7e Festival asiatique de Deauville – Bilan

Stéphane Argentin | 15 mars 2005
Stéphane Argentin | 15 mars 2005

Le septième festival du film asiatique de Deauville, c'est fini ! Les valises sont posées, défaites pour certains, et même si les cernes n'ont pas encore totalement disparues, l'heure du bilan – avant le dodo – a sonné. Au fil des 27 films présentés – ou plutôt des 20 vus par nos soins – toutes catégories confondues, plusieurs tendances se sont dégagées.

Portraits de femmes
Trois œuvres de la compétition reposaient entièrement sur leur actrice principale : Charon, This charming girl et The world. Leur présence au festival a d'ailleurs été l'occasion de vérifier si le charme opérait autant en vrai qu'à l'écran. Et pour avoir croisé l'une d'elle au cours de la soirée de lancement de la collection « Asian Star », on peut vous dire que c'est le cas ! De trois pays différents, respectivement le Japon, la Corée du Sud et la Chine, ces films dépeignent pourtant des destinées féminines similaires. Des jeunes femmes ballottées par la vie et les hommes. Et si leurs choix diffèrent, elles luttent toutes, parfois en vain, pour se faire une place dans la société. C'était également le cas d'une mère et de sa fille dans Electric shadows ou encore d'une délinquante repentie dans A family.


This charming girl (Lotus du jury)

L'histoire pour toile de fond
L'histoire et ses guerres, récentes ou anciennes, ont toujours imprégné le cinéma asiatique. Ces cicatrices fournissent une toile de fond inusable pour donner une résonance supplémentaire (patriotique ?) à un drame ou une histoire d'amour. Ainsi, plusieurs films s'ancrent logiquement et naturellement dans les conflits précédant ou découlant de la Seconde Guerre mondiale. Mais plus surprenant, la condition et l'intégration des coréens au Japon a été le thème géopolitique incontournable de cette édition avec l'histoire vraie du karatéka coréen Choi Bae-dal (Fighter in the wind), du catcheur Rikidozan, qui a caché ses origines coréennes, ou encore de cet immigré de la première génération interprété avec violence par Beat Takeshi (Blood and bones). Même la Thaïlande a fait appel à l'histoire, prétexte alors à des combats chorégraphiés (Born to fight) ou musicaux (The overture).


Rikidozan

L'action : entre tradition et occidentalisation
Malgré sa section « Action Asia », le cinéma d'action pure dans la grande tradition orientale n'occupait plus qu'une petite portion du septième festival du film asiatique de Deauville. Un comble lorsque l'on sait que c'est grâce à son registre « action » que le cinéma asiatique s'est en grande partie fait connaître du reste du monde ! C'est ainsi que « seulement » cinq films étaient présentés dans cette section contre neuf dans l'autre segment de la compétition, auxquels venaient toutefois s'ajouter quelques long-métrages du « Panorama » (notamment Breaking news et Kung fu hustle).

Le deuxième effet Matrix :
De cet échantillon pouvait néanmoins se dégager deux (ré)orientations. Tout d'abord une appropriation par le cinéma asiatique des dernières tendances occidentales, le plus flagrant de tous étant le fameux « effet Matrix ». Preuve que cet amalgame orient – occident fonctionne, trois ans après le délirant (visuellement) et un peu crétin (thématiquement) film coréen Volcano high (version live du manga Un collège fou fou fou en quelque sorte), c'est Arahan (également un film coréen dans la même mouvance) qui est reparti du festival avec le Lotus Action Asia. Une tendance que l'on retrouve un peu partout en Asie, que ce soit au Japon (The returner) ou bien à Hong-Kong où Stephen Chow nous propose, trois ans après Shaolin soccer (le manga Olive et Tom rencontre Matrix), son Kung fu hustle. Long-métrage un peu fourre-tout, depuis le kung-fu jusqu'aux films de triades en passant par le bouddhisme ou encore un humour typiquement asiatique, Kung fu hustle est l'exemple parfait du compromis entre cinéma local et exploitation internationale qui a commencé à germer depuis quelques temps dans les long-métrages asiatiques qui ne pensent plus qu'en terme de marché national.


Arahan (Lotus Action Asia)

Le renouveau du polar asiate :
Même les films policiers s'y sont mis. C'est ainsi que les duos de flics ont la côte (Heroic duo) et que, sept ans après le prodigieux Full alert de Ringo Lam (version asiatique du Heat de Michael Mann et longtemps avant la trilogie des Infernal affairs), Johnnie To s'oriente chaque jour un peu plus dans la voie de l'excellent flic face à l'excellent truand (PTU, Breaking news), ce dernier allant même une fois encore jusqu'à réemployer des « ficelles » occidentales (les split-screens dans Breaking news devenus très tendance depuis le succès de la série 24 heures chrono). Des films qui ne font pourtant que reprendre un cinéma laissé en plan par John Woo depuis son départ pour Hollywood (The killer, À toute épreuve…) tout en renouant avec la noirceur et la nervosité de ces mêmes long-métrages et non plus avec une multiplication des angles de caméra et un surdécoupage de l'action comme peut également en témoigner, dans un autre registre, Born to fight qui privilégie l'action dans sa globalité et sa continuité. Même s'il s'apparente davantage à une très longue bande démo à la gloire des cascadeurs, Born to fight renoue là aussi avec le prestige d'antan et les prouesses physiques sans équivalents sur le reste de la planète du cinéma asiatique après le fou furieux Ong-Bak.


