anderson »
Acclamé, récompensé, surnommé le Georges Lucas de l'hémisphère sud,
pour Peter Jackson, on connaît la suite : tourbillon des oscars et des
dollars (17 oscars qui rivalisent avec les succès historiques de Ben Hur et Titanic
; 3 milliards de dollars de recettes pour un budget de 300 millions).
Soucieux de présenter ses films au public comme de vrais cadeaux, il
obtient la programmation des sorties pour la période de noël. La Communauté de l'anneau sort en décembre 2001, Les Deux tours en décembre 2002 et Le Retour du roi en décembre 2003.
De la fourrure pour l'hiver
Cette année encore, juste avant noël, sort King Kong
sur nos écrans et nous fait chaud au cur. Loin d'avoir abandonné son
rêve d'enfant, Jackson traite avec Universal au sujet d'un nouvelle
version de King Kong alors qu'il est en plein tournage de la trilogie du Seigneur des anneaux.
En 2003, Jackson reçoit l'accord d'Universal et bénéficie d'un budget
phénoménal assorti d'un contrat (de faveur) lui garantissant un
tournage en totale autonomie (retour en Nouvelle-Zélande
ben tiens).
Les 20 millions de dollars qui lui ont été versés pour réaliser ce
blockbuster sont à ce jour le plus important salaire touché par un
réalisateur. Le tournage débute en 2004 (alors qu'il vient d'être sacré
Meilleur Réalisateur par la Guilde des Réalisateurs) avec une
distribution béton à laquelle il croit dur comme fer : Naomi Watts (Le Cercle, 21 grammes), Adrien Brody (Le Pianiste) et l'acteur humoristique Jack Black (Rock Academy). Son ami Andy Serkis, qui par la magie du numérique s'est transformé en Gollum pour la trilogie du Seigneur des anneaux, campera cette fois grâce au même procédé le célèbre gorille.
Fidèle
à la version de 1933 et non à celle de 1976 John Guillermin, Jackson a
entièrement reconstitué la ville de New York d'après des documents
d'archive et se défend d'avoir voulu profiter de la vague des remakes.
Le travail faramineux et la post-production colossale se sont achevés
in extremis juste à temps pour la première mondiale à New York. Un
divertissement de 3 heures, alors qu'Universal en prévoyait 2, et qui
en aurait totalisé 4 si des scènes n'avaient été coupées au montage.
Le film est dès à présent considéré comme le (futur) succès de
l'année. Jackson pense désormais à relâcher la pression (« je n'ai plus
de vie » soupire-t-il malicieusement) bien que ses futurs projets
excitent ses fans au plus haut point, parmi lesquels l'adaptation
cinématographique du jeu vidéo Halo pour
2007 (Jackson est fan de jeux vidéo) et l'éventuelle adaptation d'un
autre roman de Tolkien. Ce dernier projet semblant cependant compromis
par le rachat récent des droits de l'oeuvre par Sony « Je crois qu'il y
a probablement une volonté de faire ce film, mais il y aura
éventuellement beaucoup d'avocats qui devront s'asseoir ensemble et
régler des conflits avant que cela se produise ».
Aujourd'hui, épuisé, considérablement amaigri, Jackson s'amuse de son nouveau surnom « le seigneur de l'anneau gastrique » et dit simplement avoir arrêté la junk-food. Le réalisateur prolifique déclare vouloir se reposer « avant de reprendre mon passionnant travail » dans des mondes merveilleux où vivent des êtres et créatures fantastiques ?