Compte-rendu du festival de Marrakech
L'embêtant
avec le fait d'organiser un festival de films dans l'enceinte d'un lieu
tel que Marrakech, c'est qu'a priori, on s'engouffre dans l'avion en
fantasmant bien plus sur le capital découverte de la ville que sur le
potentiel qualitatif de la sélection. Le système du critique
professionnel bug, mais ça commence vraiment à dérailler lorsqu'une
fois aux portes de lOrient, la préférence nous incline comme par
aimantation à déambuler dans les rues, plutôt qu'à se terrer dans les
salles. Humble avis de consommatrice bourlingueuse : l'attrait des
projections pèse peanuts et cacahuètes par rapport au coefficient de
dépaysement de ce cadre alléchant. La théorie aguicheuse et vendeuse
finit donc par desservir dangereusement le but initial de la
manifestation. Vérifications faites : en pratique, ce Festival n'a rien
à voir avec les modèles du genre, mises à part quelques grappes
d'autochtones venus côtoyer du beau monde et voir quelques bouts de
pelloches internationales, ils sont rares les accrédités qui se
bousculent aux portillons du palais des congrès ! Situé à 10 000 lieux
du brouhaha speedé des hyènes limite hystériques qui naviguent sur la
croisette, le Festival de Marrakech se peuple de spectateurs
dilettantes qui vont voir les films lorsquils nont rien de mieux à
faire. Et pour peu que le soleil ne tape sur la place Jemaa el Fna,
l'école buissonnière se généralise : toute la crème des honorables
invités de cette cinquième édition sèchent outrageusement les projos et
filent fissa, direction les riads et leurs oasis de mosaïque
multicolore. Rien, pas même la venue de maître Scorsese en personne, ne
peut lutter contre l'appel des souks aventureux, et le bullage intensif
où les cocktails se sirotent aux bords de piscines couleur curaçao.
Restent tout de même quelques films qui sortent du lot : tel que le frenchie pure souche Alex de José Alcala.
Une marginale rongée par un passif que l'on ne délaye pas outre mesure,
baignant dans une banlieue morne, y survit à force de petits boulots
qui lui râpent les mains. Le voisinage en perdition complète le tableau
déprimant. Le goulot toujours à portée de la gueule étanche ce spleen
intégral jusqu'à plus soif. Le sexe sauvage, impulsif et libérateur
aide à lâcher prise, jusqu'à ce que vogue la galère de cette mère
courage qui essaye de reconquérir la confiance d'un gosse dont elle n'a
jamais eu la garde. Ça commence comme ces films franco-français
plombant au possible, l'appartement parisien et les atermoiements
nombrilistes de bobos philosophes en moins. Le flingue plaqué contre la
tempe, on manque d'appuyer sur la détente
Et puis, on s'attache à
cette paumée, comme par inadvertance. Coup du lapin surprenant !
L'atmosphère oppressante se mue en un quotidien moite qui va en se
distillant. Le tunnel a une issue de secours. Elle ne tient pas du
miracle mais à une suite de causes à effets qui relève du possible. Cet
insoutenable mal être qui la tire vers le fond, titille sans qu'on ne
sache trop pourquoi, une corde sensible. On respire !
Le rythme de croisière du Festival ? Tout doux.. Moderato molto
molto cantabile. Plus les jours s'égrènent, plus la salle imposante du
bunker qui borde l'avenue Mohamed V se vide. Sous ces latitudes, le
monde marche à l'envers. Tandis que les marocains profitent massivement
des projections en plein air pour s'en mettre plein la vue, les
cinéphiles officiellement mandatés pour travailler, assistent à la
compétition en simples touristes. L'assiduité en berne minée par un
soleil de feu, leur nombre se réduit à peau de chagrin. L'important est
ailleurs, calé entre les orangers de la Mamounia et les jardins de
Majorelle. Va savoir pourquoi, mais le professionnel es cinéma, espèce
diurne passant d'ordinaire la moitié de sa vie dans l'obscurité,
s'acclimate parfaitement aux coins de verdure de ce nouvel
environnement.
Ce
n'est que lorsque la farniente intensive cause trop de scrupules, que
les accrédités consentent à prendre le frais en migrant à la séance de L'iceberg
de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy. Quand les cinéastes
belges se tapent des délires, ce n'est pas fait pour plaire à tout le
monde. Le comique des situations ubuesques de L'iceberg
fera fondre certains et en laissera d'autres froids. Manager d'un
fast-food, Fiona s'enferme par déveine dans la chambre froide de son
arrière boutique. Panique à bord et crise de folie passagère. Le gel
qui lui picote les chairs une nuit durant, lui échauffe sérieusement
les méninges. Petit conseil aux illuminés : ne suivez tous les adages à
la noix au pied de la lettre : s'il est vrai que le froid conserve, se
fourrer la tête dans le congélo peut être nocif pour la santé mentale.
Prenez Fiona par exemple, épouse et mère de famille tout ce qu'il y a
de plus banal. Et bien, son escapade réfrigérante lui donne des envies
de toundra, de no man's land enneigé et, cerise sur la crème glacée :
d'un iceberg où elle pourrait s'échouer, loin de son dingo de mari et
de sa marmaille policée. Idée saugrenue qui fait effet boule de neige,
et la pousse à prendre la poudre d'escampette. Le ménage part en
lambeau, laissant le spectateur perplexe.