Breaking news

Les aventuriers du Wu Xia Pian perdu :
Un seul secteur demeure finalement encore minoritaire dans ce retour en force de l'Asie : le bon vieux Wu Xia Pian. À quelques exceptions très sporadiques près (Hero en 2002, Le secret des poignards volants en 2004), les films de Wu Xia se comptent encore sur les doigts d'une seule main comme peuvent en témoigner ceux qui arpentent les magasins pratiquant l'import DVD et qui doivent se rabattre sur les « classiques », à savoir les sorties restaurées des films de la Shaw Brothers. Mais tout ceci pourrait bien changer avec l'arrivée prochaine (en juin dans nos salles si tout va bien), de Seven swords de Tsui Hark.

Plus c'est beau, plus c'est long !
Dernier point commun à la plupart des films vus pendant ces quatre jours : une propension à devenir ennuyeux passé généralement la première heure. Qu'il s'agisse d'une chronique intimiste (This charming girl), d'une biopic digne des productions américaines (Rikidozan) ou d'une comédie délirante (Survive style 5+), tous peinent à tenir le rythme sur la longueur malgré leur durée raisonnable (entre 1h30 et 2h). Même les lauréats du festival, y compris le très beau Holiday dreaming reparti avec deux Lotus en poche a tendance à s'enliser quelque peu dans sa dernière partie en bordure de plage. Et que dire alors des plus courageux qui ont tenu le dernier jour devant les 2h30 de la fresque légendaire Princess of Mount Ledang (le film le plus long en durée du festival). Il semble donc que, dans leur souci de trop vouloir coller aux sujets, les films asiatiques projetés à Deauville aient tous eu tendance à s'essouffler à un moment ou un autre. Voilà pourquoi, certains festivaliers (des noms, des noms !) ont défini cette édition 2005 comme ennuyeuse, pour ne pas dire chiante (si, on vous assure, on l'a entendu au moins une fois à chaque sortie de projection !).


Princess of Mount Ledang

Deauville et le trilinguisme
Les habitués des films en VOST ou encore du festival du film américain qui a lieu début septembre à Deauville seront peut-être surpris d'apprendre le principe de « double traduction » rencontrée au cours du festival du film asiatique de Deauville. En effet, présence de nombreuses personnalités (journalistes, acteurs, réalisateurs…) venus des quatre coins du globe (et plus particulièrement d'Asie bien entendu), les films présentés au cours du festival sont projetés à la fois avec des sous-titres français (la moindre des choses tout de même) mais aussi anglais tandis que les films, eux, sont diffusés dans leur langue d'origine (coréen, japonais, thaïlandais, cantonais…).

Rien de bien rédhibitoire en terme de visionnage puisque les premiers sous-titres sont incrustés à même la pellicule tandis que les seconds sont rajoutés via un dispositif ad hoc sous les premiers, en dehors de l'image (le tout, bien entendu, en respectant le ratio d'image des long-métrages). Selon les films projetés, les sous-titres incrustés à même la copie sont français ou anglais, conduisant le spectateur à un temps d'adaptation très rapide pour trouver les bons sous-titres. Et si les amateurs d'imports DVD peuvent parfaitement se satisfaire de l'un comme de l'autre, on notera que, sur l'ensemble des films projetés, les sous-titres anglais se montraient généralement plus pointus (mais aussi inévitablement plus longs à lire) là où les français se révélaient plus compacts.

On pouvait également constater ce principe de « double traduction » lors de la présentation des films par différents membres de l'équipe qui induisait la présence de deux personnes sur scène : la première, le traducteur, pour le passage de la version originale à l'anglais, et la seconde (David Rault, présentateur « officiel » du festival) pour celui de l'anglais au français. Ou parfois vice-versa, comme par exemple lorsque l'un des traducteurs chinois alternait selon son bon vouloir les retranscriptions tantôt en anglais, tantôt en français (ce qui ne manqua pas de provoquer un bon petit rire général dans l'ensemble de la salle).

On en redemande !
Qu'il soit question de portraits, d'histoire, d'action, de longueurs ou encore de multilinguisme (peut-être que certains maîtrisaient parfaitement les langues des neufs pays représentés après tout !), le public est néanmoins venu assister en nombre aux films projetés, tous genres confondus, en attendant déjà impatiemment l'année prochaine pour découvrir ce que le cinéma asiatique nous réservera de (re)nouveau…


Holiday dreaming (Lotus du meilleur film & Lotus Air France)

Vincent Julé & Stéphane Argentin

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