Mais
l'humour se fait assez rarissime sur grands écrans pour ne pas en
profiter. Car dans l'ensemble, les longs-métrages sélectionnés ne
prêtent pas vraiment à la franche rigolade. Frozen Land
remporte la palme des films noirs. La théorie du chaos, celle qui
impute un cataclysme planétaire aux battements d'ailes d'un papillon
plaît beaucoup aux scénaristes. Pour peu que ces derniers veulent
s'essayer au film choral, le prétexte agit comme une formule magique.
Ce qui lie les fragments d'existence entre eux, c'est l'incidence
qu'ils ont les uns sur les autres. Difficile de mitonner un liant plus
pratique. Mais pour que la sauce prenne, elle ne doit pas tomber des
nues. Frozen Land entame sa valse des chaises tournantes
au gré d'un petit larcin. Un ado glandeur achète une sono avec un faux
billet de 500 euros. Ni vu ni connu, il embarque sa camelote high tech
et empoche la monnaie. Pas de quoi fouetter un chat, pourtant la
machine est lancée. Dupé, le proprio du magasin refourgue le leurre à
un client mal luné. La goutte d'eau fait déborder le vase, et donne à
Aku Louhimies l'occasion de coller bout à bout les errances de
personnages plus malheureux les uns que les autres.
Au
cinéma, la vie ne coule définitivement plus comme un long fleuve
tranquille. Toutes nationalités confondues l'ambiance est morose. La
société en pleine perdition. Tout part en vrille : les beuveries
monumentales s'enchaînent, les rails de coke s'arrosent aux coupes de
champ', les baises se font à la va-vite dans les toilettes de clubs
VIP, et les meurtres passionnels mettent un point d'orgue à ces nuits
hagardes. Amis de l'optimisme bonsoir, préparez vos mouchoirs,
l'espérance se meurt, vive les froides vengeances et l'autodestruction.
C'est l'apocalypse ! Et, comme le prouve Juan Vicente Cordoba dans A Golpes,
les européens du Sud ne sont pas épargnés ! Avoir la vingtaine en
Espagne, c'est comme partout ailleurs : emplois précaires à défaut de
pointer au chômage, et pour les moins farouches, système D combinant
recel de came et de bijoux volés. Ce nivellement par le bas vaut pour
tout le monde, les nanas ayant -en plus du bordel ambiant- une
discrimination sexiste à gérer. Portrait cent pour cent féminin de
cette génération perdue, A Golpes brasse un sujet
rabâché, criblé de déjà-vu. Sa principale interprète punchy enfile les
gants de boxe pour déverser sa rage sur le ring. La castagne qui sert
d'échappatoire au mal-être généralisé, ça ne vous dit rien ? La
thématique a débarqué en fanfare avec le fracassant Fight Club, mais dans le cas présent c'est surtout Girl Fight qui vient en tête
.
Heureusement que quelques petites pépites prêchent la légèreté de vivre. Made in America, Hustle & flow ne
tire pas un portrait beaucoup plus avenant du merveilleux pays de Bush
et de Mickey. C'est la croyance en ses rêves qui change la donne. La
figure de proue de ce film péchu signé Craig Brewer a beau arrondir ses
fins de mois en vendant les charmes de trois gazelles qui tapinent pour
son compte, le mac aspire à un avenir plus glorieux. « Le genre humain
n'a rien à voir avec l'espèce canine ». Bien que la vision du moindre
décolleté pigeonnant lui donne des chaleurs et qu'il aime à marquer son
territoire en pissant aux quatre vents, l'homme a conscience de sa
propre finitude et nourrit souvent l'espoir de caresser un certain
idéal. En pleine crise de la quarantaine D.Jay renoue avec ses
premières amours musicales. Pianoter quelques touches d'un synthé
miteux lui donne l'envie de se composer la carrière qu'il ambitionnait
étant gosse. Tout ce qui n'est pas perdu relève du possible. C'est
naïf, illusoire, mais l'énergie investie dans cette aventure constitue
déjà un nouveau départ pour le lascar et sa troupe de paumés. Version
remasterisée d'un carpe diem accordé aux sons des ghettos, Hustle & flow
dépote ! Sous les minis à ras les pâquerettes des prostituées et les
chemises ouvertes ornées de chaînes brillantes des rappeurs battent des
petits curs sensibles, aptes à faire chialer la mère de n'importe qui.
Les marocains eux-mêmes n'y ont pas résisté : standing ovation !
Quant au Palmarès remis par le jury présidé par Jean-Jacques Annaud, il récompense Saratan de Ernest Abdyshaparov l'étoile d'or (pas vu ), remettant son prix spécial ex aequo à C.R.A.Z.Y de Jean-Marc Vallée et Bal El Makam de Mohamed Malas (pas pris ). Le prix de la meilleure interprétation féminine distingue la performance de Shirley Henderson (l'une des copines de Bridget Jones) dans Frozen de Juliet McKoen. Et du côté des mâles, c'est sans surprise Daniel Day Lewis qui remporte le prix pour son rôle de père possessif dans la magnifique Ballade de Jack et Rose, mis en scène par Rebecca Miller son épouse à la ville.
04/12/2019 à 22:33
c'est une bonne compte rondu